Le super marché du rire

Enquête / La ville de Lyon est souvent présentée comme la «capitale du café-théâtre». Comment expliquer la profusion de ces petits temples du rire sur nos terres. Les Lyonnais seraient-ils les rois du bidonnage ? Dorotée Aznar

Le mystère lié au nombre important de cafés-théâtres dans notre ville n'est pas des plus complexes à percer. Ces établissements ont en fait deux origines. La première s'appelle la Graine, un café-théâtre fondé en 1977 par une troupe de huit comédiens. Ils s'installent à Saint-Paul et, comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, créent leur propre lieu afin de diffuser leurs spectacles. «La Graine était un café-théâtre dans lequel nous faisions du théâtre», explique Gilbert Lendrin, l'un des fondateurs de la Graine et aujourd'hui responsable de l'Espace Gerson. «Nous faisions aussi de la chanson, du jazz, ou du rock. Ce lieu a connu un grand succès, le café-théâtre est devenu à la mode et branchait beaucoup les jeunes». La deuxième origine est L'Accessoire, un autre café-théâtre, encore sur pied de nos jours. «Ils ont fait un carton de 1985 à 1988, c'était le deuxième café-théâtre de France en termes d'affluence, ils ont lancé beaucoup de lyonnais», se souvient Gilbert. Et ils ont fait des petits : Le Nombril du Monde, le Complexe du rire, le Café des Minettes et le Boui Boui. La mode parisienne incite les compagnies à se mettre au café-théâtre et le public répond à l'appel. C'est la grande époque. Quand on aura vingt ansAujourd'hui, l'effervescence est un peu retombée, la bande du Splendid ne fait plus rêver grand monde, mais la recette fonctionne bel et bien. Le café-théâtre brasse un large public, en ayant très peu recours à la publicité. Tous les lieux s'accordent d'ailleurs à reconnaître que leur principal outil de communication est de très loin le bouche à oreille. En règle générale, il faut qu'un spectacle soit programmé au moins trois semaines pour faire salle comble, certains cafés-théâtres n'hésitent donc pas à programmer une pièce pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Et si les pièces tournent en général d'une salle à une autre, chaque café-théâtre tient à mettre en avant ses particularités. «Au Boui Boui, nous avons nos propres créations, ce qui n'est pas forcément le cas des autres lieux. Nous travaillons avec des auteurs, comme Vincent Faraggi qui a écrit Des soucis et des potes et Les Histoires d'amour finissent mal sinon elles dureraient», nous explique Arnaud, l'un des responsables. Pas de place pour les amateurs au Boui Boui. Ils trouvent toujours porte ouverte au Complexe du rire, qui organise des sessions de découverte, tous les mardis. «Il s'agit de garder l'esprit du lieu tel que nous l'avons imaginé, explique François Mayet. Quand je suis arrivé à Lyon, il y avait beaucoup de cafés-théâtres. Je cherchais un lieu pour me produire car il n'y avait pas de théâtres ouverts aux amateurs ou aux semi professionnels. Avec ma femme, nous avons décidé de reprendre le Complexe du rire». À l'Espace Gerson, les velléités artistiques des prétendants à la scène sont canalisées et les «plateaux découverte» n'ont lieu que 6 à 7 fois par an. Il devient donc de plus en plus difficile pour les amateurs de faire leurs armes à Lyon, d'autant plus que «beaucoup de Parisiens viennent ici pour roder leurs spectacles». La «capitale du café-théâtre» ne se positionne pas comme une école, mais comme un vivier de talents et les places dans les programmations sont chères.Qui es-tu le spectateur de café-théâtre ?«En dix ans, nous avons doublé les fréquentations et notre public s'est largement rajeuni. Nous avons principalement des 25-30 ans et beaucoup d'étudiants, grâce au Pass'Culture. Mais certains spectateurs viennent de loin, de Suisse ou d'Allemagne», explique François Mayet, du Complexe du rire. À l'Espace Gerson, où Gilbert Lendrin a mené trois enquêtes en cinq ans, le public est moins jeune qu'au Complexe. Les spectateurs sont en majorité des femmes, entre 35 et 40 ans. Les moins de 25 ans représentent environ 20 % du public et sortent principalement en début de semaine. Selon ces mêmes études, le spectateur de café-théâtre aurait par ailleurs une activité culturelle importante, un niveau d'études supérieur ou égal à Bac+2, et des revenus compris en moyenne entre 2000 et 2500 euros par mois.Qualité et quantitéSur la qualité des spectacles diffusés, les avis divergent. François Mayet pense que depuis le succès de Florence Foresti, le renouveau se fait attendre. «On constate une grosse perte de qualité au niveau des pièces proposées». Ce qui indigne Gilbert Lendrin : «c'est faux, avant je programmais des gens que je ne prendrais plus aujourd'hui. Il ne faut pas se fier au catastrophisme ambiant. Un Arrête de pleurer Pénélope le prouve assez. Il y a simplement plus d'appelés et moins d'élus. C'est plus difficile de sortir du lot, c'est tout». En revanche, un point met tout le monde d'accord : les spectacles proposés sont de bien meilleure qualité à Lyon qu'à Paris. «On évolue vers de la comédie plus que vers du pouet pouet tagada», souligne François Mayet. Une affirmation quelque peu inquiétante, sachant que parmi les spectacles à l'affiche en ce moment, on trouve des prestations pour le moins inégales... Mais qui n'empêchent pas les cafés-théâtres d'attirer un grand nombre de candidats au poilage en groupe. «Quand un spectacle est bon, la salle est pleine», assure Gilbert. Et c'est un professionnel qui vous le dit...

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