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Fantastiques Espagnols
Par Dorotée Aznar
Publié Vendredi 29 février 2008 - 1870 lectures
Photo : Abandonnée
Cinéma / C’est la tendance lourde de ce premier semestre : la consécration d’un cinéma fantastique espagnol débordant de créativité, comme le prouve cette semaine le début des Reflets du cinéma ibérique et latino-américain et la sortie en salles de L’Orphelinat. Christophe Chabert
Cette semaine, les Reflets du cinéma ibérique et latino-américain débutent avec comme fil rouge un cycle de sept films consacré au genre et baptisé Fantastic’artes, alors que L’Orphelinat, plus gros succès du box-office local et véritable bête de festival (dernier en date, Geradmer, où il a raflé le Grand prix), arrive enfin dans les salles françaises.
Mais dans les semaines à venir, la sortie de Crimes à Oxford, El Rey de la montaña, Los Cronocrimenes et l’extraordinaire Rec vont prouver le dynamisme et la diversité d’une production sans équivalent en Europe.Amenabar et De La Iglesia : une contre-culture cinématographique
En 1996 débarque sur les écrans le premier film d’un cinéaste espagnol d’à peine 22 ans, qui n’avait même pas réussi à obtenir son diplôme en audiovisuel à l’Université de Madrid.
Le cinéma espagnol est alors encore endolori par des années d’hibernation liées au franquisme et à la crise économique.
Avec un tout petit budget mais beaucoup d’idées et de savoir-faire, Alejandro Amenabar signe donc Tesis, thriller horrifique racontant la découverte par une étudiante d’un réseau de snuff movies au cœur de sa fac.
Écrit, réalisé et rythmé à la Carpenter, le film n’a pas à pâlir face à la production américaine, au contraire…
Et ce n’est pas pour rien si deux ans plus tard, le même Amenabar signera l’étonnant Ouvre les yeux, ambitieuse œuvre de science-fiction réaliste bientôt rachetée et remakée par un certain Tom Cruise, qui le transformera en Vanilla Sky.
Le même Tom Cruise mettra la main au portefeuille pour produire le troisième long du cinéaste, Les Autres, succès international et vraie réussite de fantastique gothique portée par une impressionnante Nicole Kidman.
Amenabar ne cache pas que dans sa jeunesse, il a plus regardé les classiques américains (notamment Shining de Kubrick) que ceux de Buñuel ou de Saura.
Car l’Espagne après Franco est encore dominée par le cinéma hollywoodien, et la culture des cinéastes qui débutent dans les années 90 est celle, iconoclaste, des films de genre dont ils connaissent les codes par cœur. Cela vaut aussi pour Alex De La Iglesia et ses délirants Action mutante et Le Jour de la bête, même s’il y ajoute des réflexions typiquement européennes sur la fièvre consumériste, l’aveuglement religieux ou le terrorisme idéologique.Une usine du fantastique
Bien que ces deux cinéastes aient su créer des univers puissants et singuliers, ils restent cependant des francs-tireurs, pas une «école» à part entière.
Il faut attendre 1999, pour que l’Américain Brian Yuzna, producteur heureux de séries B cultes comme Reanimator ou Society, décide de se délocaliser en Espagne, à Barcelone précisément, pour y monter des films encore moins chers.
Il crée alors Filmax, avec qui il produit et réalise quelques films très mineurs, sinon carrément pourris. Mais il fait aussi la rencontre de Julio Fernandez, et décide de lui confier les rênes d’une filière, Fantastic Factory, qui devra trouver des nouveaux talents espagnols et de leur laisser carte blanche pour développer leurs projets.
Sitôt dit, sitôt fait : le premier à sortir de cette «usine fantastique» est La Secte sans nom de Jaume Balaguero.
Coup d’essai et coup de maître, ce film traumatisant pose les bases de ce qui allait devenir la «spanish touch» du cinéma fantastique : une direction artistique impeccable, un goût pour les atmosphères suggestives et oppressantes, une prédilection pour des sujets forts (le deuil impossible, la quête identitaire et, surtout, la vision cauchemardesque de la famille comme une aliénation destructrice), subvertis par l’imagerie du cinéma de genre.
Balaguero confirmera ces promesses avec les excellents Darkness et Fragile, ouvrant la voie à une vague de cinéastes décomplexés, provocateurs et talentueux : Nacho Cerda avec Abandonnée, Paco Plaza avec Les Enfants d’Abraham, Koldo Serra avec l’inédit Backwoods…
À quelques fautes de goût près (le redoutable La Nonne), le catalogue de Fantastic Factory est à la fois brillant et cohérent ; chaque auteur y explore ses obsessions sans oublier de les rendre spectaculaires, angoissantes et dérangeantes.Une révolution par le frisson
Grâce à ce socle dynamique, le cinéma fantastique espagnol se ramifie encore : le Mexicain Guillermo Del Toro, entre deux films hollywoodiens, vient tourner ses œuvres les plus personnelles et les plus abouties en terre ibérique (L’Échine du diable et Le Labyrinthe de Pan), avant de devenir l’heureux producteur de L’Orphelinat.
Les réalisateurs espagnols, eux, sont sollicités à l’extérieur de leurs frontières, mais gardent une réelle intégrité artistique (comme l’a prouvé Juan Carlos Fresnadillo avec 28 semaines plus tard).
Surtout, ce cinéma arrive à une maturité telle qu’il peut aujourd’hui donner le «la» des grandes mutations esthétiques du genre.
Deux films vont bientôt le prouver : le génial Rec et l’étonnant Los Cronocrimenes.
Le premier opère une véritable révolution par une mise en scène inspirée de la téléréalité : une équipe de tournage se retrouve enfermée dans un immeuble barcelonais où un étrange virus transforme les habitants en zombies voraces.
Le second joue au contraire d’une adresse scénaristique et visuelle lui permettant de raconter son étonnante histoire de voyages dans le temps sans avoir recours au moindre effet spécial.
Ces deux merveilles ont en commun d’être à la fois infiniment respectueuses des genres qu’elles abordent tout en les renouvelant en permanence, redoublant ainsi les émotions du spectateur.
Qui, en Espagne, les reçoit avec le même entrain que nos braves gens du Nord le dernier Dany Boon.
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