Au Festival Lumière, Si "Lune froide" m'était conté…

Festival Lumière / Une résurrection, à l’âge christique. Trente-trois ans après son tournage, le premier long de Patrick Bouchitey Lune Froide ressort en version restaurée sous la bannière Malavida. Il s’offre auparavant une avant-première festivalière, nanti du label Lumière Classics. Souvenirs de sa naissance…

Subversif ? Affirmatif ! pourrait-on dire de Lune Froide à l’instar de Gainsbourg. Mais pouvait-il en être autrement ? Signé par Patrick Bouchitey — comédien révélé par Miller et Cavalier, jouissant à l’époque de la notoriété acquise par son rôle de curé chantant dans La Vie est un long fleuve tranquille et ses détournements de documentaires animaliers — ; adapté de deux nouvelles du sulfureux (et éthylique) Bukowski évoquant (notamment) une aventure nécrophile ; tourné dans un somptueux noir et blanc à une époque où ce genre d’excentricité tenait de l’exception ; doté d’une B.O. mariant des variations sur les Kinks (Chauffez les gamelles) ou les Beatles (Les p’tites bites) avec Didier Lockwood et Hendrix, cette balade de deux semi-paumés était tout sauf orthodoxe dans le paysage des années 1980 expirantes.

Transgression supplémentaire (et inattendue), c’est Luc Besson qui mit la main au portefeuille pour l’aider à voir le jour — ou plutôt la nuit car « le film n'existerait pas sans la lune, il faut lui rendre hommage ! » s’éclaire le producteur, toujours aussi emballé : « C’est un très bon souvenir. Bouchitey est un être un peu à part. Il était venu avec son projet que je trouvais assez incroyable, improbable, impossible à faire — donc ça m'a excité (rires). On s'est bien entendus — en plus, je connaissais bien Stévenin [NdlR : l’autre interprète principal] puisque j’avais été assistant sur Deux lions au soleil (1980) de Claude Faraldo. Ça a été assez facile pour moi : le film n’était pas très cher et nous on était dans une période où on faisait plein de films qui marchaient donc on avait les sous. On l'a produit tout de suite et il s'est fait en quelques semaines. Ensuite, il est allé à Cannes, en compétition. Et il y avait une affiche incroyable que j’aimais beaucoup. »

Lune ou l’autre

Confiée à l’illustratrice Marie Roubenne, celle-ci représente des personnages grotesques, sortes de chibis grimaçants et bariolés des héros, très en rupture avec l’esthétique du film. Une décision que le photographe Jean-Claude Chuzeville peine encore à comprendre. « j'aurais tellement aimé savoir pourquoi il avait choisi ça, alors que les images prises sur place lui correspondaient beaucoup plus ». Dans son studio croix-roussien, il dévoile ses tirages d’époque. Au départ — comme souvent avec lui — c’était une histoire de potes : sachant qu’il faisait du noir et blanc, Patrick lui avait demandé d’être still photographer, comme on dit à Hollywood. « Mais j’avais été clair : je ne voulais pas faire de “photos de plateau“, plutôt “choper les mecs“. » L’aventure va durer deux mois entre Lorient et Beauduc en Camargue (avec un peu de studio à Paris) — un luxe inimaginable aujourd’hui.

Chuzeville flaire vite qu’il arrive dans une équipe déjà soudée par le court-métrage homonyme tourné un an auparavant ; son approche “à la marge“ lui permet de ne pas gêner leur boulot et d’avoir une quantité insolente d’images originales — enfin, quand il arrive à cadrer Bouchitey, accaparé par sa double casquette — Stévenin étant plus disponible. Se qualifiant volontiers de rigolo, le photographe est « scié » par la rigueur émanant du tournage : « le degré de concentration, le mal qu’ils se font… Jean-François, il souffrait ! » Capturant l’intensité de ces instants, ses images racontent une autre histoire sous l’histoire du film. Douce ironie, c’est celle qu’il rêvait pour l’affiche jadis qui a été choisie pour la ressortie de 2023. La photo est un art qui se déguste froid. Comme la lune.

Lune Froide en présence de Patrick Bouchitey
Au Comœdia le mercredi 18 octobre à 20h et au Lumière Terreaux le jeudi 19 à 21h15

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