En attendant le Festival Lumière, deux rétros s'affichent Rue du Premier-Film consacrés à deux monstres sacrés : David Lynch et Annie Girardot
David Lynch et Annie Girardot peuvent sembler à des “années-Lumière“ l'un de l'autre. Toutefois, leur parcours à tous deux illustre singulièrement par l'exemple le redoutable mot de Cocteau affirmant que le cinéma enregistrait « la mort au travail », des deux côtés de la caméra. Pour le cinéaste étatsunien, l'assertion tient de l'évidence tant son œuvre est habité, hanté, par les résurgences d'un onirisme flirtant dangereusement avec l'au-delà. Avant même que les multivers fassent les choux gras d'Hollywood, Lynch les expérimentait en instillant plus de bizarre que d'accoutumé dans ses fictions rectifiant le rêve américain devenu cauchemar. Dans une spirale vertigineuse, Blue Velvet, Twin Peaks : Fire Walk With Me, Lost Highway, Mullholland Drive et Inland Empire racontent cette irruption de plus en plus prononcée du chaos dans l'existence. Au reste, ses films adoptant une esthétique plus classique, voire “naturaliste“ (Une histoire vraie, Elephant Man) sont loin d'être exempts d'a-normalité. Si Eraserhead et Dune s'inscrivent définitivement à part (l'un est son film matriciel, l'autre à moitié renié), ils n'en demeurent pas moins lynchiens pour d'autres raisons.
Annie n'est plus ici
Le cas d'Annie Girardot est quant à lui révélateur de la situation des femmes à l'écran (et au-delà), que le regard social frappe impitoyablement d'obsolescence. Le public qui la découvrit à la fin des années 1960 l'apprécia en jeune première ou femme fatale (Rocco et ses frères, Maigret tend un piège), accepta ses audaces et son éclectisme à la Jeanne Moreau (Le Mari de la femme à barbe, Trois chambres à Manhattan), s'identifia sans doute à ce qu'elle renvoyait de modernité avec sa coupe courte et ses rôles de trentenaires-quadragénaires “normales“ : il fallait alors à une vedette un sacré courage pour se “désacraliser“ ainsi dans Erotissimo ou Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! Pour renoncer peu à peu au glamour ou à la romance Technicolor de Un homme qui me plaît et les troquant contre d'autres, teintés par le drame de Mourir d'aimer, la mélancolie de La Vieille Fille, la comédie de Tendre Poulet... Si Annie Girardot accepta son âge à l'écran, elle fut bien la seule : d'aucuns la rejetèrent comme s'ils apercevaient à travers elle un reflet de leur propre finitude. En 1996, le César qu'elle reçut rappela aux oublieux son existence ; cette petite rétropective perpétue son importance.
À l'institut Lumière jusqu'au 8 octobre