De Frederick Wiseman (Fr, 2h38) documentaire
Près de quinze ans après avoir suivi l'American Ballet Theater de New York, Frederick Wiseman se confronte à nouveau à sa passion de la danse classique en plongeant dans les arcanes de la fameuse institution française. Son modus operandi demeure le même : une immersion totale, en équipe restreinte, jusqu'à ce que la caméra soit oubliée par ses sujets. Le tout pour un rendu sec, à la distance savamment calculée, dont le montage kaléidoscopique se charge d'étayer le point de vue. En l'occurrence, ici, dévoiler le fonctionnement autarcique de ce rouleau compresseur artistique sous la férule de sa directrice, l'imposante Brigitte Lefèvre. Si Wiseman dispense avec générosité des extraits de répétitions ou de représentations en un sidérant who's who de la chorégraphie contemporaine (Wayne McGregor, Rudolf Noureev, Angelin Preljocaj, Pierre Lacotte, Sasha Waltz, Mats Ek, Pina Bausch, rien que ça), il scande sa narration de pauses nous montrant l'envers du décor, de l'élaboration des costumes au nettoyage - sans oublier de nous rappeler l'écrasante machine administrative et ses impératifs, derrière le rêve. L'ensemble exprime certes la déférence du réalisateur pour l'institution, mais Wiseman capte en filigrane le caractère rugueux de son exigence, de l'implication aliénante des danseurs à sa hiérarchie bien spécifique (voir à cet égard l'éclairante séquence liée à la modification du statut de l'intermittence et ses incidences...). La durée du film, sa forme comme son absence revendiquée de commentaires directs rebuteront sans doute, mais pour peu qu'on s'intéresse un minimum au sujet, le résultat est fascinant.
François Cau