Lieux culturels : Bruno Bernard entame un bras de fer avec Castex

Lyon / Face à l'annonce brutale faite par Jean Castex jeudi 10 décembre, intimant aux lieux culturels de rester fermés alors que beaucoup avaient préparé activement leur réouverture pour ce mardi 15 décembre, les élus EELV de Lyon et socialiste de Villeurbanne, emmenés par le président de la Métropole Bruno Bernard, lancent la fronde. Ce dernier se dit même prêt à ouvrir sans accord gouvernemental le Musée des Confluences dès samedi. Bluff ?

Il y a une ironie certaine à découvrir Bruno Bernard se faire soudainement le champion de la "libération" des lieux de culture, quitte à prendre la tête d'une fronde locale et à vouloir ouvrir dès samedi deux musées dont sa collectivité a la charge — le Musée des Confluences et Lugdunum — sans l'autorisation de l'État. Verra-t-on un président de Métropole faire face à la police nationale et à la préfecture pour maintenir ses musées ouverts ? La question peut se poser : il faudra bien assumer le coup d'éclat médiatique du week-end.

Et l'ironie, donc, veut que le meneur de la fronde soit celui qui s'est le plus totalement désintéressé des questions culturelles jusqu'ici. Bruno Bernard, alors candidat EELV, n'a pas eu un mot pour ce secteur durant sa campagne et n'avait pas de programme culturel à mettre en application. Une fois élu, il a nommé vice-président en charge de ce portefeuille son allié socialiste, Cédric Van Styvendael, le maire de Villeurbanne. Qui a ramé des semaines pour obtenir sa feuille de route. Et a vu son budget, minimal vu la taille de la collectivité, maintenu de justesse alors qu'on aurait pu espérer une augmentation. Aucune mesure en faveur de la culture n'apparaissait dans les dix points prioritaires annoncés par Bruno Bernard en juillet, aucune n'a été annoncée pour aider un secteur ravagé par la crise de la Covid-19...

Mais voilà, ce fin politique a bien senti, suite à l'incompréhension et au sentiment d'injustice du monde de la culture face aux décisions de Jean Castex et d'Emmanuel Macron, qu'il y avait-là un coup à jouer et un terrain à occuper. Que la culture, finalement, pouvait devenir un enjeu et marquer une différence entre EELV et LREM. Et il a abattu sa première carte. C'est le sens du communiqué dévoilé dimanche matin comme du courrier envoyé au Premier ministre la veille : pouvoir ouvrir la boutique du Musée des Confluences (au même titre que le centre commercial de la Part-Dieu), sans laisser découvrir les parcours d'exposition du même musée, est un non-sens. C'est aussi un choix de société. Et c'est sur ce point qu'EELV compte appuyer, surfant sur les nombreuses incohérences relevées un peu partout par le monde culturel, vidéos de métro bondé ou blagues sur les lieux de culte à l'appui. Un premier tweet surprise — on ne l'attendait pas sur ce terrain — avait été publié jeudi juste après le discours de Jean Castex, qui laissait augurer de la suite de l'offensive : « quelle triste nouvelle que le report de l'ouverture des lieux culturels. Votre passion est essentielle, les émotions que vous provoquez sont essentielles, vous êtes un bien commun essentiel. Vous nous manquez, n'en doutez pas, on vous attend et nous serons là. »

Pas de date de réouverture annoncée

Le coup médiatique lyonnais a dans la foulée trouvé un écho national : EELV ce lundi a publié un communiqué appelant à participer mardi aux différentes manifestations en France pour la réouverture des lieux de culture (à Lyon, ce sera devant la DRAC à 15h — aucune élue ou élu Vert de la région n'a dévoilé sa présence pour l'instant) : « EELV demande de la cohérence dans les décisions gouvernementales et de l'équité entre les lieux de culture, les lieux de culte et les lieux de consommation. EELV apporte son soutien à l'ensemble des acteurs et actrices de la culture et appelle à se joindre aux manifestations prévues le 15 décembre. »

Mardi 15 décembre, car c'est à cette date que les cinémas, musées et salles de théâtre devaient ouvrir de nouveau. Et qu'elles ont encaissé de plein fouet, malgré les mesures de sécurité prises, l'interdiction de lever le rideau. Qui plus est, sans aucune nouvelle date annoncée : celle du 7 janvier, donnée par M. Castex, est celle de la prochaine conférence de presse parlant de leur cas. Pas celle de la réouverture, qui sera probablement, au mieux, calée au 20 janvier sur celle des restaurants et des bars. À condition que la troisième vague, annoncée par plusieurs spécialistes, ne frappe pas le pays comme on peut le craindre au vu des commerces bondés. Et que la culture n'en subisse encore les conséquences et ne soit autorisée à ouvrir... que plus tard, encore.

