Faire entrer la culture entre les murs de la prison de Varces

Prison / Enfin sortie du cauchemar Covid, la maison d’arrêt de Varces peut reprendre son programme d’actions culturelles. On a profité d’un concert donné aux détenus par le duo grenoblois JJ Lova pour rencontrer le monde carcéral, notamment le Spip, service qui accompagne les personnes incarcérées en vue de leur réinsertion. 

Les détenus, ce n’est pas un public facile. Mais Joseph et Gaston, les deux frangins de JJ Lova, ont fait le taf. « J’avais peur que ce soit bidon, après t’es obligé d’applaudir, c’est chiant… Mais là non, j’ai vraiment bien aimé », commente un pensionnaire de la maison d’arrêt de Varces à l’issue du concert. Le charisme naturel des rappeurs, la guitare et la trompette associées à des instrus louvoyantes, font de JJ Lova un vrai groupe de scène. « La trompette, comme ça, c’est éclaté ; mais en live c’était top », lâche un autre détenu. Le public, une douzaine d’hommes assis sur des bancs d’église (la salle, au quatrième étage de la prison de Varces, fait d’habitude office de chapelle), n’a pas moufté ; mais sur le dernier titre quand même, l’entraînant Tropicool, difficile de rester stoïque : quelques voix ont repris le refrain en chœur, et un jeune homme s’est levé pour applaudir. « Je n’ai pas encore réussi à les faire danser », soupire Odile Baurens, coordinatrice culturelle au sein du Spip de l’Isère (Service pénitentiaire d’insertion et de probation). Depuis trois ans à ce poste né avec son arrivée, elle s’échine à faire entrer davantage du monde extérieur dans les deux prisons iséroises, Varces et Saint-Quentin-Fallavier, en amplifiant et en diversifiant les actions culturelles et socio-éducatives déjà existantes.

« À chaque fois, on voit des sourires jusque-là : les gens ne pensent pas qu’ils vont faire des échasses en détention ! »

La maison d’arrêt de Varces abrite environ 250 personnes, principalement de jeunes hommes, condamnés ou en attente de leur jugement, et parfois en fin de peine. Durée maximale du séjour : 2 ans. Depuis des années, des activités régulières leur sont proposées, auxquelles ils participent s’ils en ont envie : des ateliers d’écriture de textes rap ou hip-hop, par l’association Retour de Scène qui se concentre sur le quartier des mineurs. Pour les adultes, c’est plutôt Morgan, d’Opus Crew, qui intervient (très) régulièrement. D’ailleurs, les fidèles de ses ateliers d’écriture ont été les premiers conviés au concert de JJ Lova.

V.A

L’été, période désertique, la Compagnie du Jour effectue un grand travail d’initiation au cirque. « Il y a une petite présentation à la fin. À chaque fois, on voit des sourires jusque-là : les gens ne pensent pas qu’ils vont faire des échasses en détention ! » Le mercredi, c’est atelier arts plastiques avec l’association Des nuées de sens. « Elle intervient depuis très longtemps », souligne Odile Baurens. Récemment, « l’association a proposé des ateliers photos ; les détenus n’avaient pas très envie de photographier leur quotidien, mais ils ont fait un travail autour du "gâteau de la rate" – c’est comme ça qu’ils appellent ce gâteau qu’ils se font à la poêle, parce qu’ils n’ont pas de four. La photo, ça a beaucoup plu et le groupe n’a pas arrêté. Ils ont exposé à l’Oriel de Varces un travail sur les trente ans de l’établissement. On voudrait faire tourner cette exposition. » Sortir le travail des détenus des hauts murs de Varces, c’est un moyen de faire évoluer l’image de la maison d’arrêt, et de la détention en général, dehors. Le regard extérieur, c’est un motif de souffrance « pour beaucoup de détenus. Ce n’est pas valorisant d’être en détention. C’est aussi important, vis-à-vis de leur famille qui vient les voir, de pouvoir raconter qu’ils ont fait ci ou ça. »

« On a dû enlever tout ce qui a trait à la police, la justice et aux stupéfiants »

Après une quarantaine de minutes de concert, les JJ Lova laissent la scène : « On a des instrus, on laisse les micros, si certains veulent poser… » Personne ne franchira le pas. Ça papote, entre l’équipe de la Belle Électrique (à la manœuvre pour l’organisation de ce showcase), les artistes, l’ingé son, le Spip, et les détenus. Bonne ambiance. Joseph et Gaston n’avaient jamais joué en milieu carcéral, avant. « Super motivés » par le projet, ils espéraient vraiment « que ça allait leur plaire. On parle de liberté, et c’est aussi un endroit adapté pour ça. » Niveau adaptation, justement, deux différences seulement avec leur prochain live, vendredi 3 mars à Holocène : « Ce n’est pas un public festif et alcoolisé comme d’habitude, donc on travaille un peu les transitions. Et puis, on nous a demandé de faire attention aux termes qu’on emploie : il faut enlever tout ce qui a trait à la police, la justice et aux stupéfiants. » « On regarde avec attention, on ne fait pas rentrer n'importe qui », confirme Odile Baurens. « On est quand même dans le milieu judiciaire. Autant ne pas inciter à l’usage de la drogue… »

Ce showcase, ce n’est que le premier volet du projet Belle Électrique à la prison de Varces. « Le second, c’est qu’on va proposer aux détenus volontaires d’organiser eux-mêmes un concert, dans le gymnase de la prison, à l’automne », explique Emeraude Gomes, en charge de l’action culturelle à la salle de concerts grenobloise. Des ateliers sur les métiers du spectacle vivant seront organisés, par thématique, et animés par les professionnels de la Belle : technique, production, communication… « Ensuite, on a sélectionné neuf groupes de différentes esthétiques musicales, et ce sera aux détenus de choisir, d’organiser et de gérer tout l’événement. » Enfin, en partenariat avec Mixlab, « on proposera des ateliers de pratique de MAO, qui donneront lieu à une restitution en amont du concert ».

Pour l’heure, Emeraude est ravie : maintes fois reporté en raison du Covid, ce projet en milieu carcéral est enfin sur les rails. À un détenu qui la questionne sur le prochain concert, elle répond : « On avait pensé au début de l’été, mais à ce qu’il paraît, la chaleur est étouffante dans cette salle… » « C’est pour nous que vous dites ça ? Parce que s’il fait chaud ici, ce sera pareil dans nos cellules, de toute façon. » Un autre : « Un concert par mois, ce serait bien ! » Odile Baurens : « Si seulement ! » Son travail consiste à la prévention de la récidive, mais aussi à la réinsertion. « Plus on multiplie les liens avec l’extérieur, plus on favorise ça. On est peut-être un monde dans un monde, mais on maintient le lien. Je ne suis pas sûre que ce soit un public qui fréquente le monde culturel, à l’extérieur, donc c’est pour eux une bonne occasion. Je ne dis pas qu’en sortant ils vont tous aller visiter des galeries d’art ! Mais plein de gens me disent qu’ils n’ont jamais connu ça à l’extérieur. » Elle sourit. La contrainte principale dans le métier d’Odile, c’est le budget. Toute sa programmation culturelle et sociale est financée par le ministère de la Justice, et celui de la Culture, avec des appels à projets. Avant, la Région Auvergne-Rhône-Alpes participait aussi ; mais comme pour beaucoup d’acteurs culturels, la subvention a été brutalement supprimée en 2023, sans explication.

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