Leviathan

Léviathan
D'Andreï Zviaguintsev (Russie, 2h21) avec Alexeï Serebriakov, Elena Liadova, Vladimir Vdovitchenkov…

De la farce noire à la tragédie en passant par le polar mafieux, Andreï Zviaguintsev déploie un étourdissant arsenal romanesque pour faire le portrait d’une Russie gangrenée par la corruption, où sa mise en scène atteint un point de perfection vertigineux. Christophe Chabert

Quelque part, dans un bout de Russie oublié de tout, se joue un drame minuscule aux échos majuscules. Kolia vit avec sa seconde femme et son fils au bord de la mer de Barents, dans une vieille maison que convoite le maire de la ville. Condamné à être expulsé, il fait appel à un avocat moscovite pour tenter d’infléchir la décision de la justice. Comme dans un western, cet étranger débarque en territoire inconnu et sa présence va bouleverser une micro-société déjà divisée, précipitant la tragédie tout en révélant les mœurs du pouvoir local.

Sujet ô combien politique qu’Andreï Zviaguintsev va aborder par d’imprévisibles ruptures de ton. Lui, le cinéaste austère et grave du Retour et d’Elena, choisit de traiter toute la première partie comme une farce noire où les personnages, régulièrement imbibés de vodka, sont comme les reflets tordus et hilarants de la Russie éternelle, celle de Tchekhov ou de Mikhalkov, dont Leviathan serait l’antidote parfait. La caricature des édiles locaux, que ce soit le maire alcoolique et adepte de parties fines, ses adjoints idiots ou ce pope aux allures de parrain mafieux, jette ainsi un regard sardonique sur la corruption qui gangrène le pays.

Mais chez Zviaguintsev, la peinture sociale n’est jamais manichéenne : Kolia néglige sa belle et jeune épouse, a abdiqué son autorité sur son fils, et ses amis ne trouvent rien de mieux à faire qu’une partie de tir sur les portraits des dirigeants russes, de Lénine à Eltsine — Poutine est épargné car «il manque le recul historique».

Violence et passions

Le récit, qui s’inspire du Livre de Job, fait donc s’abattre sur Kolia une pluie de calamités dont il est parfois l’agent involontaire, parfois la victime expiatoire. Petit à petit, et après un détour inattendu par le polar, le film vire à la tragédie, mais le lyrisme de la mise en scène de Zviaguintsev, cette capacité à magnifier chaque plan par un sens exceptionnel du cadre, de la lumière et du son, refuse tout pathos. Le combat est ici autant celui de Kolia contre les autorités, que celui d’une nature majestueuse brutalement dérangée par les passions humaines : un suicide est ainsi raconté à travers une simple collure qui relie le plan d’un visage à celui d’une mer déchaînée.

Ce genre de fulgurances est courant dans Leviathan, dont la perfection stylistique vient encore enrichir un scénario d’une remarquable richesse romanesque, capable de rassembler dans une alchimie invisible humour trivial et allégorie mythologique.

 

Leviathan
D’Andreï Zviaguintsev (Russie, 2h21) avec Alexeï Serebriakov, Elena Liadova…

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