Cinéma - Bernard Chardère est mort

Ce que Lyon et le cinéma lui doivent est inestimable. Bernard Chardère, co-créateur de la revue Positif et de l’Institut Lumière qu’il a tous les deux dirigés, vient de disparaître dans la nuit du 24 au 25 août a annoncé la Rue du Premier-Film. Il allait fêter ses 93 ans le mois prochain.

Difficile de faire plus lyonnais que lui : n’habitait-il pas Ainay, dont il devait être le plus libertaire des résidents ? Bernard Chardère était pourtant, comme l’ancien maire de Lyon Francisque Collomb, natif de Saint-Rambert-en-Bugey (Ain). Amateur de belles tables, il avait la camaraderie facile et le verbe volontiers taquin contre certaines notabilités. Loin de lui, les honneurs et la pompe ! L’heure est hélas venue de lui rendre hommage.

Élève brillant et cinéphile, Bernard Chardère fait ses classes au lycée du Parc où, en compagnie de trois camarades d’hypokhâgne — le regretté Louis Piollet, André Ottavi et Guy Jacob — il fonde en 1952 une revue appelée à devenir l’une des plus suivies de la presse spécialisée française, Positif. « Je voulais démontrer, qu'à l’image des siècles passés, les films avaient aussi histoire, une esthétique et pouvaient soutenir la comparaison. Nous, nous étions un peu naïfs et juvéniles mais plus encore scandalisés de ne pas voir le cinéma pris au sérieux. Il y avait d'importantes revues de lettres, de musique, mais pas de cinéma. Je crois qu'il y avait aussi quelques revendications d'identité provinciale : oui, nous voulions exister dans une grande ville autre que Paris. », expliquera-t-il plus tard à Thierry Frémaux (1). Rédacteur en chef pendant 15 numéros, il passe la main contraint et forcé lors de son incorporation sous les drapeaux en 1955, qui le mène en Tunisie. La revue va alors être éditée à Paris et le sera jusqu’à sa reprise par l’Institut Lumière et Actes Sud en 2012.

Des images et des mots

Homme de culture, homme de presse et homme d’images, Bernard Chardère ne succombera pas à la tentation parisienne. S’il passe derrière la caméra pour quelques courts métrages — dont Autrefois les canuts (1959) — il en produit avec André Collombet, au sein des Films du Gallion, devient créateur aux côtés du peintre Max Schœndorff d’une nouvelle revue, Premier Plan (1959). Planchon l’appelle comme secrétaire général du Théâtre de la Cité en 1961 ; en 1970, il s’occupe des pages culturelles de L’Express Rhône-Alpes. Tout cela ne l’éloigne jamais de sa passion première pour le cinéma, bien au contraire : il soutient la création de la revue Jeune Cinéma en 1964 et doit jubiler quand la Ville de Lyon (dirigée par son “pays“ Francisque Collomb) lui demande en 1978 de prendre la tête de la Villa Lumière qu’elle a acquise en 1976 puis rénovée, dans l’idée d’en faire un lieu autour du cinéma. Abritant dans un premier temps la Fondation nationale de la photographie, elle va par la suite héberger l’Institut Lumière dont Chardère sera le premier directeur et Bertrand Tavernier le premier président dès 1982. Un jeune bénévole fait partie de l’aventure des débuts : Thierry Frémaux. Durant une quinzaine d’années, la cinémathèque lyonnais s’installe dans le paysage, proposant dans la “salle du château“ des cycles annuels consacrés à l’Expressionnisme allemand, au réalisme poétique… On aperçoit parfois la silhouette de Bernard, grand spécialiste de Prévert ; à l’entrée, c’est souvent son épouse Alice qui déchire les billets. Même s’il passe le relai opérationnel en 1990, Chardère demeure associé aux préparatifs des commémorations du Centenaire du Cinématographe, en 1995.

La figure du sage

Après son retrait de l’Institut Lumière, on le voit encore dans les salles, toujours accompagné par Alice jusqu’à sa disparition à l’été 2016. D’aucuns auraient pu sombrer, Bernard Chardère va continuer à se démener pour le 7e Art. S’il dissémine une partie de ses incroyables archives personnelles, il donne de sa personne en co-organisant avec Patrick Picot de sympathiques causeries cinéphiliques dans la salle Eugène-Brouillard de la Mairie du 3e arrondissement de Lyon. Olivier Barrot en sera et même Freddy Buache, complice des débuts et ancien patron de la Cinémathèque de Lausanne, qui y fera l’une de ses dernières apparitions. L’œil aiguisé derrière ses gros carreaux de myope, Bernard Chardère n’a jamais cessé de s’intéresser à ce qui se passait sur les écrans d’hier comme d’aujourd’hui. Et d’écrire — on espère, d’ailleurs, la parution des nombreux textes inédits qu’il avait encore dans ses tiroirs.

Sa postérité demeure à travers son œuvre (Figurez-vous qu'un soir, en plein Sahara…, Lumières sur Lumière…) mais aussi le Prix qui porte son nom, décerné chaque année, en marge du Festival Lumière, à un critique.

(1)in L'Aventure cinéphilique de Positif (1952-1989), Vingtième Siècle, 1989, p.22.

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