Cigarettes depuis l'étranger vers la France : quelle réglementation ?

Me Claudio Adduci, avocat au Barreau d’Albertville / L’incertitude règne dans le domaine de l’importation de tabac depuis les autres États membres de l’Union européenne. Quelles quantités peut-on importer ? Peut-on être exposé à des sanctions pénales ou d’autre nature.  Focus sur la législation en vigueur.

Au 1er janvier 2024, le prix du tabac et des cigarettes a encore augmenté en France : désormais un paquet de cigarettes coûte, en moyenne, 11 euros. Cette hausse va continuer dans les années à venir, puisque des augmentations ont déjà été décidées pour 2025 et 2026.

Dans les pays voisins, en revanche, les prix restent stables et s’attestent, en moyenne, à la moitié des prix français (5, 50 euros en Italie, 4, 50 euros en Espagne, 7, 50 euros en Belgique, 8 euros en Allemagne,  etc.).

Une limitation récente

Depuis longtemps, en conséquence, les fumeurs français préfèrent s’approvisionner à l’étranger. Le ministère de l’Économie n’a jamais pu apprécier la perte en termes de recettes fiscales de ces achats à l’étranger. Ce n’est qu’en 2020, avec la pandémie et la fermeture des frontières, qu’il a été possible de chiffrer cette perte de la part de l’État français entre 2, 5 et 3 milliards d’euros par an.

C’est pourquoi le 30 juillet 2020 un amendement de la loi des finances rectificative pour l’année 2020 a limité l’importation (même depuis un État de l’Union européenne) à une seule cartouche de cigarettes (200 cigarettes) par personne. Cette disposition, clairement illégale et contraire au droit de l’Union européenne, a mené le Conseil d’État, en date du 29 septembre 2023, à demander au Gouvernement de s’aligner sur le droit européen (et, en particulier à la directive UE 2020/262 concernant l’établissement d’un régime général en matière d’accises, mieux expliqué ci-dessous), qui fixe à 800 le nombre de cigarettes qu’il est possible d’importer d’un État européen à l’autre.

Quelles peines ?

Mais, concrètement, que se passe-t-il lorsque ces limites en termes de nombre de cigarettes (200 et 800) sont dépassées ?

Il est possible d’affirmer, d’emblée, qu’une personne qui importe en France des cigarettes légalement achetées dans un autre pays UE ne commet aucune infraction, quelle que soit la quantité importée. Les autorités poursuivantes (administration des Douanes, procureur de la République) ont qualifié à plusieurs reprises ces importations de contrebande, délit puni par les articles 215, 414 et 419 du Code des douanes, d’une peine jusqu’à trois ans d’emprisonnement et d’une amende douanière comprise entre une et deux fois la valeur des produits objet de contrebande.

Pour citer un exemple concret et récent, un homme a été renvoyé devant le tribunal correctionnel d’Albertville pour des faits qualifiés de contrebande, car il a été contrôlé par les agents des douanes alors qu’il transportait 200 cartouches (40 000 cigarettes) régulièrement achetées en Italie et munies de la vignette fiscale italienne. Le tribunal a relaxé le prévenu : la contrebande ne pouvant être retenue qu’en présence de marchandise contrefaite et/ou circulant illégalement sur le marché de l’Union européenne. L’apposition des vignettes fiscales sur les paquets de cigarettes de la part des autorités italiennes en atteste leur circulation légale et exclut, par conséquent, la caractérisation du délit de contrebande.

Il convient de souligner qu’il n’est pas possible d’en arriver aux mêmes conclusions si les cigarettes ont été achetées en dehors de l’Union européenne (par exemple, Andorre, la Turquie,  etc.), puisque dans ce cas il s’agirait d’une importation d’un produit qui n’est pas (encore) circulant sur le marché de l’UE.

Quels impacts fiscaux ?

Si le dépassement des quantités citées auparavant ne caractérise pas une infraction de nature pénale, il peut néanmoins entraîner des conséquences d’un point de vue fiscal, mais ces conséquences ne sont pas automatiques et ne dépendent pas du simple dépassement des quantités.

