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Poussant son art si singulier de la mise en scène jusqu'à des sommets de raffinement stylistique, Wes Anderson ose aussi envoyer encore plus loin son ambition d'auteur, en peignant à hauteur d'enfant le sentiment tellurique de l'élan amoureux. Christophe Chabert
Revoici Wes Anderson, sa griffe de cinéaste intacte, dès les premiers plans de Moonrise kingdom. Sa caméra explore frontalement une grande demeure comme s'il visitait une maison de poupée dont il découperait l'espace en une multitude de petits tableaux peuplés de personnages formidablement dessinés. Au milieu, une jeune fille aux yeux noircis au charbon, cousine pas si lointaine de Marion Tenenbaum, braque une paire de jumelles vers nous, spectateurs. Ce n'est pas un détail : d'observateurs de ce petit théâtre, nous voilà observés par cette gamine énigmatique, dont on devine déjà qu'elle a un train d'avance sur les événements à venir.
L’art de la fugue
Par ailleurs, la bande-son se charge, via un opportun tourne-disque, de nous faire un petit cours autour d'une suite de Benjamin Britten. Où l'on apprend que le compositeur, après avoir posé la mélodie avec l'orchestre au complet, la rejoue façon fugue en groupant les instruments selon leur famille. Là encore, rien d'anecdotique de la part d'Anderson. Cet instant de pédagogie vaut règle du jeu du film à venir, où il est question d'enfance (qui n'est pas un jeu), de fugue (qui n'est pas musicale) et de leçon (de vie ensemble, en couple, en camp scout, dans une communauté insulaire). Ludique, Moonrise kingdom l'est au plus haut point, mais jamais là où on l'attend. Dans la mise en scène fourmillante de trouvailles et d'idées qui sait, chose rare, allier dans le même mouvement effets de style particulièrement reconnaissables — même les ralentis, magnifiques chez le cinéaste, qui se font désirer, finissent par débarquer in extremis — et pensée du récit par la caméra ; dans ledit récit, qui se promène dans le temps et l'espace, faisant surgir un narrateur face caméra jusqu'à le faire interagir avec les protagonistes - c'est Bob Balaban, qui autrefois offrit lui-même un des plus beaux et troublants films sur l'enfance, Parents ; mais surtout, et c'est en cela que Moonrise kingdom figure une nouvelle avancée décisive dans l'œuvre d'Anderson après son déjà remarquable Darjeeling limited, dans la capacité de raconter une vraie grande et belle histoire d'amour en se focalisant sur deux enfants et en confrontant leurs sentiments, absolus, sincères, gigantesques, avec les forces d'une nature elle aussi déchaînée.
Coup de foudre
Annoncée dès le départ, la tempête qui se lève n'a rien de biblique, au contraire. Ce n'est ni une épreuve, ni un obstacle à l'amour que se portent Jack et Suzy, mais la matérialisation de ce lien indestructible qui peut en effet relever du coup de foudre, de la tornade ou du torrent, tous convoqués dans le film. Le reste du monde, lui, se dissout peu à peu dans la solitude ou les conventions étriquées - nous sommes en 1965, la révolution des mœurs n'est pas encore passée par là. Le couple en crise formé par Frances Mac Dormnd et le fidèle Bill Murray, le flic désabusé incarné par Bruce Willis, le chef scout rigide joué par Edward Norton : que des figures d'adultes englués dans un quotidien terne, qui tournent en rond dans tous les sens du terme sur cette île de la Nouvelle Angleterre. Que peuvent-ils faire face à ces gosses qui, soudain, sont traversés par un désir qui renverse tout sur son passage ? C'est là où Moonrise kingdom s'avère sublime : laissant la comédie (souvent hilarante) aux grands et les choses sérieuses (bouleversantes, car filmées dans ce qu'elles ont de plus simples et universelles) aux enfants. Comme dans la musique de Britten, il fallait cette grande évasion en solitaire pour que la communauté se réunisse, il fallait que l'on aime tous les personnages séparément pour apprécier pleinement la totalité de cette symphonie fantastique qu'a composée Wes Anderson.
Moonrise kingdom
De Wes Anderson (ÉU, 1h33) avec Bruce Willis, Edward Norton, Bill Murray, Frances MacDormand, Tilda Swinton…
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