Par Mohamed Rachid, expert-comptable et Dominique Séon, expert-comptable et commissaire aux comptes / Si les entreprises et leurs partenaires ont une notion assez précise de la comptabilité financière, la comptabilité extra-financière est devenue de plus en plus importante ces dernières années et la tendance va s’accentuer.
La comptabilité financière : l’objectif principal de la comptabilité financière est de fournir une image fidèle et précise de la situation de l’entreprise à un moment donné, ainsi que de ses performances passées et présentes. Elle se concentre sur les chiffres et les données financières : bilan, compte de résultat, tableau de flux de trésorerie et sur les indicateurs financiers clés tels que le chiffre d’affaires, la marge bénéficiaire…
Les principales parties prenantes de la comptabilité financière sont les investisseurs, les créanciers, les actionnaires, les régulateurs et les analystes financiers et bien évidemment l’administration fiscale, la comptabilité constatant les flux et les résultats, base de la TVA, de l’impôt sur les sociétés…
Certains reprochent à cette comptabilité de fournir une information restreinte et court-termisme. La dimension économique et la rentabilité priment.
La comptabilité extra-financière : l’objectif principal de la comptabilité extra-financière est de mesurer, d’évaluer et de communiquer la performance de l’entreprise dans les domaines environnementaux, sociaux et de gouvernance. Elle vise à évaluer l’impact global de l’entreprise sur la société et l’environnement, en mettant l’accent sur des facteurs non strictement financiers. La complexité provient de la mesure de ces critères.
En résumé, la comptabilité financière se concentre sur les aspects financiers de l’entreprise, alors que la comptabilité extra-financière examine des aspects qui vont au-delà des chiffres financiers traditionnels.
Les deux formes de comptabilité sont complémentaires et contribuent à fournir une image de la performance globale d’une entreprise.
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est devenue un enjeu majeur pour les entreprises. En effet, les consommateurs, les investisseurs, les salariés et les pouvoirs publics sont de plus en plus attentifs à l’impact des entreprises sur la société et l’environnement.
Les entreprises qui adoptent une démarche RSE sont mieux positionnées pour répondre aux attentes de leurs parties prenantes et pour créer de la valeur à long terme. Elles peuvent ainsi pérenniser leur activité en limitant leur exposition aux risques, faire évoluer leur modèle en s’appropriant ces opportunités, améliorer leur image de marque en interne et externe.
Voici quelques exemples d’actions RSE que les entreprises peuvent mettre en place :
– environnement : réduction de la consommation d’énergie, recours aux énergies renouvelables, recyclage des déchets, etc.
– social : création d’emplois de qualité, promotion de la diversité et de l’inclusion, formation et développement des compétences, respect des droits des travailleurs, évaluation de la qualité de vie au travail…
– sociétal : soutien aux projets locaux, philanthropie…
Les entreprises peuvent choisir les actions RSE qui sont les plus pertinentes pour elles en fonction de leur taille, de leur secteur d’activité, de leurs moyens et de leurs valeurs.
Les grandes entreprises s’engagent en faveur de la RSE. Ainsi, Carrefour s’engage à réduire son impact environnemental, à promouvoir une alimentation saine et durable et à soutenir les producteurs locaux. EDF s’engage à produire une énergie propre et renouvelable, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre et à soutenir la transition énergétique. En 2022, Danone a annoncé son objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2030. L’entreprise s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici 2025 par rapport à 2015, et à compenser les émissions restantes en investissant dans des projets de protection de l’environnement.
Pour les TPE-PME, le chantier est plus complexe. D’après le baromètre du Mouvement des entreprises de France (chiffres 2022) sur la perception de la RSE : 82 % des entreprises manquent de temps pour accélérer leur démarche RSE ; 51 % estiment la démarche trop coûteuse et n’ont pas de budget dédié ; 35 % estiment que le manque d’information sur les sujets RSE est un frein dans la mise en œuvre de la démarche.
Cependant, la prise en compte de cette réglementation va rapidement s’imposer compte tenu de la volonté politique et de l’importance du nombre de TPE-PME. Le calendrier est relativement serré. La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive ou Directive européenne sur la publication d’informations extra-financières pour les grandes entreprises) a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 16 décembre 2022. Elle entrera progressivement en application à compter du 1er janvier 2024 pour les entreprises les plus importantes, une application différée étant prévue pour les autres.
La CSRD vise à favoriser la transition vers une économie mondiale durable, tenant compte de la justice sociale et de la protection de l’environnement, en améliorant le contenu des rapports de durabilité.
Cette obligation vise dans un premier temps toutes les entreprises (50 000 sociétés identifiées) qui réunissent deux des trois conditions suivantes :
• plus de 250 salariés ;
• un total de bilan supérieur à 20 millions d’euros ;
• un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros.
Les données générées par les entreprises sont une mine d’or pour établir cette comptabilité extra-financière. Ainsi, la DSN (déclaration sociale nominative) fournit les données suivantes, qui sont des indicateurs du climat social dans l’entreprise : le taux d’absentéisme, la mesure du turn-over, l’emploi de personnel issu de zones sensibles, les arrêts de travail par rapport à l’effectif, le taux de départ et la durée dans le poste, le lieu de naissance ou de résidence.
De même, le fichier des écritures comptables que tout logiciel comptable génère peut donner des indications sur le partage de la création de valeur, la contribution de l’entreprise à l’éducation et à la formation, le profil CO2 sur la base de l’agrégation des comptes de charges confrontés aux facteurs d’émission CO2 de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Et demain, la facture électronique alliée à l’intelligence artificielle offrira des données qui enrichiront ces analyses.
La comptabilité extra-financière est bien plus qu’une simple tendance passagère. Elle est en train de devenir un élément essentiel de la gestion d’entreprise moderne, permettant de développer une vision plus complète de leur performance et de répondre aux attentes croissantes de leurs parties prenantes.
En intégrant les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance, les entreprises peuvent non seulement attirer les jeunes talents, mais aussi créer de la valeur à long terme pour elles-mêmes et pour la société dans son ensemble.
La comptabilité extra-financière n’est pas seulement un devoir citoyen, c’est une opportunité pour les entreprises de prospérer dans un monde en évolution rapide.
Les professionnels du Chiffre (experts-comptables et commissaires aux comptes) se sont bien évidemment saisis de cette opportunité d’accompagner les entreprises dans ces approches ou obligations. Les TPE-PME ont un rôle important à jouer dans cette indispensable évolution. Au nombre de 3, 8 millions, elles représentent 99, 7 % des entreprises françaises, emploient la moitié des salariés, produisent un tiers du chiffre d’affaires des sociétés et 14 % des émissions à effet de serre. Ces entreprises voient leur quotidien impacté par ces évolutions et leur appartenance à la chaîne de valeur (en tant que sous-traitant par exemple) incite à l’action. Bonne nouvelle : ces professionnels sont à leurs côtés pour les sensibiliser, les accompagner et diffuser les bonnes pratiques.
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