Quand aider son enfant étudiant revient à ouvrir la boîte de Pandore…

Me Myriam Boiron-Montoux / Devant un contexte économique sans précédent, il paraît normal voire essentiel d’aider son enfant dans le besoin. Cette aide matérielle peut prendre essentiellement deux formes : la mise à disposition d’un logement à son profit ou le financement de ses études supérieures. Mais de prime abord anodine, cette démarche peut se révéler source de conflit au sein d’une fratrie.

 

Alors que le contexte de forte inflation et de « précarité économique » chez les étudiants est prégnant, de nombreuses voix s’élèvent dorénavant pour dénoncer une véritable « paupérisation étudiante  ». Notamment, les responsables de quatorze universités (dont Montpellier, Aix-Marseille, Strasbourg, Jean-Moulin-Lyon III ou Paris I-Panthéon Sorbonne) observent, de manière alarmante, que « ni les bourses sur critères sociaux, qui concernent environ 750 000 étudiants », ni les « aides exceptionnelles » en faveur des associations soutenant les étudiants précaires, « ne suffisent » pour lutter contre la précarité étudiante.

La mise à disposition d’un logement au profit de son enfant
Quand loger son enfant n’est pas forcément donner…
Tout d’abord, qu’entend-on par « loger son enfant » ? Il n’existe pas de qualification unique. Tout au plus doit-on considérer qu’elle dépend des circonstances.
À ce sujet, la jurisprudence a varié au gré des dé-cisions. Dans la plupart des cas, elle considérait d’abord qu’elle constituait un avantage indirect, puisque loger un enfant pour ses études ne pouvait être une donation, à une exception près : celle de la location de longue durée (notamment lorsque l’enfant bénéficie encore de cet avantage indirect, alors qu’il est rentré sur le marché du travail).
Aujourd’hui, elle estime qu’il s’agit d’un prêt à usage (soit un service gratuit n’engendrant aucun trans-fert de droit patrimonial, donc aucune donation).
Cette analyse revêt une importance particulière
…Loger gratuitement son enfant sur une longue durée peut tout de même s’avérer conflictuel En effet, loger son enfant gratuitement présente un avantage indéniable au vu des loyers pratiqués actuellement dans les grandes villes comme Lyon, Paris… Cependant, il faut distinguer le fait de payer le loyer à sa place de celui de le loger gratuitement.
Juridiquement, les conséquences sont bien différentes :
Dans le premier cas (paiement du loyer à la place de son enfant) : il s’agit d’une donation rapportable, c’est-à-dire que l’enfant en bénéficiant devra faire des comptes avec ses frères et sœurs et se voir reconnaître une donation égale aux loyers qu’ils auraient dû verser.Dans le second cas (logement gratuit d’un enfant) : la jurisprudence ne reconnaît pas aujourd’hui de donation.
Aussi, cette situation peut-elle poser problème en pratique. Ce point pourra être abordé avec votre notaire qui saura vous conseiller. Car des solutions existent mais nécessitent que les parents expriment clairement leur volonté par le biais soit d’un prêt, d’un bail, d’une libéralité (comme celle de la donation temporaire d’usufruit), d’une donation-partage (dont le but serait de ne pas rompre l’égalité entre les enfants, en chiffrant le montant de l’avantage indirect procuré à l’un d’entre eux), d’un testament prévoyant, de manière explicite, la volonté de reconnaître une donation ou non, et ses modalités de rapport à la succession.

Le financement des études supérieures de son enfant
Si payer les études de son enfant n’est évidem-ment pas donner…
Le Code civil prévoit dans son article 371-2 alinéa 2
que : « Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses res-sources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l’autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l’enfant est majeur ». On parle alors d’obligation alimentaire : il s’agit, pour les parents, de subvenir aux besoins de leur enfant, au-delà de ses 18 ans, si nécessaire.
Et dans son article 213 alinéa 2 que : « La femme concourt avec le mari à assurer la direction morale et matérielle de la famille, à pourvoir à son entretien, à élever les enfants et à préparer leur établissement ». Ici, il s’agit alors d’obligation d’entretien : les parents doivent rendre leur enfant autonome. Par exemple, celui qui n’occupe pas un emploi régulier, lui per-mettant de subvenir à ses besoins, devra se faire aider de ses parents.
Les limites à ces obligations existent car les parents n’ont pas vocation à entretenir à vie leur « Tanguy ». Cette obligation s’arrêtera une fois que l’enfant aura justifié d’études effectives (lesquelles doivent être en adéquation avec ses facultés d’apprentissage), et que ses études présenteront une durée raisonnable c’est-à-dire permettant de trouver un travail à l’issue de celles-ci.

