La contestation de l'avis d'inaptitude : quand le conseil de prud'hommes joue au médecin

par Me Arthur Blanchamp, avocat au Barreau de Vienne / En cas de désaccord relatif à l’avis médical rendu par le médecin du travail à l’occasion d’une visite de suivi ou d’une visite de reprise, l’employeur ou le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes en contestation de cet avis. Lorsque l’avis médical conclut à l’inaptitude du salarié pouvant le conduire à une procédure de licenciement, l’enjeu de la procédure de contestation peut être d’autant plus important.

La procédure d’inaptitude a été largement refondée par l’entrée en vigueur de la loi dite « Travail » n° 2016-1088 du 8 août 2016. Auparavant inexistante, une définition de l’inaptitude médicale du salarié était adoptée. Ainsi, le médecin du travail, qui constate, après étude de poste et échanges avec le salarié et l’employeur, qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste, déclare le travailleur inapte à son poste de travail.

Cet avis, déterminant l’avenir du salarié sur son poste voire dans son emploi, peut faire l’objet d’une contestation devant le conseil de prud’hommes.

Objet de la contestation

L’article L.4624-7 du Code du travail offre la possibilité au salarié et à l’employeur de saisir le conseil de prud’hommes en contestation des « avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale ».

Ces avis, propositions et conclusions écrites concernent ceux rendus dans le cadre d’une visite de suivi renforcée d’un salarié occupant un poste à risque, ou bien celui rendu dans le cadre d’une visite de reprise visant à déterminer l’aptitude du salarié à occuper son poste, mais également dans le cadre des propositions d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste.

Si pour prendre sa décision, le conseil de prud’hommes peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin s’est fondé pour rendre son avis (Cass. soc. avis 17 mars 2021 n° 21-70.002), la notion d’avis, propositions et conclusions écrites reposant sur des éléments de nature médicale prive la possibilité pour le salarié ou l’employeur de fonder sa contestation sur des éléments de type procédural. À ce titre, la Cour de cassation a pu décider qu’il n’était pas possible de remettre en cause un avis médical rendu au seul motif qu’aucune étude de poste n’avait été réalisée (Cass. Soc. 7 décembre 2022 n° 21-23.662).

Modalités de la contestation

La contestation est portée par voie de requête devant le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond. Le conseil de prud’hommes statue alors en formation restreinte, similaire à celle de la procédure de référés, c’est-à-dire composé de deux conseillers prud’homaux.

À la différence de la procédure de droit commun, la procédure accélérée au fond permet d’obtenir une décision sans passer par un préalable de conciliation. La décision rendue est exécutoire de plein droit et le délai d’opposition à celle-ci est de quinze jours.

La contestation de l’avis d’inaptitude n’est pas suspensive. Une fois l’avis prononcé, et ce même en cas de contestation, l’employeur est tenu d’effectuer une recherche de poste de reclassement et de reprendre le paiement des salaires au bout du délai d’un mois à compter de l’avis d’inaptitude.

Se pose alors la question, au regard de l’article 31 du Code de procédure civile, de l’intérêt à agir de l’employeur en contestation d’un avis d’inaptitude, lorsque l’obligation de reprendre le paiement des salaires le pousse au contraire à procéder au licenciement rapidement.

Mais cet intérêt à agir s’appréciant à la date de la saisine, et le licenciement n’étant pas encore intervenu, l’employeur reste en mesure de contester lui aussi l’avis d’inaptitude du salarié (Cass. soc. 2 juin 2021 n° 19-24.061).

Dans quel délai contester ?

Il faut être extrêmement réactif, car la contestation de l’avis d’inaptitude est enfermée dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter de la notification de l’avis d’inaptitude à la partie qui entend le contester, c’est-à-dire soit à la réception de la lettre recommandée avec avis de réception, soit à la date de remise en main propre contre récépissé ou émargement. Au-delà de ce délai, la contestation sera considérée comme forclose et l’avis rendu s’imposera au salarié et à l’employeur.

Attention cependant, car l’article R.4624-45 du Code du travail impose que les délais et modalités de recours figurent au sein de cet avis, à défaut de quoi aucune forclusion ne peut valablement être opposée au salarié ou à l’employeur souhaitant le contester.

Passé ce délai, l’avis d’inaptitude s’impose donc définitivement à l’employeur et au salarié. La contestation ne peut pas non plus être portée par voie d’exception ultérieurement, en marge d’une demande de remise en cause du licenciement pour inaptitude intervenu subséquemment.

La Cour de cassation considère en effet que passé le délai de quinze jours, la régularité de l’avis d’inaptitude ne peut plus être contestée et cet avis s’impose aux parties comme au juge (Cass. Soc. 7 décembre 2022 n° 21-23.662).

Les pouvoirs du juge prud’homal en matière de contestation de l’avis d’inaptitude

Saisi d’une contestation de l’avis d’inaptitude, le conseil de prud’hommes dispose d’un pouvoir important dans la mesure où sa décision « se substitue » à l’avis du médecin du travail.

Amené à se prononcer sur l’aptitude médicale d’un salarié à occuper son poste, le conseiller prud’homal ne troque cependant pas sa médaille contre un stéthoscope ; le Code du travail lui permet de s’adjoindre l’avis d’un médecin inspecteur du travail (auparavant désigné par le Code du travail comme un médecin expert). Ce médecin a ainsi pour mission « d’éclairer » le conseil de prud’hommes sur les éléments de fait relevant de sa compétence. L’avis rendu dans ce cadre ne lie ni l’employeur, ni le salarié, ni le conseil de prud’hommes. En effet, seule la décision prise in fine par le conseil de prud’hommes se substituera à l’avis médical rendu initialement par le médecin du travail. La désignation de ce médecin n’est cependant pas de droit, et le conseil de prud’hommes peut parfaitement rendre une décision sans faire appel à son expertise.

Pour ne pas pénaliser le requérant, et notamment le salarié qui dispose de moyens limités, le conseil de prud’hommes peut décider de ne pas mettre tout ou partie des honoraires et frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive.

Les conséquences de la décision

On l’aura compris, la décision du conseil de prud’hommes rendue dans le cadre d’une contestation de l’avis d’inaptitude revêt ainsi un caractère primordial, dans la mesure où cet avis conditionne l’avenir du salarié sur son poste et dans son emploi.

En cas de décision prud’homale de remise en cause de l’avis d’inaptitude, le salarié est considéré comme apte à occuper son poste de travail. C’est donc l’éventuel licenciement pour inaptitude subséquent qui se trouve privé de fondement valable. Le salarié licencié peut en conséquence contester le caractère réel et sérieux de son licenciement devant la juridiction prud’homale, dans le cadre d’une procédure de droit commun et ainsi obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 31 mars 2016 n° 14-28.249).

Si le salarié n’était pas licencié, le contrat de travail n’est plus suspendu et l’employeur doit reprendre le paiement des salaires (Cass. Soc. 26 novembre 2008 n° 07-43.598). Dans le cas où en application de l’avis d’inaptitude, le salarié avait été reclassé sur d’autres fonctions, il doit être réintégré sur son poste initial (Cass. Soc. 28 janvier 2010 n° 08-42.702).

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