Politique culturelle / Vice-président à la culture de la Métropole et maire de Villeurbanne depuis 2020, Cédric Van Styvendael revient sur les récentes baisses de subventions de la Métropole au secteur culturel ainsi que les ambitions futures de la collectivité.
Le Petit Bulletin : En tout 7, 7% de subventions vont être retirées à l'Institut Lumière, au Musée des Confluences, aux Biennales, au Musée Lugdunum ainsi qu'aux Nuits de Fourvière. Le théâtre des Célestins est lui aussi concerné par une baisse de 5% de son enveloppe. D'autres, comme L'Opéra national de Lyon, le Théâtre National Populaire de Villeurbanne, La Maison de la danse ou encore le festival Écrans Mixtes voient leur subvention inchangée, comment avez-vous arbitré ces choix ?
Cédric Van Styvendael : La Métropole se trouve dans une situation financière difficile, de part une baisse importante des DMTO (droits de mutation, ou taxes prélevées sur tous les transferts de propriété des biens immobiliers ou fonciers et perçus par différentes collectivités territoriales ndlr) et d'un prélèvement sans précédent de la part de l'État pour combler son déficit.
En tant que collectivité, je ne nous vois pas — dans un monde où on demande de fournir des efforts à tout le monde — épargner complètement la culture. Des efforts sont aussi demandés au secteur de l'hébergement d'urgence, de la petite enfance par exemple.
Je suis heureux d'avoir convaincu le président de la Métropole ainsi que mes collègues que cette baisse devait être ciblée, qu'elle devait être moins importante que sur d'autres secteurs, au regard de la fragilité du secteur culturel sur notre métropole. Fragilité dont une partie de la responsabilité revient à la Région par des coupes unilatérales, brutales et non-anticipées.
Dès l'été 2024, j'ai rencontré les principales structures pour lesquelles nous sommes les principaux financeurs, sinon parfois les seuls. Ce qu'on souhaitait, c'était de ne pas fragiliser les acteurs culturels qui étaient déjà en difficulté et de ne pas apporter de baisse dans l'éducation artistique et culturelle, le schéma d'enseignement artistique, le réseau de lecture publique : tout ce qui vient mailler le territoire métropolitain, participant à un projet culturel pour toutes et tous.
On a donc fait le choix de demander des efforts aux principales structures que nous financions, qui ont des budgets de soutien conséquents, pour une baisse totale de deux millions d'euros. Chacune de ses baisses s'est faite sur la base de propositions faites aux équipements et autour desquelles nous avons dialogué.
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LPB : Certain(e)s actrices et acteurs de la culture peuvent y voir un message inquiétant, celui que la culture n'est pas essentielle, qu'elle n'est pas un service public.
CVS : Je ne laisserai pas dire ça. Quand je suis arrivé, on m'a demandé pourquoi nous continuions à subventionner autant les "gros" équipements. On a besoin d'équipements à rayonnements nationaux ou internationaux parce que c'est ce qui fait aussi la notoriété de nos politiques culturelles, en revanche quand il faut fournir des efforts, c'est normal que ce soient les plus gros bénéficiaires de subsides publics qui soient appelés en premier.
Je ne vais pas vous dire que cette évolution les a enchantés, mais vous aurez pu noter à chaque fois qu'ils ont été interpellés dans la presse qu'ils ne disent pas qu'on les a pris de court, qu'on n'a pas mis en place un dialogue de gestion avec eux. On ne touche que 9 structures sur les 143 qu'on finance. J'entends que ça peut tendre les choses pour un certain nombre d'acteurs, mais pas que cela signifie qu'on "sacrifie la culture" à la Métropole.
Il faut rappeler que le budget de la culture de 2020 à la Métropole était de 35 millions 402 000 euros. Pour le budget 2025, on est à 36 millions 937 000 euros, il reste donc 1, 5 millions d'euros en plus, en matière de culture, et ce n'est pas rien. La situation reste toujours meilleure que celle à notre arrivée.
