La Biennale réalise un bon temps

Expo / Consacrée à la durée, la Biennale d'art contemporain 2005 s'avère globalement un bon cru : charpenté, bien emballé, et quelquefois même grisant. Jean-Emmanuel Denave

Au centre d'un cercle de curieux, un second cercle formé par une dizaine d'officiants s'adonnant à un étrange rituel... Chacun, à tour de rôle, porte à ses lèvres une canette de bière, en avale une gorgée, puis souffle dans la petite bouteille pour en tirer une sonorité brève et grave. Et cela se poursuit ainsi, concerto pour instruments à vent et percussions à bulles, jusqu'à épuisement du contenu gazeux... C'était à la Sucrière lors de l'inauguration de la 8e Biennale de Lyon : un remake par Tom Marioni d'une de ses célèbres performances des années 1970, magnifiquement intitulée Drinking Beer with Friends is the highest form of art... Après les années "dures" des avants-gardes et du purisme moderniste, le champ de l'art contemporain est devenu une samaritaine disparate où l'on trouve de tout : de la bière et à manger, du futile et de la pensée, de l'engagement et du jeu, de l'émotion et de la déco, du concept et du spectacle... Une biennale, c'est un peu tout cela réuni, celle de Lyon ayant pour très louable particularité de mettre en exposition, en discours et en perspective les œuvres présentées. Cette année, Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud ont opté pour l'angle très large de "L'Expérience de la durée" qui leur permet de balayer aussi bien : de la durée dilatée (le sourire de John Lennon s'étirant interminablement filmé par Yoko Ono), de la durée accumulée (la collection de 4 000 boîtes de Vache Qui Rit de Wim Delvoye), de la durée conceptuelle (John Miller photographiant villes et habitants uniquement entre 12 et 14h), de la durée nécessaire à l'ouvrage (l'étonnante Livre Sterling qu'Erik Dietman mit dix ans à exécuter, œuvre composée d'objets et médiums divers sous forme de vaste rébus), de la durée fugace (les One Minute Sculpture d'Erwin Wurm à réaliser vous-mêmes)... Ou encore ce dialogue entretenu au-dessus du temps par certains artistes avec leurs aînés des années 1960-1970, et les enjeux de l'époque repris sous d'autres formes (émancipation, rapprochement de l'art et de la vie quotidienne, féminisme...).Atmosphères bon enfantDans ce registre de la durée, une chose est remarquable : cette Biennale 2005 parvient à enrayer le zapping du visiteur en l'invitant à consacrer un minimum de temps à chaque œuvre. La mise en espace est très réussie, les œuvres respirent, s'inscrivent dans des parcours clairs, lisibles, agréables. Le fond, lui, demande à être plus nuancé, même si globalement cette Biennale s'avère solide, avec une majorité d'œuvres intéressantes, fortes ou simplement divertissantes. Fidèles à notre exigence, on aurait évidemment souhaité davantage d'émotion ou d'œuvres bouleversantes. Détaillons maintenant un peu cela, dans le sens inverse des aiguilles de notre intérêt... Il y a d'abord ceux qui déçoivent comme la star Daniel Buren et son installation de colonnes de plexiglas géantes et colorées sur tout un étage du Musée d'art contemporain. C'est joli tout plein, mais ça ne va guère plus loin. Il y a d'autres artistes attendus qui rendent eux aussi des copies pâlichonnes : les ennuyeuses peintures de feu Robert Malaval ou de Philip Taafe, les expériences sensorielles gadgets de Carsten Höller... On monte d'un cran en qualité avec une première séquence d'installations à la Sucrière : on y passe "à travers" le sommeil de John Giorno filmé six heures durant par Warhol pour se retrouver perdu dans le brouillard vert fluo d'Ann Veronica Janssens ; puis devant le kaléidoscope psychédélique d'Olafur Eliasson, ou dans l'ambiance rouge, suave-amer et "lynchienne" de Virginie Barré ; pour se perdre à nouveau parmi la salle saturée de baudruches roses de Martin Creed... Rien de révolutionnaire, mais c'est assez efficace et amusant. L'installation la plus forte et la plus "choc" de la Sucrière se trouve, elle, à l'étage du dessus, avec la "volière" de Kader Attia : une cour de récréation où des marmots grandeur nature et composés de mie de pain se font dévorer par une escadrille de pigeons...Coup de cœur : Melik OhanianIl est une autre "séquence" d'œuvres remarquables et plutôt grinçantes à l'IAC de Villeurbanne... Dans deux vitrines, Joséphine Meckseper a placé avec cynisme une multitude d'objets hybrides croisant le glamour, le luxe, les slogans hippie ou de Mai 68, le militantisme et la mode. Robert Crumb présente plus loin ses superbes dessins bruts de décoffrage et Paul Chan un dessin animé d'apparence guillerette qui tourne au cauchemar. Humour noir et cruauté sont aussi au rendez-vous dans la salle consacrée au grand Erik Dietman. Mais le clou du scandale est enfoncé par Kendell Geers avec sa "chapelle érotico-ésotérique" maculée de giclées d'encre, où des filles béantes et aguicheuses voisinent avec des statuettes, un squelette et un Christ enrubannés de scotch d'emballage ! Enfin, il faut souligner de manière générale la grande qualité des œuvres vidéos présentées à l'IAC, au MAC ou à la Sucrière (Valérie Mréjen, Pareno&Tiravanija, Jun Nguyen-Hatsushiba, Pierre Huyghe, Gordon Matta-Clark...). C'est d'ailleurs un dispositif vidéo signé Melik Ohanian qui nous a le plus bouleversés et qui constitue à nos yeux le Grand Œuvre de cette Biennale... Soit sept plans-séquences de vingt minutes projetés simultanément sur sept écrans et liés entre eux par un même événement final. Tous superbement filmés et nous plongeant, nous envoûtant et nous démultipliant au cœur d'une mystérieuse vallée baignée d'une atmosphère bleu nuit, d'une once de mélancolie et de sonorités hypnotiques, dont l'inquiétante étrangeté se fait, au gré des images et du temps éclatés, de plus en plus intense.Biennale d'Art ContemporainJusqu'au 31 décembre

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