Du côté du communiqué de Bruno Bernard, on peut lire : « la nouvelle de jeudi soir est d'une extrême violence pour le monde culturel dans toutes ses formes. Et pour nos habitants aussi : la culture est un bien essentiel qui nous manque cruellement. Tristes fêtes de fin d'années où les cinéphiles seraient privés de toiles, où les déambulations dans les musées seraient interdites, où les fauteuils rouges des salles de théâtres resteraient vides, où la musique se tairait. L'injustice est insupportable pour ceux qui ont répété sans relâche et avec passion pour nous offrir toutes leurs émotions et leur art le 15 décembre. Je ne comprends pas cette décision. »

Grégory Doucet a renchéri dans ce communiqué commun : « de nombreux acteurs culturels auraient été en capacité de faire respecter ces protocoles sanitaires, très bien acceptés par leurs publics. Durant la période entre deux confinements, aucun cluster n'est parti de lieux culturels. Nous devons préserver la santé de chacun, mais aussi celle du corps social. Les crises que nous traversons génèrent des tensions inquiétantes. La culture est un levier puissant de cohésion sociale : la population ressent cette urgence de retrouver des lieux où construire son humanité commune. »

Le combat est partagé par beaucoup : nombre d'actrices et acteurs culturels s'apprêtent à manifester devant les locaux de la DRAC, mardi. Et plusieurs actions se mettent en place du côté des artistes — certains parlent d'organiser des projections dans des lieux de culte, des metteurs en scène et autrices essayent d'organiser une réouverture de salles de spectacles pour ce jeudi, sans autorisation non plus. Ce combat, au-delà du manque d'équité entre certains secteurs, au-delà du statut économique de la culture, doit aussi s'entendre par le rôle social primordial qu'occupe cette corporation. La culture crée du lien, oui, et nourrit l'esprit. Elle est par conséquent indispensable pour préserver en partie d'une seconde pandémie qui plane déjà sur nos sociétés : celles des troubles psychiques (dépression, anxiété ou encore stress post-traumatique) qui nous menacent aujourd'hui selon le monde médical qui tire la sonnette d'alarme.

Du côté des théâtres, certains comme Pierre-Yves Lenoir, co-directeur des Célestins, se déclarent prêts à ouvrir dès que possible : « l'espoir que ça ouvre est limité, on ne sait pas si ce référé peut aboutir mais ce qui est important est d'envoyer un signe de mobilisation et qu'ils (NdlR : le gouvernement) arrêtent de considérer qu'on compte pour peanuts. Et si par bonheur on obtenait gain de cause, il faudrait tout remettre d'aplomb : c'est difficile mais pas impossible. Tout le monde est suffisamment mobilisé pour agir vite. Il faudrait vraiment qu'on obtienne un cadre d'action qui soit très clair, qui nous garantisse qu'on ne ferme plus et qui positionne des jauges et des mesures restrictives face à la situation sanitaire. »

Jusqu'où sont prêts à aller les élues et élus locaux ?

Mais reste à savoir jusqu'où élus et élues lyonnais sont prêts à aller : si le maire de Lyon et son adjointe à la Culture, Nathalie Perrin-Gilbert, ont annoncé sur les réseaux sociaux que la ville « accompagnera les salles lyonnaises dans leur recours devant le Conseil d'État » si le Premier ministre ne donnerait pas suite au courrier que leur ont fait parvenir les trois collectivités que sont la Métropole, Lyon et Villeurbanne, la forme de ce soutien n'a pas été précisée : sera-t-il d'ordre moral, financier, juridique ? Aucune précision n'a été apportée. Les services juridiques et techniques de la Ville, comme de la Métropole, ont planché sur ces sujets liés à la culture aujourd'hui — Bruno Bernard l'a affirmé ce lundi matin en conférence de presse, avant la tenue du Conseil.

De même, aucune réponse n'a été apporté à l'heure où nous écrivons concernant les musées gérés par la Ville de Lyon (Musée des Beaux-Arts et Musée d'Art Contemporain en premier lieu) : seront-ils associés par la mairie à l'éventuelle décision de la Métropole d'ouvrir samedi sans feu vert de Paris ? La réflexion est en cours, nous a-t-on répondu. Reste aussi à savoir si les maires d'autres villes comptent suivre ce mouvement.

Face au silence du ministère de la Culture, il va bien falloir être capable de se positionner au-delà du coup de com' éphémère. Et comme Roselyne Bachelot, à ce jour, n'a toujours pas répondu au courrier envoyé en septembre par Grégory Doucet — qui souhaitait lui présenter sa politique culturelle —, ni ne lui a fait passer le moindre message, il est fort possible que ce silence perdure.

Grégory Doucet et Bruno Bernard tiendront conférence de presse commune ce mardi 15 après-midi à 16h30 au musée Lugdunum, pour détailler la suite de leur action, en compagnie de plusieurs actrices et acteurs culturels, dont Géraldine Bénichou (Théâtre du Grabuge), Vincent Carry (Arty Farty) ou encore Mourad Merzouki et Marion Sommermeyer (présidente du GRAC).

Ce lundi soir la visite presse de la nouvelle exposition du Musée des Confluences, prévue jeudi 17 au matin, a été annulée sans date de report pour l'instant. Malgré les discours politiques, on ne semble donc pas croire à une ouverture samedi parmi les personnels du musée... « Tu bluffes, Martoni » ?

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