La Quête d'Arthur

Musique / Infatigable arpenteur des sentiers de la chanson, Arthur H n'a cessé depuis 15 ans de repousser les limites de son univers musical. Toujours aussi unique, il nous revient aujourd'hui avec un album lumineux, nourri de toutes ses aventures passées. Emmanuel Alarco

À relire à froid, presque dix ans après, les textes de Trouble-Fête, on est tout simplement abasourdi par la plume d'Arthur H. En 1996, pour ses 30 ans, l'homme s'offrait ce qui allait longtemps être considéré comme son meilleur album. Épaulé par son alter ego de toujours, le contrebassiste Brad Scott, par la guitare et les samples inspirés de celui qui allait devenir son indispensable sparing partner, Nicolas Repac, et porté aux nues par les arrangements de cordes colossaux de Joseph Racaille, Higelin fils faisait alors oublier définitivement son héritage familial et posait une pierre maîtresse dans le paysage musical français. Une pierre bien singulière, car à bien y réfléchir, entre l'émergence des Dominique A, Katerine et autres Miossec d'un côté et les réminiscences poético-réalistes de l'école Têtes Raides & co de l'autre, Arthur H occupait à l'époque une place tout à fait unique. Inclassable parmi les inclassables, revenus de ses jeunes élans jazz pour se changer en grand marabout d'un hallucinant dub-baroque post-Gainsbourg (!) ; passé du statut d'espoir fantasque de la chanson à celui de grand maître.Quand le jazz est là...Dès 1990 et son premier album évoquant immanquablement le Tom Waits première manière (voix plus rauque que rauque, compos et orchestrations à haute teneur jazzistique), le gars Arthur se fendait du haut de sa petite vingtaine de quelques bijoux au verbe racé (Je rêve de toi, Marouchka) et autres récits fleuves mémorables (Cool Jazz, John, La Reine des pommes) qui l'imposaient en conteur hors pair et légèrement hors-cadre. Un art narratif poussé à son paroxysme sur le monumental Général de Gaulle dans la cinquième dimension, morceau de bravoure de Bachibouzouk, deuxième album foutraque mais attachant sorti en 92. Musicalement, le jazz s'acoquine avec des sonorités balkaniques ou orientales et la tournée marathon qui s'en suivra (et qui fera l'objet d'un enregistrement live) restituera ce joyeux bordel sur scène, à grand renfort de cuivres, de percussions louches et de ukulélé. La scène, depuis toujours le jardin d'Arthur, l'endroit où il se fit un prénom à la fin des années 80 et où il bâtit ensuite sa légende de showman insatiable, toujours soucieux d'emmener son public vers un ailleurs, une dimension parallèle, de lui offrir plus qu'un simple concert, à coup de jeux de lumières oniriques, de mises en scène extravagantes et de happenings déglingués. L'endroit idéal aussi pour tordre la musique en tous sens et se lancer dans l'aventure de l'improvisation sauvage....la java s'en vaAprès quelques années folles à trimballer sa caravane de l'étrange à travers le monde (de l'Afrique au Canada), Arthur a besoin de repos et surtout envie d'une musique plus épurée, plus tenue, loin de la douce anarchie du Bachibouzouk Band. Il enregistre des démos très sobres avec le camarade Scott et prend doucement le chemin de la sagesse. Car si certains ont attendu le tout récent Adieu tristesse pour en déceler les traces, il paraît évident qu'une belle maturité artistique s'affichait déjà fièrement tout au long de Trouble-Fête, chef-d'œuvre total dont nous parlions en préambule. Pour ce qui est de la sobriété, en revanche, c'est une autre affaire... Les frustes démos à base de claviers, basse et autres "sons bizarroïdes" sont littéralement dynamitées par les atmosphères vaporeuses de Nicolas Repac et les arabesques de cordes, tissées par un Joseph Racaille en grande forme. De retour sur les routes, la tribu H tente de restituer à quatre le faste du disque en jouant la carte d'un funk blanc sophistiqué et souvent enthousiasmant. Outre un nouveau live (Fête trouble), l'expérience accouchera d'un album de groupe un peu "en dedans", Pour Madame X. Tentant de capturer en studio la belle entente scénique du quatuor (H-Scott-Repac et Laurent Robin à la batterie), le disque semble au final étrangement froid et désincarné ; sensation qui n'est peut-être pas sans rapport avec la légère baisse de régime de la plume H, elle aussi plus distante et routinière. Des concerts, encore et toujours, seul ou en groupe, mais malgré l'évident plaisir ressenti à chaque apparition, on commence à redouter un certain train-train. Après avoir atteint les sommets, Arthur H n'était-il pas condamné à un lent, mais inéluctable déclin ?Le deuxième soufflePrintemps 2003, nos (relatives) inquiétudes sont vite levées. Avec Négresse blanche, son cinquième album studio, Arthur H surprend, non par un concept fumeux ou un quelconque festival d'excentricités orchestrales, mais par la seule force de ses mélodies qui semblent défricher des terres inédites pour une voix, elle aussi, pleinement décomplexée. Un disque libéré et gourmand, comme une mise en bouche savoureuse avant l'aboutissement qu'est aujourd'hui Adieu tristesse. H y renoue avec les hautes altitudes de Trouble-Fête et, osons l'affirmer, les surpasse avec panache. La subtilité et la richesse des lignes de chant laissent rêveur et l'organe caressant du maître impressionne par l'ampleur de son registre. Tutoyant la quarantaine, l'artiste semble parvenu à dompter tous ses talents et à les faire cohabiter avec une sensualité rare ; en témoigne l'exemplaire Chercheur d'or, récit hautement stylisé parcouru de frissons amoureux des plus vibrants. Lui qui a toujours souhaité tendre vers une musique simple et naïve touche au but en étant capable de sublimer des phrases aussi banales que : "Je sais que l'amour n'est à personne/Mais tu sens comme c'est bon de nous être fidèles" ; ou, dans la bouche de son père, le temps d'un duo poignant : "Les gens qui s'aiment se séparent souvent/Il faut du temps pour se retrouver". Après toutes ces années de quête, Arthur H manie désormais comme personne la grâce de l'évidence.Arthur HAu Ninkasi KaoMercredi 7 décembre

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