LPB : Les Nuits de Fourvière ont annoncé ne pas renouveler le village autour des arts circassiens au parc de Lacroix-Laval par exemple. Les impacts de ces baisses ont-ils été estimé par la collectivité ? Si oui, quels sont-ils ?
CVS : Ce n'était pas une demande de la Métropole. On a donné un cadrage budgétaire, ensuite les co-directeurs et directrices ont toute liberté de définir ce qu'ils veulent faire. Peut-être que ça va aussi les amener à réduire la voilure sur des coproductions, certains grands spectacles, ce que je peux dire c'est que les conversations qu'on a eues ont été très exigeantes d'une part et d'autre et que le résultat est le fruit d'un dialogue.
LPB : La Métropole a augmenté un budget dans le périmètre de la culture, celui de l'EAC, qui est passé de 90 000 € en 2020 à 500 000 € en 2024. Pourquoi n'avoir pas touché à ça ?
CVS : Ça fait partie des équipements culturels qui touchent beaucoup de personnes parmi lesquels les publics qu'on considère prioritaires, comme les collégiens par exemple. C'est aussi pour ça qu'on n'a pas touché au budget culture et solidarité, ni au schéma des enseignements artistiques et culturels qui représente 5 millions d'euros, dans lequel il y a tous les soutiens aux écoles de musiques et conservatoires dans toutes les villes de la métropole. Il en va de même pour le réseau de lecture publique, on soutient les médiathèques des villes de moins de 15 000 habitants, on ne touche pas aux dispositifs de prêts d'instruments, on continue à développer Démos (ensemble rassemblant deux orchestres et composé de 160 enfants ndlr). On ne touche pas à tout ce qui fait que la culture est un levier de lutte contre l'exclusion, ce qui nous permet de "faire" Métropole.
LPB : Quelle analyse faites-vous de la hausse de 10% du budget culture annoncée par la Région Auvergne-Rhône-Alpes ?
CVS : Quand il y a eu des baisses significatives du soutien à la culture par la Région, je m'en suis ému, tout en disant que je respecte le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Cela étant, s'il faut commenter, je dirais que je n'y comprends rien, surtout, que je ne vois pas le chemin qui est fait entre les investissements et le fonctionnement. J'avais une grand-mère qui disait « quand c'est flou, il y a un loup ». Je n'ai pas encore trouvé le loup, mais j'ai identifié le flou.
J'ajoute que je trouve plus vertueux de maintenir des financements et d'interpeller sur les orientations plutôt que de baisser les soutiens d'un coup puis de les remonter progressivement pour que les acteurs culturels fassent exactement ce qu'on leur demande de faire. Par exemple, la Région a enlevé 500 000 euros de subventions à l'Opéra de Lyon puis leur a remis 200 000 euros sur un objet conçu exclusivement à la commande de la Région. Ce n'est pas notre manière de traiter les acteurs culturels. La liberté de création et la liberté de programmation font partie des basiques de notre exécutif.

LPB : Vous avez récupéré la Chapelle de la Trinité en gestion directe et le Transbordeur en DSP (délégation de service public) à la Ville de Lyon. Peut-on parler de continuité, ou de changements de cap en matière de cahier des charges ?
CVS : Je veux le remettre dans un contexte : on a augmenté d'1, 5 millions le budget pour la culture malgré les baisses, et en parallèle, on compte trois nouveaux équipements gérés par la métropole. Un, totalement nouveau, Les Grandes Locos qui représente 17 millions d'euros d'investissement.
La Chapelle de la Trinité était depuis 35 ans confiée à un même gestionnaire qui n'a pas démérité. Cependant, quand on confie un établissement public à une structure privée qui monétarise tout ou partie dans ce lieu, il faut le mettre en concurrence. Le tribunal administratif jugera car il semble que l'ancienne équipe veut aller jusque-là pour contester la décision de choisir un autre opérateur. Nous accordons toute notre confiance à Superspective et aux Concerts de l'Hostel Dieu qui ont su à la fois conserver l'esthétique baroque mais aussi ouvrir plus grand les portes de la chapelle, pour montrer que le baroque n'est pas réservé qu'à quelques-uns. C'était notamment cela le cahier des charges que nous avons établi étroitement avec la Ville de Lyon.