À condition que ce soit dans une certaine limite…Le Code civil ne précise malheureusement pas le moment où l’on sort de l’obligation d’entretien de son enfant. Aucun événement, aucun âge limite n’ont été pris en référence pour considérer que cette obligation pouvait s’éteindre le moment venu. Or, le financement de la formation médicale com-plémentaire d’un enfant à l’étranger relève-t-il de l’obligation d’entretien ?
Là encore, le Code civil délimite, de manière floue, les notions de financement obligatoire de celui facultatif. Dans son article 851, l’établissement d’un enfant (au moyen d’une installation professionnelle par exemple) ou le paiement de ses dettes nécessitera de faire des comptes avec ses frères et sœurs. Alors que l’article 852 prévoit que, pour les frais de noces ou d’éducation, aucun compte ne devra être réalisé.
Or, en pratique, peut-on traiter de la même manière l’aide financière apportée à l’enfant en apprentissage à 16 ans, lorsque son frère est parti en faculté de médecine… ?
Prenons un autre exemple : des parents décident d’allouer 50 000 euros à chacun de leurs deux enfants, Maxime et Céline. Tandis que la somme permet à l’aîné d’acheter un fonds de commerce, celle-ci finance les études aux États-Unis de la cadette. Or, à la succession des parents, le traitement du versement de ces deux sommes, pourtant iden-tiques, sera complètement différent d’une situation à l’autre : Maxime devra le rapport à la succession (c’est-à-dire prendre moins sur la succession de ses parents que sa sœur), alors que Céline ne se verra demander aucun compte !
Là encore, pour éviter cet écueil, il paraît utile d’échanger avec son notaire afin d’opter pour :
Une donation-partage réincorporant le coût d’une formation complémentaire d’un enfant (surtout si les parents se sont privés pour y arriver), Une convention de financement signée avec l’enfant où l’on prévoira chaque hypothèse et ses conséquences :
1- Fin des études classiques => pas de compte à réaliser
2- Formation complémentaire => donation
3- Somme complémentaire pour s’installer => prêt,
Un testament précisant s’il s’agit d’une donation ou non, ou la simple contrepartie de soins prodigués par l’enfant bénéficiaire de celle-ci.
En conclusion, il est primordial d’évoquer tant avec son enfant que ses frères et sœurs sa véritable volonté dans ce geste qu’est l’aide financière. Pour que l’anodin ne devienne pas le conflit.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Vendredi 26 avril 2024 L'un des meilleurs spectacles de stand-up du moment s'appelle "La Formidable ascension sociale temporaire de G. Verstraeten". Un titre à rallonge signé Guillermo Guiz, enfant d'un milieu populaire qui livre une réflexion acide sur sa condition...
Mardi 31 octobre 2023 Le festival Lumière vient de refermer ses lourds rideaux, les vacances de la Toussaint lui ont succédé… Mais ce n’est pas pour autant que les équipes de (...)
Mardi 31 octobre 2023 Si le tourisme en pays caladois tend à augmenter à l’approche du troisième jeudi de novembre, il ne faudrait pas réduire le secteur à sa culture du pampre : depuis bientôt trois décennies, Villefranche célèbre aussi en beauté le cinéma francophone....
Mardi 17 octobre 2023 Nicolas Piccato a quitté à la rentrée ses fonctions de directeur de Lyon BD, à sa demande. Arrivé en 2021 en remplacement du fondateur Mathieu Diez, parti au (...)
Mercredi 13 septembre 2023 Pour sa 5e édition, le festival de street-art Peinture fraîche quitte la halle Debourg pour investir sa voisine aux anciennes usines Fagor-Brandt. Du 11 octobre au 5 novembre, 75 artistes s'exposent sur 15 000m2.
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama. Suivez le guide !
Jeudi 17 août 2023 [mise à jour mercredi 23 août 2023] Déjà interdit à Paris, Montpellier et Toulouse ces derniers jours, le spectacle de Dieudonné a été interdit à Lyon, amis s'est tenu dans un champs privé à Décines, et est interdit à Grenoble une semaine plus tard....
Lundi 12 juin 2023 Le musée à l’architecture déconstructiviste accueille, jusqu’au 18 février, "Afrique, mille vies d’objets". Ces 230 objets africains, principalement datés du XXe siècle, collectés par le couple d’amateurs et marchands d’arts Ewa et Yves Develon,...
Mardi 28 mars 2023 Un nom douillet, une verve grivoise, crue, parfois joliment obscène : Doully — celle qui surnomme son public « ses p’tits culs » — passe deux fois en région ce mois-ci, nous voici ravis.

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X