Anna M.
Récit d'une obsession amoureuse et érotique, le troisième film de Michel Spinosa a le mérite de déranger son spectateur, en fouillant des zones troubles autrefois arpentées par Clouzot et Polanski.Christophe Chabert
Un prénom, mais juste une initiale en guise de nom. Un fantasme de personnage pour un personnage qui ne vit que dans le fantasme. Anna M. restaure des vieux livres et ressasse son statut de vieille fille. Quotidien triste et claustrophobe (une mère qu'elle dit malade, un chien très moche, un appartement défraîchi, une bibliothèque sombre) dont Anna s'échappe de manière radicale : elle se jette sous une voiture au bord d'un boulevard périphérique. Réveil à l'hôpital et, coup de force scénaristique ou coup de foudre romanesque, elle tombe sous le charme du médecin qui la soigne (Gilbert Melki qui, après Belvaux et avant l'excellent Très bien, merci, est en train de devenir l'acteur d'un cinéma français enfin inquiet). La cicatrice vaginale sur sa cuisse est comme le stigmate métaphorique de ce désir instantané qui va vite devenir obsessionnel, absurde, effrayant. Car le médecin n'éprouve aucune attirance pour elle ; pire, chaque fois qu'il tente de prendre ses distances, Anna interprète son refus comme une preuve paradoxale d'un amour qu'elle croit contrarié.Fatale attractionJusqu'ici, le cinéma de Michel Spinosa n'avait pas marqué les esprits. Un premier film aussi esthétisant que creux (Emmène-moi), un deuxième qui valait surtout pour son sujet (La Parenthèse enchantée, sur les années 70)... Avec Anna M., il s'aventure avec une certaine audace vers le cinéma de genre, à la manière de Dominik Moll dans Harry, un ami qui vous veut du bien. Cadres au cordeau (avec quelques petits excès de style), scénario implacable (sauf peut-être dans ses trop nombreuses fins), sens de l'atmosphère et du crescendo angoissant : le film est aussi glacial et terrifiant que son héroïne. Car le spectateur doit épouser de manière peu confortable (donc assez jouissive) la logique paranoïaque d'Anna M., cette manière de faire du monde un réseau de signes et, quand celui-ci résiste à sa lecture monomaniaque, de l'organiser pour qu'il réponde à son désir. Ce type de fictions, qui a fait la force des premiers Polanski ou de certains Clouzot, est un parfait miroir de notre relation au cinéma : l'entrée dans un monde qui possède ses propres règles, même si celles-ci dérangent la logique du réel. Spinosa, avec un vrai courage de cinéaste, multiplie les séquences oppressantes, brise au passage certains tabous, et ne détourne pas le regard face à une violence furtive, mais qui fait vraiment mal. Et même s'il sait mettre de l'ironie et de la distance aux moments adéquats (la scène avec le réceptionniste à l'hôtel, par exemple), il fait d'Anna M un film perturbant, qui prend le risque de ne pas être rassurant à une époque où beaucoup voudraient faire du cinéma un divertissement safe et douillet. Enfin !Anna M.de Michel Spinosa (Fr, 1h47) avec Isabelle Carré, Gilbert Melki, Anne Consigny...