Très loin de se limiter à une chronique de l'anorexie — trouble qu'il décrit par ailleurs avec une admirable pudeur — le premier long métrage de Sanna Lenken capte de l'enfance une infinité de nuances. Sensible, et sans sensiblerie.
Comment évoquer l'anorexie au cinéma sans tomber dans le tire-larmes ni le documentaire clinique et mortifère ; sans donner l'impression non plus que l'auteur s'est servi de son scénario pour évacuer un trauma personnel, en maquillant une période douloureuse mais surmontée en fiction ? La réponse qu'apporte Sanna Lenken avec My Skinny Sister est aussi simple que réconfortante : en rejetant la question de l'anorexie au second plan.
Parce qu'un film n'est en rien unidimensionnel : son intrigue gagne même en épaisseur dramatique lorsqu'elle s'inscrit dans une perspective plus complexe, emboîtée. En donnant à voir l'évolution de la maladie d'une jeune fille à travers les yeux de sa petite sœur, non seulement la réalisatrice oppose à une frontalité brute et voyeuriste un traitement divergé plus délicat (et plus adapté, lorsqu'il s'agit de filmer des enfants), mais surtout elle "donne vie" à ces deux immenses personnages que sont Katja, la grande sœur et Stella, la petite. Aucune n'est le faire-valoir de l'autre ; chacune dispose d'une vraie densité. Et la ligne sinueuse de leur relation suit un fil subtil, à partir duquel se tisse un récit sobre.
Et elle mange, à la faim ?
On observe donc l'installation progressive du trouble de l'alimentation chez Katja en épousant le regard candide de Stella. D'abord admirative (voire jalouse) des succès de la brillante patineuse élancée, la puînée boulotte et complexée va glisser dans l'effroi lorsqu'elle comprendra, la première, que Katja se met en péril. Stella doit accomplir une forme de trahison sororale pour la sauver — un sacrifice considérable à son échelle — au risque de renoncer à quelques-uns de ses rêves de gamine. D'autant que révéler la maladie de sa sœur la condamne à vivre un calvaire en parallèle : obnubilés par la santé précaire de l'aînée, ses parents la négligent, oubliant qu'elle a besoin, elle aussi, d'être choyée et entourée.
Une situation d'une profonde injustice, qui n'est pas sans rappeler L'Incompris (1967) : avec la même finesse que Luigi Comencini, Sanna Lenken parvient à rendre perceptible le ressenti inexprimé d'un enfant abandonné au milieu des siens. Venu de Suède en toute discrétion, My Skinny Sister révèle une cinéaste attentive à ses personnages, en paix avec son passé, et à qui l'on espère un futur... nourri.
My Skinny Sister
De Sanna Lenken (Su/All, 1h35) avec Rebecka Josephson, Amy Deasismont, Annika Hallin...