Permis de construire et périmètre de protection d'un monument historique : que dit la loi ?

Par Me Laura Punzano, avocat au Barreau de Grenoble / Au-delà de la protection même des monuments historiques, inscrits ou classés, le Code de l’urbanisme et le Code du patrimoine imposent certaines prescriptions aux bâtiments les entourant. En pratique, est observée une protection au-delà des abords de ces monuments historiques, obligeant alors les porteurs de projets à une vigilance particulière afin que les travaux s’insèrent au mieux dans l’environnement.

Une protection au titre des abords des monuments historiques

Elle a le caractère de servitude d’utilité publique affectant l’utilisation des sols dans un but de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel. Cette servitude est annexée au plan local d’urbanisme et est donc opposable aux demandes d’autorisation d’occupation du sol.

La protection au titre des abords s’applique :

– à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l’autorité administrative dans les conditions fixées à l’article L. 621-31 du Code du patrimoine. Ce périmètre peut être commun à plusieurs monuments historiques ;

– en l’absence de périmètre délimité, à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de 500 mètres de celui-ci ;

– à toute partie non protégée au titre des monuments historiques d’un immeuble partiellement protégé.

Limite à signaler

Cette protection des abords n’est pas applicable aux immeubles ou parties d’immeubles protégés au titre des monuments historiques ou situés dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable classé en application des articles L. 631-1 et L. 631-2 du Code du patrimoine.

Indissociables de l’espace qui les entoure, les monuments historiques aux abords de projets de construction emportent des conséquences juridiques non négligeables : tous les travaux à l’intérieur du périmètre de 500 mètres ou susceptibles de modifier l’aspect des abords du bâtiment sont soumis à autorisation préalable et doivent avoir recueilli l’avis de l’architecte des bâtiments de France (ABF).

Le permis de construire, le permis d’aménager, le permis de démolir et l’absence d’opposition à déclaration préalable peuvent tenir lieu d’autorisation de travaux sur un immeuble situé dans les abords d’un monument historique. La délivrance de cette autorisation est soumise à l’appréciation de l’ABF qui délivre, selon la nature du projet, soit un accord (avis conforme), soit un avis simple.

À noter qu’en dehors des sites patrimoniaux remarquables et dans les périmètres de 500 mètres autour d’un monument historique mais en dehors du champ de visibilité, l’architecte des bâtiments de France émet un simple avis qui peut être assorti de recommandations ou d’observations destinées à l’autorité compétente.

Ces règles protectrices freinent en pratique les projets de construction ou rénovation : c’est ainsi que Catherine Belrhiti, sénatrice de la Moselle, propose d’envisager un périmètre plus restreint, donnant ainsi plus de sens à la notion « d’abords », en réduisant l’étendue de ce périmètre de 500 à 100 mètres aux abords dans les communes de plus de 1 000 habitants (cf. texte n° 735 de Catherine Belrhiti, déposé au Sénat le 27 juin 2022).

Afin de faciliter la réalisation d’ouvrages jugés prioritaires au regard notamment des objectifs de couverture numérique du territoire ou de lutte contre l’habitat indigne, la loi Élan a assoupli le contrôle de l’ABF sur certains types de projets. En effet, l’autorisation de travaux n’est soumise qu’à un avis simple de l’ABF lorsqu’elle porte sur :

– des antennes relais de radiotéléphonie mobile ou de diffusion du très haut débit par voie hertzienne et leurs systèmes d’accroche ainsi que leurs locaux et installations techniques ;

– des opérations relatives à l’habitat dans des installations insalubres ou impropres ;

– des mesures prescrites pour les immeubles à usage d’habitation déclarés insalubres à titre irrémédiable ;

– des mesures prescrites pour des immeubles à usage d’habitation menaçant ruine, ayant fait l’objet d’un arrêté de péril et assorti d’une ordonnance de démolition ou d’interdiction définitive d’habiter.

Point sur la notion de covisibilité

La covisibilité du monument et de l’immeuble soumis au régime de protection des abords peut être constatée depuis tout emplacement normalement accessible au public, fut-il situé en dehors du périmètre de 500 mètres. Le Conseil d’État souligne qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’encadre la distance entre le point de vue et l’immeuble classé ou inscrit. Toutefois, seules les constatations pouvant être effectuées à l’œil nu sont recevables.

Ainsi, l’existence d’une covisibilité révélée par l’utilisation d’un appareil photographique muni d’un objectif à fort grossissement n’a pas pour effet de soumettre un projet de construction au régime de protection des abords (Conseil d’État, Société M2B, 5 juin 2020, n° 431994).

Une protection étendue au-delà des abords des monuments historiques

Quid d’un immeuble situé à plus de 500 mètres d’un monument historique ?

S’il n’est pas soumis aux règles protectrices énoncées supra, reste que le service instructeur devra veiller à examiner si le projet de construction prévoit une insertion suffisante dans son environnement afin de respecter l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, lequel dispose : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ».

Pour rechercher l’existence d’une atteinte de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

À ce titre, le juge administratif a déjà pu confirmer la possibilité de tenir compte de la covisibilité du projet avec un élément remarquable situé dans son environnement, même s’ils sont éloignés l’un de l’autre par une distance supérieure à 500 mètres : « Pour apprécier aussi bien la qualité du site que l’impact de la construction projetée sur ce site, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d’autres législations. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que le critère de covisibilité avec des monuments historiques ne pouvait être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme en raison de l’implantation du projet en dehors du périmètre de protection résultant des articles L. 621-30 et L. 621-31 du Code du patrimoine, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit » (Conseil d’État, 22 septembre 2022, ministre de la Transition écologique, n° 455658).

En conclusion, tout projet de construction doit nécessairement s’insérer dans son environnement en tenant compte de l’existence des monuments historiques situés à proximité, en situation de covisibilité, et ce même si juridiquement le lieu d’implantation n’est pas situé dans le périmètre des abords !

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