Il suffit, en ce sens, de faire référence à la directive européenne n° 2020/262, établissant, comme dit auparavant, le régime général d’accise (l’accise est une taxe qui s’applique à des biens « sensibles » pour la santé publique, comme le tabac, l’alcool et les carburants) : celle-ci fait une distinction entre acquisition par un particulier pour ses besoins propres et acquisition pour des finalités commerciales. Dans le premier cas, l’accise est exigible uniquement dans le pays où les produits sont acquis (donc, le pays d’origine) ; dans le deuxième cas, c’est le pays de destination qui perçoit l’accise sur ces biens.

L’article 32 de la directive énumère des éléments qui permettent de repérer s’il s’agit d’une importation à titre particulier ou à titre commercial. Selon cette disposition, afin de déterminer si un produit est destiné aux besoins propres d’un particulier, les États membres doivent prendre en compte des éléments qui sont strictement énumérés par le texte même de la directive. Notamment :

a) Le statut commercial du détenteur des produits soumis à accise et les motifs pour lesquels il les détient ;

b) Le lieu où se trouvent les produits soumis à accise ou, le cas échéant, le mode de transport utilisé ;

c) Tout document relatif aux produits soumis à accise ;

d) La nature des produits soumis à accise ;

e) La quantité des produits soumis à accise.

Toutefois, si la norme attribue aux États le pouvoir de prévoir des niveaux indicatifs, ceux-ci peuvent prendre ces niveaux en considération « uniquement comme forme de preuve ». En outre, la norme européenne prévoit que ces niveaux indicatifs éventuellement fixés par les États membres ne peuvent être inférieurs à 800 pièces pour les cigarettes.

La disposition examinée est claire : il existe cinq indices, de nature différente, à prendre en considération afin de déterminer si l’importation a nature commerciale ou non. Dans ce sens, le dépassement de la quantité indicative de 800 cigarettes ne constitue qu’un (seul) indice qui milite dans le sens d’une importation commerciale ; indice insuffisant si les autres éléments penchent clairement vers une importation d’un particulier pour ses propres besoins.

Pour faire un exemple pratique : imaginons un particulier résidant en France. Il est salarié d’une entreprise. Il achète dix cartouches de cigarettes en Espagne chez un buraliste espagnol. Il transporte ces cigarettes dans un sac, dans lequel se trouve aussi le reçu de son achat par carte bancaire et qui est posé sur le siège passager de son véhicule. Dans ce cas, même si la quantité de 800 cigarettes est largement dépassée, il est possible d’affirmer, par rapport aux éléments d’indice énumérés à l’article 32 de la directive, que :

a) La personne n’a pas de statut commercial, étant un salarié et pas un entrepreneur ;

b) Les cigarettes se trouvent dans son véhicule, à la vue de qui que ce soit, sans être cachées dans des trappes ou par tout autre moyen ;

c) Il existe un justificatif d’achat (légal) des produits ;

d) Il s’agit de biens qui se prêtent, par leur nature, à la consommation personnelle.

Dans un tel contexte, c’est évident que l’importation à titre commercial ne sera pas prouvée.

Mais que se passerait-il si, par exemple, l’administration des douanes retenait le caractère commercial de l’importation ? Dans ce cas-là, le particulier s’exposerait à un recouvrement de l’accise qui aurait dû être versée en France (accise à hauteur de 55 % pour les cigarettes), ainsi qu’à des sanctions pour ne pas avoir déclaré des biens soumis aux droits indirects.

Il convient, enfin, d’ajouter que cette même réglementation vaut aussi pour les alcools et spiritueux : c’est toujours l’article 32 de la directive 2020/262 qui est applicable, sachant que ce même article fixe des niveaux indicatifs spécifiques pour les boissons alcoolisées selon leur nature et leur pourcentage d’alcool.

Pour conclure, une chose est certaine : pour éviter tout problème, il suffirait d’arrêter de fumer…

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