Refus d'obtempérer et délit de fuite : deux infractions qui s'envolent

Par Me Michèle Girot-Marc, bâtonnière élue du Barreau de Grenoble / Lorsqu’il est question de droit routier, il est, le plus souvent, fait état de vitesse, d’alcool ou de stupéfiants. Causes principales de la mortalité sur les routes, ces infractions sont vite assimilées aux infractions les plus répandues. Pourtant, les chiffres de l’Insee sont têtus et révèlent que les deux infractions les plus commises en France depuis dix ans sont de nature très différente.

En effet, l’infraction de refus d’obtempérer et celle de délit de fuite représentent à elles deux 32 % des délits, largement devant les conduites sans permis (18 %) et les conduites en ébriété (16 %).

S’agissant du refus d’obtempérer, il serait question, selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, de la commission d’un refus d’obtempérer toutes les vingt minutes !

Mais le délit de fuite, serait, quant à lui, encore plus répandu, avec 29 % des délits. Selon les mêmes statistiques, une vingtaine de délits de fuite seraient commis par heure !

Très fréquentes, attachons-nous à examiner ces deux infractions, proches en apparence, mais distinctes dans leurs caractéristiques et les sanctions encourues.

Le délit de fuite

Défini par l’art L 231-1 du Code pénal, il vise le fait, pour tout conducteur d’un véhicule, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, de ne pas s’arrêter et de tenter ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut avoir encourue.

Ce comportement est punissable de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Si les peines peuvent être doublées en cas d’homicide ou blessures supérieures à trois mois, elles peuvent faire l’objet, quoi qu’il en soit, de peines complémentaires, comme la suspension du permis de conduire pour une durée maximale de cinq ans, une suspension ne pouvant pas être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle.

Sur le plan administratif, elle sera également sanctionnée par le retrait de six points.

En résumé, pour que le délit de fuite soit caractérisé et punissable, il faut que :

– Le conducteur du véhicule ait assuré la direction et la maîtrise du véhicule ;

– L’accident qui s’est produit ait eu des conséquences matérielles ou corporelles ;

– L’accident ait été provoqué par le conducteur du véhicule en question ;

– Le conducteur se soit enfui afin d’empêcher son identification ;

– Le conducteur fautif doit avoir conscience d’avoir causé l’accident.

Il convient encore de préciser que le fait de s’arrêter et de discuter avec la victime est indifférent, de la même façon que le fait de donner des informations personnelles erronées. L’élément essentiel visera la conscience, ou non, d’avoir causé un accident.

Le refus d’obtempérer

Défini par l’article L 233-1 du Code pénal, il vise le fait, pour tout conducteur, d’omettre d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou d’un agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité.

Cette infraction est punie de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

La loi du 24 janvier 2022 est venue durcir les termes de la répression en obligeant le juge, en cas de commissions avec d’autres infractions, de distinguer le refus d’obtempérer et de le sanctionner isolément.

Il peut faire l’objet également des peines complémentaires suivantes :

– La suspension, pour une durée ne pouvant excéder trois ans, du permis de conduire ; cette suspension ne peut être assortie du sursis, ni limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle ;

– La peine de travail d’intérêt général ;

– La peine de jours-amende ;

– L’annulation du permis de conduire, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant une durée ne pouvant excéder trois ans ;


– La confiscation du véhicule dont le condamné s’est servi pour commettre l’infraction ;

– La confiscation d’un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ;

– L’obligation pour le condamné d’accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière.

Sur le plan administratif, elle sera sanctionnée par le retrait de six points.

La peine peut être augmentée en cas de circonstance aggravante jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, si le refus d’obtempérer a exposé un autre conducteur ou un piéton à un risque de mort ou de blessures, de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.

En résumé, le refus d’obtempérer est caractérisé :

– Lorsque les forces de l’ordre font signe au conducteur de s’arrêter ;

– Que les forces de l’ordre étaient identifiables par leurs vêtements ou insignes ;

– Que le conducteur a vu les forces de l’ordre et ne s’est pas arrêté.

L’augmentation de cette infraction de refus d’obtempérer, susceptible parfois de mettre en jeu la sécurité des forces de l’ordre, a généré en 2017, sous l’influence des syndicats policiers, la justification de l’utilisation des armes. Ainsi, l’article L 435-1 du Code de la sécurité intérieure permet aux forces de l’ordre d’utiliser leurs armes de service à l’aune de cinq critères et notamment dans le cadre d’un refus d’obtempérer par un automobiliste, si le véhicule menace physiquement un ou plusieurs policiers. Le texte dispose que l’utilisation de l’arme doit se faire en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, mais l’usage de l’arme n’est pas sans poser difficulté et chacun se souviendra que les émeutes frappant la France début juillet 2023 ont eu pour origine un refus d’obtempérer causant la mort du jeune Nahel.

Alors face à de tels risques de dissuasion et répression, il convient de s’interroger sur les causes de cette constante augmentation.

Une première réponse s’impose face au comportement d’évitement de l’interpellation. Elle est liée à la mise en place du permis à points. Les deux infractions emportent retrait de six points, soit la moitié du capital de points. Si le conducteur a déjà perdu pour d’autres raisons la moitié de son solde de points, la déclaration de culpabilité emporterait invalidation du titre de conduite pour solde nul. Il tente, ici, d’échapper au retrait de points et à l’invalidation de son permis de conduire.

À cela s’ajoute une autre variable : la hausse globale du nombre de contrôles. Déjà très nombreux en matière d’alcoolémie, ceux pour dépistage de stupéfiants ont explosé : six fois plus nombreux en dix ans. Le déploiement du test salivaire, qui a facilité le contrôle de l’usage de cannabis au volant, peut expliquer cette augmentation des contrôles et avec eux la volonté de certains conducteurs de se soustraire au contrôle qui emportera nécessairement suspension administrative de leur permis de conduire pour une durée de six mois au moins.

Un autre facteur non négligeable peut pousser certains automobilistes à ne pas se soumettre à un contrôle de police : le défaut d’assurance. Dans l’hypothèse d’un simple contrôle ou dans le cadre de l’accident, le défaut d’assurance serait constaté avec sa cohorte de conséquences dans l’hypothèse de dommages.

Autre facteur concernant l’augmentation du nombre de délits de fuite, la nécessité de dépôts de plainte pour que l’indemnisation par la compagnie d’assurances intervienne. Une telle contrainte incite nécessairement les victimes à déposer plainte de façon quasi systématique.

Deux infractions distinctes, lourdes de conséquences pénales ou pécuniaires

Symptômes d’une société malade de son incivilité ou symptômes d’un individualisme effréné qui conduit à vouloir échapper à ses responsabilités, l’augmentation des infractions du refus d’obtempérer et du délit de fuite ne laisse pas indifférent le spectateur de son temps.

Il ne laisse pas plus indifférent le spécialiste en droit routier qui constate que la répression augmente, alors même que le nombre d’infractions ne diminue pas et s’interroge sur le bien-fondé de la réponse apportée.

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