Terrain glissant pour les propriétaires perchés

Par Me Jean Boisson, avocat au Barreau de Chambéry / Qui n’a jamais rêvé de se réveiller chaque matin dans sa maison perchée sur une colline ensoleillée ? Pour ce couple de retraité, ce rêve, devenu réalité il y a plus de cinquante ans, s’est transformé en véritable cauchemar en mars dernier à la suite d’un arrêt de la cour d’appel de Chambéry. Ce cauchemar pourrait bien concerner tous les propriétaires dont le bien immobilier se situe en amont d’une autre construction.

L’érosion naturelle peut coûter très cher au propriétaire situé en amont : c’est la mésaventure qui arrive à Monsieur et Madame C, condamnés à payer à leur voisin situé en aval, la somme de 245 000 euros pour sécuriser son immeuble des éboulements liés à l’érosion naturelle de la colline de Tresserve, en Savoie. Ces glissements de terrain sont considérés par la cour d’appel de Chambéry comme constituant un trouble anormal de voisinage.

Description des faits

Un couple de nonagénaire est propriétaire d’un tènement immobilier situé sur la colline de Tresserve (Savoie). En contrebas de leur parcelle a été édifié un grand immeuble en copropriété construit dans les années soixante.

Après avoir constaté à la suite de forts épisodes orageux, la survenance de glissements de terrains successifs à l’arrière du bâtiment, provenant de l’amont, au cours des années 2011, 2012 et 2013, le syndicat des copropriétaires a mis en cause la propriété de M. et Mme C., et leur a demandé de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux glissements répétés.

Les échanges intervenus entre les assureurs respectifs des parties n’ont pas permis d’aboutir à une solution amiable. C’est dans ce contexte qu’une expertise judiciaire a été ordonnée.

Les causes des éboulements selon l’expert judiciaire

L’expert judiciaire a relevé que pour réaliser la construction de l’immeuble en copropriété en aval, le constructeur a supprimé la butée de pied de la colline, sans compensation par la réalisation d’un ouvrage de soutènement. Il a également relevé que la colline de Tresserve est sujette à un phénomène d’érosion naturelle. En conséquence, l’expert judiciaire en a conclu que « l’origine des désordres est un phénomène naturel aggravé par la construction de l’immeuble ».

Le procès

Le syndicat des copropriétaires a engagé un procès à l’encontre des époux C. et leur compagnie d’assurances pour tenter de les condamner à payer la somme de 185 000 euros au titre des frais de sécurisation de son immeuble en copropriété situé en aval et 60 000 euros au titre de l’indemnisation des préjudices déjà subis.

Le tribunal judiciaire de Chambéry a jugé en avril 2021 que les circonstances et les fautes commises à l’occasion de la construction de l’immeuble en copropriété étaient à l’origine du préjudice du demandeur, et que les époux C. n’avaient pas à être condamnés pour sécuriser l’immeuble.

Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel de ce jugement.

La cour d’appel de Chambéry a pris le contrepied du tribunal judiciaire, et a condamné les époux C. à payer 245 000 euros, dont seuls 60 000 euros seront pris en charge par leur compagnie d’assurances.

Ils doivent ainsi payer les travaux de sécurisation de 185 000 euros.

Pour statuer en ce sens, la cour d’appel a jugé qu’en application de la théorie des troubles anormaux de voisinage, le propriétaire d’un terrain situé en amont est responsable, même en l’absence de toute faute de sa part, des dommages causés à son voisin par un phénomène naturel tel que l’érosion, qui prendrait sa source totalement ou partiellement sur son propre terrain.

Cette décision a un enjeu fort dans notre région puisqu’elle est rendue par la cour d’appel de Chambéry qui statue en cause d’appel sur les litiges de Savoie et Haute-Savoie, dont la topographie vallonnée et montagneuse pourrait être source de nombreux contentieux entre propriétaires amont et aval.

Les époux C. ont formé un pourvoi en cassation, qui est toujours en cours d’instruction.

De nombreuses interrogations soulevées

Sur l’exclusion de la force majeure

Dans cette affaire, les glissements de terrain récurrents se produisaient plutôt lorsque les intempéries étaient importantes.

Ainsi, la cour d’appel a considéré que si les glissements de terrain ne sont pas la conséquence d’un événement météorologique exceptionnel, il ne peut pas être justifié d’un cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

Sur la condamnation malgré l’absence de faute du propriétaire en amont

Les époux C. ont entretenu normalement leur parcelle de bois ; ils n’ont jamais réalisé de construction ou d’ouvrage ayant pu favoriser un glissement de terrain.

La cour d’appel a d’ailleurs souligné l’absence de faute des époux C. dans la survenance des éboulements.

Cependant, se fondant sur la théorie des troubles anormaux de voisinage, la cour d’appel a retenu la responsabilité des époux C. du seul fait de leur qualité de propriétaire de la parcelle située en amont.

Sur l’absence de responsabilité du propriétaire en aval

Dans cette affaire, la cour d’appel a considéré qu’il n’est pas démontré par l’analyse de l’expert judiciaire que la construction de l’immeuble aurait été fautive et serait la cause des dommages, ni qu’elle aurait aggravé le phénomène, mais seulement qu’elle a pu, sans qu’il puisse être catégorique, en accélérer le processus par les terrassements réalisés à l’origine et par l’absence de mur de soutènement.

La cour d’appel a également considéré que les terrassements réalisés lors de la construction et l’absence de mur de soutènement n’ont généré aucun dommage pendant cinquante ans, de sorte que le lien de causalité allégué entre ces éléments et les dommages subis par la copropriété à partir de 2011 est bien hasardeux, quand bien même le temps nécessaire au mouvement du terrain peut expliquer ce décalage temporel.

Sur les interrogations en suspens

La Cour de cassation, si elle ne confirme pas cet arrêt, va peut-être préciser certains éléments juridiques et notamment :

– Est-ce qu’un glissement de terrain crée par l’érosion naturelle est un trouble anormal de voisinage ?

– Est-ce que quelqu’un doit systématiquement répondre de l’érosion naturelle ?

– À quel propriétaire, amont ou aval, imputer juridiquement et financièrement les conséquences de l’érosion naturelle ayant entraîné un trouble anormal de voisinage constitué par un glissement de terrain ?

– Peut-il y avoir un éventuel partage de responsabilité entre les deux propriétaires aval et amont ?

Conclusion

En l’état, la décision de la cour d’appel de Chambéry doit alerter tous les propriétaires de parcelles ou de constructions en amont et leurs assureurs qui pourraient voir leur responsabilité engagée.

Cette réponse judiciaire concerne aussi l’ensemble des acteurs de l’immobilier dans nos régions de collines et montagnes : notaires, agents immobiliers, architectes, promoteurs, constructeurs…

Il va être compliqué d’identifier les limites du devoir de conseil dans le cadre des constructions et des transactions portant sur des biens se trouvant dans des conditions topographiques ou géologiques similaires.

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