À Grenoble, les écoles d'art et d'architecture en détresse

Colère / L’École supérieure d’art et de design Grenoble-Valence (Esad) et l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble (Ensag) mènent depuis quelques mois des combats similaires pour dénoncer le manque de moyens alloués à leurs études. On est allé à leur rencontre pour y voir plus clair. 

Cela fait plusieurs années que les banderoles se succèdent sur la façade de l’école des Beaux-Arts de Grenoble, officiellement dénommée École supérieure d’art et de design Grenoble-Valence (Esad). Les causes sont diverses, mais depuis fin mars il s’agit bien d’alerter sur sa propre situation. S’inscrivant dans un mouvement national débuté à l’école de Valenciennes (qui devrait fermer ses portes l’an prochain), des étudiants occupent leurs locaux afin de dénoncer le manque de moyens structurel auquel ils font face. « On ressent notamment un manque de personnel. Pour manipuler certains outils, on doit faire appel à un technicien, et depuis quelques mois, il n’y en a plus qu’un alors qu’on est 135 étudiants ! En plus, l’école n’arrive pas à nous fournir tout le matériel dont on a besoin pour nos créations, on doit se débrouiller pour en trouver par nous-mêmes. Il y a aussi que le bâtiment ferme désormais plus tôt, afin de faire des économies d’énergie, ça nous laisse moins de temps pour travailler », nous ont raconté certains étudiants, qui décrivent une ambiance morose au sein de l’établissement.

Face à la contestation partagée par l’ensemble des écoles d’art territoriales du pays, le ministère de la Culture a débloqué 2 millions d’euros fin mars – un montant trop faible pour la directrice de l’Esad Grenoble-Valence, Amel Nafti : « Pour nous, cela représente une dotation de 38 000 euros. Avec l’Association nationale des écoles supérieures d’art (ANdÉA), c’est plutôt 11 millions d’euros que l’on demande. On a des difficultés structurelles aggravées récemment par la hausse du point d’indice des fonctionnaires ainsi que l’inflation de l’énergie et des matériaux. Face à tous ces changements, le financement est resté le même, cela crée un effet ciseau très délétère, qui se traduit notamment par une baisse des effectifs. En 2018, un nouvel organigramme a été décidé à l’école, mais on ne dispose pas des moyens suffisants pour recruter toutes les personnes prévues par celui-ci. »

Des travaux à 8 millions d’euros

Le ministère de la Culture, qui estime avoir réalisé « un effort important », n’est cependant pas le principal financeur de l’Esad, subventionnée à 67% par Valence Romans Agglo et Grenoble Alpes Métropole. Pascal Clouaire, vice-président de la Métro en charge de la culture l’assure : « C’est la haute mer mais on tient la barre ! Pour nous, c’est d’abord un combat national. On a sollicité le ministère pour viser un traitement égalitaire entre les 10 écoles d’art nationales qui dépendent de l’État et celles qui dépendent des territoires comme l’Esad. Les premières sont mieux financées que les secondes alors qu’elles délivrent exactement les mêmes diplômes. Par ailleurs, la Métro a octroyé 8 millions d’euros au site grenoblois pour la rénovation du bâtiment. » En effet, des travaux d’envergure vont débuter en septembre pour une durée d’un an et demi afin de remettre à neuf un établissement dont l’état est déplorable : champignons sur les murs, infiltrations…

Il pleut dans l’amphi

Des fuites d’eau, d’ailleurs, il y en a également du côté de l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble (Ensag), où il pleut carrément dans un amphi. « C’est aussi une passoire thermique, l’été la température monte à 40°C dans certaines salles, et l’hiver les étudiants dessinent avec des gants », témoigne Camille, étudiante depuis trois ans.

La réhabilitation du bâtiment est prévue pour cet été mais cela ne réglera pas tous les problèmes, là encore structurels, qui gangrènent les écoles d’architecture du pays, en lutte auprès du ministère de la Culture (leur tutelle) depuis début février. « Chez nous, le nombre de fonctionnaires baisse chaque année. Du coup, la charge de travail est énorme pour ceux qui restent, ce qui entraîne pas mal d’arrêts maladie. » On nous a confirmé qu’il manquait actuellement pas moins de huit postes administratifs au sein de l’école, et que des heures d’enseignement devaient être supprimées par manque de moyens.

Conséquence : la direction réfléchit sérieusement à diminuer le nombre d’étudiants accueillis en L1 de 20% dans les années à venir. « On est passés de 15/20 élèves par TD à 25/28. Normalement en L3, on a un mini-mémoire à rendre, mais cette année, faute d’encadrement suffisant, on nous a juste demandé de rédiger un plan détaillé. La qualité de l’enseignement se dégrade », alerte Camille. Comme pour les écoles d’art, la subvention aux écoles d’architecture ne suit pas les courbes de l’inflation : à Grenoble, elle n’a tout simplement pas bougé depuis 10 ans.

Bas salaires

Les enseignants aussi en paient le prix. Patrick Briggs est professeur d’anglais à l’Ensag. Il évoque des conditions salariales difficiles en tant que contractuel, en CDD depuis 6 ans : « Je vais avoir un CDI à la rentrée, mais cela ne va pas changer ma paie qui est de 1563 euros net pour un temps plein. On n’a absolument pas de perspective d’augmentation. J’adore mon travail, mais parfois j’y réfléchis car j’ai peur pour mon avenir. » Au 1er janvier 2023, les salaires des enseignants contractuels des écoles d’architecture ont été revalorisés de 113 euros, « une petite hausse qui va être mangée par l’inflation », s’inquiète le prof d’anglais.

Dans une lettre datée du 21 avril, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, affirme : « Lorsque, à l'été 2022, j’ai défendu mon premier budget, j’ai obtenu une augmentation inédite de 20% des moyens alloués à l’enseignement de l’architecture. […] J’ai bien conscience que ces efforts n’ont pas encore répondu à l’ensemble des difficultés rencontrées. […] J’ai ainsi décidé de débloquer une aide immédiate de 3 millions d’euros consacrée à la vie étudiante. […] Cinq nouveaux postes d'enseignants-chercheurs sont créés dès cette année. J’ai obtenu dans des délais exceptionnels l’affectation de 10 emplois administratifs supplémentaires. En comptant les 10 postes créés l’année dernière, ce sont donc au total 25 nouveaux emplois en 2022 et 2023, soit l’équivalent d’au moins un poste par école. » Des annonces jugées largement insuffisantes par les étudiants de l’Ensag qui, en réaction, bloquaient leur école trois jours après la réception de cette missive, tandis que le collectif national Ensa en lutte appelle à une grève le 12 mai.

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