Le règlement d'une succession transfrontalière

Me Laure Belleraud, notaire / « Dans ce monde, rien n’est certain, sauf la mort et les impôts », écrivait Benjamin Franklin. La transmission du patrimoine par décès et sa fiscalité sont en effet étroitement liées. Le règlement civil et fiscal de la succession peut se révéler d’autant plus complexe lorsque les règles de droit de plusieurs pays sont en concours. Une fréquente dans des zones frontalières comme la Haute-Savoie, voisine de la Suisse.

Quand un défunt a un pied entre plusieurs pays, du fait de sa situation patrimoniale, de sa nationalité ou de son lieu de résidence, la succession est qualifiée d’internationale. Pour définir qui sont les héritiers et leur part dans la succession, le notaire détermine en premier lieu la loi civile applicable. Depuis le 17 août 2015 et le Règlement européen n° 650/2012 du 4 juillet 2012, une petite révolution a été opérée. La totalité de la succession est désormais soumise à la loi de la dernière résidence du défunt. Il y aura ensuite lieu de déterminer la fiscalité applicable à la succession. En France, les héritiers doivent en principe payer les droits de succession lors du dépôt de la déclaration de succession auprès de l’administration fiscale, au plus tard dans les six mois suivant le décès s’il est survenu en France métropolitaine ; dans l’année dans tous les autres cas.

Si la question de l’application de la loi civile et / ou fiscale se pose, la question de la compétence d’un notaire français ou d’un notaire suisse se pose également. Si chacun est seul compétent pour régulariser les actes pour les biens immobiliers situés sur son territoire, le notaire de la dernière résidence habituelle sera compétent pour rédiger le premier acte nécessaire au règlement de la succession, c’est-à-dire l’acte de notoriété (en France) ou le certificat d’héritier (en Suisse). Cet acte fera mention des héritiers et de leurs droits.

L’aspect civil

Le critère de la résidence habituelle constitue le rattachement objectif en matière de détermination de loi applicable. Le règlement européen ne donne aucune définition. L’appréciation de la localisation de la résidence habituelle du défunt doit prendre en compte les circonstances de sa vie avant et au moment de son décès. Il ne peut y avoir qu’une seule résidence habituelle. Sa détermination repose sur des éléments de fait, comme la scolarité des enfants, le lieu des achats quotidiens.

De son vivant, il est possible d’exprimer le choix de la loi applicable à sa succession dans un testament. Le choix peut porter sur sa loi nationale et doit être formulé de façon expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort (comme les testaments, les pactes successoraux). Pour être valable, le testament doit répondre aux conditions posées par l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment où la disposition a été prise, ou par l’État dont il possédait la nationalité. La loi désignée régira l’ensemble de la succession : il y a une unicité de la loi applicable. Un parallèle est fait avec le règlement européen n° 2016/1103 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine notamment de la loi applicable aux régimes matrimoniaux pour les époux mariés, ou, qui ont désigné la loi applicable à leur régime matrimonial après le 29 janvier 2019. Depuis le 29 janvier 2019, il n’est plus possible de désigner la loi de l’État sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle après le mariage, ni la loi du lieu de situation pour les immeubles ou certains d’eux. Le principe de l’unicité de la loi applicable au régime matrimonial est rappelé à l’article 21. L’unicité de la loi applicable à la succession rend impossible la renonciation dans un pays pour éviter de supporter le passif et d’accepter dans l’autre pays bénéficiaire. Le morcellement n’est pas envisageable.

Afin de protéger son conjoint, il est fréquent de signer une donation entre époux (ou donation au dernier vivant) : qu’en est-il de l’exécution de la donation entre époux régulièrement régularisée en France ? Certains pays prohibent la donation entre époux. Sur le plan international, il est recommandé d’éviter le recours à la donation entre époux, car sa qualification n’est pas certaine. L’appartenance des donations entre époux à la catégorie des pactes successoraux au sens du Règlement européen soumet l’appréciation de leur validité à une règle de conflit propre. Cette loi peut être différente de la loi applicable à la succession. Il y a lieu de préférer le testament.

