Celui qui n'était pas là

Mercredi 18 avril 2007

À l'affiche des deux meilleurs films français d'avril, Gilbert Melki affirme sa prédilection pour des personnages ordinaires confrontés à la sombre folie du monde actuel. Portrait d'un acteur essentiel.CC

Après la vision de Très bien, merci, formidable film d'Emmanuelle Cuau à sortir le 25 avril, il se passe un truc très bizarre : chaque fois qu'on rentre dans le métro, qu'on allume une cigarette, qu'on marche dans la rue le soir pour rentrer chez soi, on repense à Gilbert Melki dans le film, à son costard cravate surmonté d'un imper Colombo, à son dos courbé par la fatigue et le stress du cadre moyen... Melki a réussi à incarner l'homme sans qualité d'aujourd'hui, à l'iconiser même, en lui donnant un visage à la fois anonyme et inoubliable. Ce tour de force appelle une comparaison écrasante mais impérative puisque, même physiquement, la ressemblance à l'écran est troublante : Al Pacino. Melki «pacinise» au sens où tout le travail de l'acteur - et il est énorme : chaque geste, chaque mouvement du visage, chaque intonation de la voix marquent l'esprit du spectateur ; tout ce travail-là s'efface progressivement pour faire apparaître un personnage commun, banal, mais subitement emporté par la machine à broyer étatique et policière. Joseph K en procès chez Sarkozy...Noir miroirIl est loin, le Melki juif pied-noir folklorique qui faisait rire la France dans les deux Vérité si je mens... Et même si, de temps à autre, il ne crache pas sur une petite comédie (mais pas n'importe laquelle : Palais royal ! de Lemercier, ou son rôle de parrain d'opérette dans Angel-A de Besson), Melki veut plutôt du sérieux, ou plus précisément de l'inquiétude, du trouble, de l'écume fantastique sur la mer d'huile du quotidien. Le tournant, c'est bien sûr la trilogie de Lucas Belvaux. Il est, de l'ensemble du casting, celui dont le personnage doit opérer toutes les métamorphoses liées au concept de départ : drôle dans la comédie, mystérieux dans le polar, émouvant dans le mélo. Et il l'est, à chaque coup ! Flic taciturne, amoureux, brutal, meurtri, saisi tour à tour dans son travail, à la maison ou dans le moment où les deux se mélangent dangereusement, Melki est toujours crédible, y compris dans Cavale où pourtant il ne prononce pas un mot... On pensait avoir vu Melki sous toutes ses coutures ; il en manquait une, que Claire Simon et Michel Spinosa vont tous deux mettre en lumière : le pur corps de cinéma, sur lequel de jeunes femmes projettent leurs obsessions érotiques. Adolescente en feu (Ça brûle) ou vieille fille frappée (Anna M), elles trouvent dans un Gilbert Melki pourtant granitique le support de leurs fantasmes enfouis. Si ni l'absurdité bureaucratique, ni les désirs psychotiques ne l'ébranlent, c'est pour prouver que c'est le monde autour de lui qui perd le nord, pendant que lui, droit comme le juste, est en train de gagner la partie.