Le pouvoir de la marque

Publié Vendredi 24 novembre 2023

Par Me Irina Riera, avocate au Barreau de Thonon / « Ma marque »  : souvent brandie comme un trophée, votre marque vous cache peut-être encore des secrets. Alors, qui est-elle vraiment, à quoi sert-elle et comment se l’approprier ?

La marque au sens juridique

Au sens juridique, une marque est un signe distinctif qui permet d’identifier et de distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux d’autres acteurs. Elle constitue un élément essentiel de la propriété intellectuelle et peut revêtir diverses formes, notamment des mots, des logos, des slogans, des couleurs, des formes, des sons, des hologrammes ou une combinaison de ces éléments.

Dans l’esprit de la loi, les marques sont utilisées d’abord pour permettre aux consommateurs d’identifier et de faire confiance à des produits ou services spécifiques, et ensuite pour forger une identité distinctive à entreprise et à ses produits ou services. L’enregistrement d’une marque confère à son propriétaire des droits exclusifs sur l’utilisation de cette marque dans les catégories de produits ou de services pour lesquelles elle est enregistrée. Ces droits incluent le droit d’interdire à d’autres entreprises d’utiliser une marque identique ou similaire dans ces catégories, appelées « classes », ce qui constitue un moyen de protéger la réputation et la spécificité de l’entreprise, ainsi que celles de ses produits et services.

Les lois régissant les marques varient d’un pays à l’autre. En France, et plus généralement dans l’Union Européenne, pour qu’une marque soit enregistrée, elle doit :

• Être distinctive. Le signe doit être apte à distinguer vos produits de ceux des concurrents, et par conséquent indiquer l’origine commerciale des produits ;
• Être non générique. Le signe ne se constitue pas seulement de la désignation de la catégorie du produit qu’elle distingue ; par exemple, on ne dépose pas une marque « savon » pour désigner du savon ;
• Être disponible. Le signe n’a pas encore fait l’objet d’une appropriation, notamment par un titre de propriété intellectuelle ou usage d’appellation commerciale ;

Et la marque ne doit pas :

• Porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Par exemple, on ne dépose pas le signe « police coupable » pour un jeu de société ;
• Tromper le consommateur sur les caractéristiques, la nature ou la provenance du produit. Par exemple, on ne conseillera pas de déposer un signe contenant l’adjectif « savoyard », si les produits ou services désignés n’en proviennent pas ;
• Comporter certains signes indisponibles tels que les armoiries publiques, drapeaux et autres signes officiels. Par exemple, une marque comprenant distinctivement le drapeau français présenté sous cette forme aura de fortes chances d’être refusé à l’enregistrement par l’INPI.

Les marques enregistrées sont valables pour une durée déterminée (dix ans en France), renouvelable à intervalles réguliers, tant que le titulaire continue à l’utiliser conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur, et sans méconnaissance des éventuels droits d’autrui.

La marque : un actif aux multiples atouts

Bouclier juridique

Le dépôt de marque constitue l’une des armes juridiques, aux côtés des autres titres de propriété intellectuelle et appellations commerciales, contre les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Prenons l’exemple d’un producteur de cosmétiques naturels, qui revend ses produits au travers d’une boutique sur son site internet, avec un positionnement très clair sur les produits naturels. Il a déposé sa marque Couleurs de nature (marque factice inventée pour les besoins de cet article). Celui-ci ou celle-ci s’aperçoit qu’un acteur économique utilise le signe Couleurs naturelles pour désigner ses produits exactement sur ce même segment de marché. Le risque de confusion étant fort entre les deux signes, l’identité de notre client est atteinte. Comme il dispose d’une marque, il ou elle pourra se manifester auprès du concurrent par le biais d’une mise en demeure notamment, pour tenter de faire cesser cette atteinte.

Confiance des consommateurs

Une marque déposée est un gage de crédibilité aux yeux des consommateurs. Tout simplement, une entreprise qui définit une stratégie de marque et engage des frais pour sa défense envoie le signe qu’elle jouit d’une réputation à protéger. De même, la stabilité de l’identité visuelle crée chez le consommateur un sentiment de sécurité, puisque le signe permet d’identifier facilement une entreprise sur le marché, avec laquelle se sentir familier. Nous identifions par exemple très facilement les produits Mont-Blanc, qu’il s’agisse de l’horlogerie, la maroquinerie ou des produits d’écriture. La stabilité de l’identité visuelle, le signifiant dans l’imaginaire collectif auquel renvoie le signe Mont-Blanc, et la réputation dont les produits jouissent, sont des éléments favorisant notre confiance de consommateur, avantage concurrentiel indéniable.

Valorisation et monétisation de l’actif Marque

Le dépôt de marque transforme également l’identité de votre entreprise, ainsi que celle de vos produits et services, en un actif valorisable figurant parmi les actifs incorporels. Google est un exemple éloquent. La marque Google stricto sensu a été évaluée à plus de 323 milliards de dollars, selon le classement BrandZ 2022. Une marque forte contribue donc à la valorisation de l’entreprise. Par ailleurs, la marque est un élément monnayable, notamment par le biais des licences. Les grandes marques, telles que Nike, concluent des contrats de licence lucratifs avec d’autres entreprises pour exploiter leur nom. Par exemple, Nike autorise des fabricants de vêtements, de chaussures et d’équipements sportifs à utiliser sa marque en échange de redevances substantielles.

Préparer un dépôt : petit vade me cum

Si je vous ai convaincu, voici quelques points sur lesquels il est primordial de réfléchir avant d’arrêter le choix d’une marque et envisager un dépôt. En effet, il faut être prêt à engager des moyens financiers pour pérenniser sa marque, qu’il s’agisse de frais de dépôt ou de conseils, en amont ou en aval d’un litige. Par ailleurs, le processus de dépôt de marque peut être complexe et coûteux. C’est pourquoi celui-ci mérite que l’on s’y attarde.

L’unicité de la marque

Est-ce que votre marque est véritablement unique et distinctive ? Évitez les marques génériques ou trop similaires à d’autres, car elles risquent d’être refusées. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, l’unicité de la marque est également un argument marketing, puisqu’elle vous démarque de vos concurrents.

Domaines d’activité protégés

Déterminez dans quels domaines d’activité vous voulez protéger la marque. Choisissez judicieusement en fonction de votre stratégie commerciale. Nous conseillons d’ordinaire aux clients de réfléchir à leur stratégie commerciale à cinq ans. En effet, si la marque n’est pas exploitée pour certains produits et services visés dans le dépôt, après cinq ans, elle risque de faire l’objet d’une action en déchéance. C’est pourquoi les dépôts ne doivent pas être trop accueillants, mais doivent tenter de suivre l’activité à horizon cinq ans post-dépôt.

Territoires de protection

La marque est un droit territorial. Elle n’est valable que pour le territoire pour lequel la protection est demandée. Si vous souhaitez commercialiser à l’étranger, il peut être intéressant de réfléchir au dépôt international ou à la marque de l’Union Européenne.

Recherches préalables

Faites des recherches approfondies pour vous assurer que votre marque n’est pas déjà utilisée par d’autres entreprises, pour éviter les litiges et vous assurer de conserver une réelle identité propre aux yeux du consommateur.

Conclusion

Le dépôt de marque est une étape stratégique cruciale pour toute entreprise, offrant une protection juridique, renforçant la confiance des consommateurs, créatrice de valeur. Il s’agit également d’un objet juridique complexe, qui mérite une attention particulière.