Le Code civil français connaît la réserve au profit des descendants qui ne peuvent être exhérédés, déshérités, de la succession. Qu’en est-il de son application dans une succession internationale ? Le débat oppose les auteurs qui considèrent que la réserve successorale est un principe fondamental du droit français, à ceux qui considèrent que l’ignorance de la réserve successorale par la loi étrangère n’est pas une cause d’éviction de ladite loi.

Applicable aux successions ouvertes à compter du 1er novembre 2021, la loi confortant le respect des principes de la République entend renforcer les droits des héritiers réservataires (loi du 24 août 2021). Elle réinstaure un droit de prélèvement compensatoire sur les biens situés en France, lorsque la loi étrangère applicable ne connaît pas de réserve au profit des enfants. Cette possibilité d’appréhender permet à des héritiers réservataires de prendre des biens dans la succession, dont ils auraient pu être évincés en application d’une loi étrangère. La jurisprudence avait refusé d’écarter une loi ne connaissant pas la réserve en ce qu’elle serait contraire à l’ordre public international. Dans deux arrêts du 27 septembre 2017, la Cour de cassation (1re chambre civile) a été décidé qu’une « loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », c’est-à-dire si les descendants se trouvent en situation de précarité économique ou de besoin. Là encore, il y aura une appréciation concrète de la situation. Qu’en sera-t-il de l’application de l’article 913 du Code civil relatif à la définition de la réserve dorénavant ? À la différence de la loi de 1819, le prélèvement profite à tous les héritiers, qu’ils aient ou non la nationalité d’un État membre ou leur résidence dans un tel État, dès lors que l’un des héritiers ou le défunt est le national d’un État de l’Union Européenne ou y a sa résidence habituelle. Le texte accorde ainsi à tout descendant, héritier réservataire, selon la loi française le droit de reconstituer par voie de prélèvement la part de réserve que lui accorde le droit français. Le « mécanisme réservataire protecteur des enfants » n’est pas défini, mais ne semble viser que les dispositifs réservant une partie de droits successoraux aux enfants. Ainsi l’existence d’un tel mécanisme, même moins favorable que celui du droit français, ne permettra pas de demander l’application du droit de prélèvement. La mise en œuvre de ce droit semble dès lors réduite. Les discriminations en raison du sexe ou de la religion étaient déjà écartées par l’ordre public international.

L’aspect fiscal

Les conventions internationales répartissent généralement le droit d’imposer comme suit : en principe, l’État du lieu de situation des immeubles taxe ces derniers, tandis que le pays du domicile du défunt impose la totalité des biens de la succession en prévoyant toutefois l’imputation de l’impôt déjà payé sur les immeubles dans l’État où ces actifs sont localisés (article 784 CGI). Toutefois, dans certains cas, les biens sont taxés dans les deux pays. Lorsqu’il n’y a pas de convention fiscale, l’article 750 ter CGI s’applique et permet une taxation par la France, dès lors que le défunt était domicilié en France, ou qu’il y a des biens en France, ou que l’héritier est domicilié en France (avec une condition de durée).

Certaines conventions conclues par la France en matière de droits de mutation à titre gratuit ne permettent pas d’imposer les biens situés à l’étranger qui sont reçus par un résident de France d’un défunt non-résident, mais autorisent la France à calculer l’impôt exigible en France à raison des biens recueillis imposables en France en vertu de ces conventions d’après le taux moyen qui serait applicable s’il était tenu compte de l’ensemble des biens imposables en vertu de la loi interne française. Cette modalité de calcul est dénommée taux effectif. Une réponse ministérielle en date du 7 novembre dernier a rappelé que la France avait dénoncé la convention franco-suisse de 1953 le 17 juin 2014. La convention a cessé de produire ses effets au 1er janvier 2015. Dans les successions franco-suisses, la législation s’applique intégralement : elle prévoit l’imposition des biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger lorsque le défunt a son domicile fiscal en France. De même, les transmissions de meubles et d’immeubles situés en France qui font suite au décès d’un non-résident et sont effectuées au profit d’un autre non-résident peuvent être taxées en France. En parallèle, l’article 784 A du CGI prévoit une déduction en vue d’éliminer l’éventuelle double imposition relative aux biens meubles et immeubles situés à l’étranger.

Compte tenu de la complexité liée à une succession internationale, il est vivement recommandé d’anticiper et de prendre les renseignements auprès d’un notaire qui, après analyse du cas particulier, pourra utilement conseiller les parties."

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