Depuis quatre ans, le Théâtre 145 et le Théâtre de poche sont gérés par un collectif d'artistes (baptisé Tricycle) dont le cœur du projet est la création théâtrale contemporaine locale. Une aventure qui pourrait s'arrêter à la fin de la saison, la Ville de Grenoble ayant décidé de reprendre en régie directe ces deux lieux lui appartenant, pour les inscrire dans un ensemble plus vaste. On fait le point. Aurélien Martinez
Ces derniers mois, on entendait pas mal de bruits sur l'avenir incertain du Tricycle, ce collectif d'artistes gérant depuis 2011 le Théâtre 145 et le Théâtre de poche dans le but « d'encourager la création de spectacles à travers des résidences d'artistes ». Est-ce que l'équipe Piolle voulait poursuivre ce projet lancé par l'équipe Destot, projet que l'adjointe aux cultures Corinne Bernard avait même loué dans nos colonnes en arrivant aux affaires – « Il y a 88 compagnies de spectacle vivant à Grenoble, et une dizaine de lieux. Doit-on continuer à donner les clés à un seul artiste ? Sur cette question, l'expérimentation du Tricycle est tellement bonne qu'il faut peut-être continuer comme ça. »
Ça c'était en septembre 2014. Depuis, le collectif a eu peu de contacts avec la nouvelle municipalité malgré leurs nombreuses demandes. La dernière présentation de saison s'est déroulée sans aucun représentant de la Ville dans la salle. Puis une réunion a finalement eu lieu en mairie avec l'élue le mercredi 30 septembre. Réunion qui a acté la fin de l'aventure Tricycle au 145 et au Poche.
« Ils balaient ça d'un coup »
Vendredi dernier, le collectif a donc envoyé un communiqué de presse aux différentes rédactions grenobloises : « La municipalité souhaite reprendre les lieux en régie directe à partir de septembre 2016. Les subventions permettant à Tricycle de continuer son activité de soutien à la création théâtrale contemporaine ne seront pas reconduites pour la saison 16/17 [...]. Cette décision unilatérale a été prise sans que nous ayons pu construire avec la Ville le minimum de dialogue propice au devenir de ce qui a été mis en place. »
Pour en savoir plus, on a rencontré Hélène Gratet, comédienne et porte-parole du collectif présidé par Serge Papagalli : « Ce qu'on nous reproche officiellement – et on se tient à ce que l'on nous reproche officiellement – c'est : rien du tout ! On nous a juste dit : "la mairie de Grenoble est en difficultés, elle doit faire des économies et ça se porte sur le Tricycle, une structure dont le projet est intéressant mais qui a des problèmes de fonctionnement [les artistes qui le gèrent sont bénévoles, le collectif employant seulement deux personnes – NDLR]" Donc, plutôt que de discuter avec nous pour voir comment on aurait pu améliorer les choses, ils préfèrent balayer ça d'un coup. »
Soit une aventure de cinq saisons (quatre passées plus celle en cours) qui s'est cherchée au début mais qui, au fil des ans, a affiné son projet. L'équipe l'a ainsi rendu plus lisible auprès des compagnies grenobloises (le collectif avait heureusement des critères de sélection, le simple fait d'être Grenoblois ne suffisant pas à être programmé) et, surtout, du public qui n'avait pas toujours connaissance de ce qui se passait à l'intérieur des murs des deux théâtres du cours Berriat – même si Hélène Gratet l'assure, « la fréquentation a triplé en deux ans ».
« On ne ferme pas de salle »
Forcément, on a cherché à joindre Corinne Bernard pour avoir des précisions. Elle nous a alors confirmé les deux raisons qui ont poussé la mairie à faire ce choix : un souci budgétaire (une régie directe coûterait moins chère que de confier les clés à une association à qui il faut allouer une subvention – 187 500 euros de la part de la Ville pour cette année) et le changement de ligne directrice en marche au Théâtre municipal depuis cette saison, avec une programmation très axée compagnies locales.
« On veut plus de lisibilité. » Le Théâtre 145, le Théâtre de poche et le Théâtre municipal vont donc faire partie d'un pôle dédié à la création théâtrale piloté par un « comité » incluant l'équipe du Théâtre municipal, d'autres programmateurs de structures appartenant à la Ville et, pourquoi pas, le Conservatoire de Grenoble – « mais pas de politiques assure Corinne Bernard, ce n'est pas notre rôle ». « Les trois lieux vont rester ouverts à la création et à la diffusion : on ne ferme pas de salle ! »
Tout ceci est encore assez flou, notamment sur le degré d'exigence artistique d'un tel montage, même si un travail en escalier sur trois plateaux de tailles différentes a du sens – pourquoi pas imaginer que des artistes répètent ou débutent au 145 ou au Poche pour ensuite aller au Municipal une fois qu'ils sont bien armés. Sachant que les pratiques amateurs, à laquelle la municipalité tient beaucoup, seront aussi intégrées à l'ensemble – « on ne peut pas continuer à mettre les amateurs dans des gymnases ou des salles pas équipées ». À voir...
En attendant, la situation reste tendue, le Synavi (Syndicat national des arts vivants) ayant envoyé lui aussi un communiqué qui, en partant du cas Tricycle, illustre le fossé grandissant entre la Ville et une grande partie des artistes grenoblois comme on a pu le constater lors du dernier Chantier des cultures organisé par la mairie. « Ce qui arrive au Tricycle est significatif d'une dérive politique au nom du "populaire". Cela n'est pas admissible d'une municipalité qui défend la transparence et le débat public. Solidaire de l'expérience du Tricycle, le Synavi demande à la municipalité de revenir sur sa décision et de mettre en œuvre rapidement les conditions minimales d'un dialogue constructif sur les questions liées au spectacle vivant et à la survie des compagnies professionnelles de création. »