Il y a aussi cette fameuse DSP du Transbordeur située à Villeurbanne, qui était confiée à la Ville de Lyon qui déléguait à une DSP, ça faisait beaucoup d'interlocuteurs, donc ce n'est pas aberrant que la Métropole reprenne le bâtiment en gestion directe. Pour l'instant la seule chose qu'on a validé c'est le principe de la DSP. Celle-ci va être lancée courant avril pour retenir celui ou celle qui gérera le prochain Transbordeur pour cinq ans. On trouve que le travail qui est fait par les équipes actuelles est excellent mais cela ne préjuge pas de qui on va retenir. Je peux garantir qu'on n'a pas envie de perdre la qualité de la programmation actuelle, cette qualité de contact avec le jeune public... Là aussi, je ne vois pas de changement majeur sinon une simplification administrative et l'étoffement de notre offre culturelle en maîtrise d'ouvrage directe, en tout cas avec une gestion renforcée de la Métropole.
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LPB : Il y a un autre équipement qui devrait être lancé, la Cité internationale des arts du cirque. Où en est le projet ?
CVS : Les candidatures pour les architectes ont été lancées, analysées et on est dans la phase de notification de ces architectes qui, j'espère, ne tardera pas. On devrait avoir des nouvelles avant l'été. Pour autant, le festival UtoPistes se lance avec une programmation de très haut niveau, un chapiteau installé au parc de Parilly, beaucoup d'événements et un accompagnement qui avait été anticipé pour permettre au festival de préfigurer une saison de programmation au sein de cette Cité internationale des arts du cirque. On va investir 7 millions, en plus des 17 sur les Grandes Locos. En tout, ça fait 24 millions, et encore, il y a eu plein d'autres projets phare qui ont été réalisés. Je crois que ça dit quelque chose de la volonté de la Métropole. Cela et notre attitude pendant la période de crise que nous traversons ainsi que celle du covid : on fait en sorte d'incarner un acteur important de la culture, malgré un retard très important pris dans le passé et que nos opposants ne peuvent pas méconnaître.
LPB : Presque un an après le premier événement donné aux Grandes Locos, a-t-on plus de détails sur sa future gestion et programmation ?
CVS : C'est la bonne nouvelle de ce mandat parce que ce n'était pas prévu. C'est vrai qu'avec la fermeture des halles des anciennes usines Fagor, on avait besoin de retrouver un lieu pour les grands événements.
Il y a eu une phase d'occupation temporaire, les architectes ont été désignés pour réhabiliter la première des deux halles de ce site. La forme qu'elle aura demain reste à définir. Les premiers résultats sont excellents pour les trois événements qui s'y sont tenus. Pour les ressourceries des métiers culturels et pour les métiers du bâtiment, on devrait rapidement communiquer sur les délais d'ouverture, la tension budgétaire demande d'être prudent sur les annonces.
Tant que les travaux de la halle n°9 ne sont pas achevés on reste sur les trois événements programmés jusqu'à présent. Dès qu'elle sera réhabilitée on va augmenter l'offre programmatique sur ce lieu. On n'a pas encore choisi le mode de gestion, savoir si c'est la métropole qui le gèrera directement ou si on le confiera à un tiers, si on fera une DSP... Tout ça est ouvert et en discussion.
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LPB : Ce projet peut-il faire de l'ombre au futur Ninkasi, à La Saulaie ?
CVS : On était en lien avec le Ninkasi, on était prêts à les aider à faire une préprogrammation culturelle sur la période estivale en amont et en aval des Nuits sonores, mais aujourd'hui je vous invite à vous rapprocher des acteurs du Ninkasi pour savoir où ils en sont. Pour nous, il n'y a pas de concurrence car le Ninkasi dans son projet initial avait prévu une salle de concert de 800 à 900 places, la halle n°9 n'a pas vocation à se positionner sur du concert mais plutôt sur de l'événementiel et des esthétiques diverses, où on pourra y voir des expos, des événements ponctuels comme le festival du jeu qui a tenté de venir cette année, mais c'était un peu trop tôt.
LPB : Le Double-Mixte va cesser d'accueillir des programmations de nuits, le Woodstower devient un festival de soirée plus que de nuit et les Grandes Locos n'ont pour l'instant pas vocation à accueillir de programmation nocturne, contrairement aux anciennes halles Fagor... La fête est finie ?
CVS : La nuit pose une vraie question dans une métropole aussi dense que celle de Lyon. En tant que vice-président délégué à la culture je ne suis pas du tout fermé à ce qu'on lance un diagnostic sur le sujet.
On peut accepter ensemble que la question nocturne dans la métropole peut difficilement prendre toute sa place en extérieur donc il faut plutôt trouver des lieux qui permettent d'éviter les nuisances sonores. Cela fait partie d'une réflexion en cours avec la Ville de Lyon, celle de Villeurbanne et la Métropole pour trouver quelle offre on peut être amenés à développer pour trouver un train d'atterrissage pour des événements comme le Reperkusound. Il n'y a pas de volonté pour nous de supprimer les activités nocturnes, mais il y a aussi la volonté de respecter les attentes des riverains, des élus qui sont très sensibles à cette question-là.
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LPB : De nouveaux événements portés par des acteurs privés (Hypnotize par Fever, Brunch Electronik par Live Nation) s'installent dans la métropole. Parallèlement, les jeunes espaces de concerts privés tels que la LDLC Arena ou le Groupama stadium ont aussi modifié l'équilibre des salles de concert sur le territoire. Des acteurs historiques évoquent leur inquiétude quant à la concurrence que cela représente. Envisagez-vous éventuellement d'intervenir, de les aider autrement que par la subvention ?
CVS : Je l'ai déjà évoqué avec le maire de Lyon, je suis favorable à ce qu'on lance rapidement un diagnostic 360 sur l'offre et la programmation culturelle sur la métropole, notamment autour des lieux dédiés aux concerts et à la musique, car c'est sur ce secteur-là que la concurrence est la plus tendue, qu'on observe le plus d'appétence d'acteurs privés qui y voient des sources de revenus lucratives.
On a intérêt à être présents et à ne pas se faire écarter sous le prétexte de raisons financières, car on ferait alors face au risque de voir s'étendre des acteurs propriétaires de la totalité de la chaîne de valeur, capables d'influencer culturellement des territoires complets.
LPB : Dans la continuité de cette réflexion et en tant que maire de Villeurbanne, comment imaginez-vous le projet de l'Astroballe ? Ne risque-t-il pas, lui aussi, de fragiliser cet écosystème ?
CVS : Villeurbanne ne peut pas être la variable d'ajustement des politiques culturelles ainsi que des équipements de la Ville de Lyon. Je comprends l'alerte du maire de Lyon qui a dit « il y a déjà la LDLC Arena, il y a peut-être demain l'Astroballe, quid de la Halle Tony Garnier et de nos autres équipements ? ». Je réponds : pourquoi pose-t-on la question maintenant, quand la Ville de Villeurbanne dit qu'elle a un projet ? Personne n'a posé la question quand la LDLC Arena est arrivée, en tout cas pas suffisamment pour qu'on l'interroge, ni pour voter contre. J'ai voté pour, mais je ne suis pas le seul, l'ensemble de l'exécutif a voté pour.
Il y a un besoin pour nous, collectivités, d'être volontaires et de ne pas nous laisser imposer la question de la programmation musicale par les seuls acteurs issus du secteur privé. Pour ce faire, il faut garder la main dans la gouvernance. C'est en cela que je dis que l'Astroballe est un projet qui a du sens. On lance une SEMOP, qui est un véhicule juridique qui permet à la collectivité de rester extrêmement présente dans la gouvernance de cette structure et d'avoir les collectivités locales comme interlocuteurs, pas seulement des salles privées.