L'avènement de la CSRD : un tsunami réglementaire en marche ?

Antoine Sirand, Attika Bellahcène-Guérin / Entrée en application au sein de l’Union européenne depuis janvier dernier, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) implique l’élargissement du reporting extra-financier obligatoire des entreprises au sein de l’Union européenne. Explications concrètes sur sa mise en œuvre.

La mise en place de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)

La mise en place de cette réglementation résulte d’un constat simple : l’objectif d’atteindre une neutralité carbone en 2050, induite par le Green Deal européen, a de faibles chances d’être atteint sans actions fortes. En conséquence, pour accentuer les efforts, les instances européennes ont mis en place la CSRD en 2022, en mettant à contribution les entreprises dans cette démarche et en essayant d’orienter davantage les capitaux vers des investissements durables. Cette directive a été transposée en droit français et impose aux organes de direction et de gouvernance des entreprises concernées, l’établissement d’une nouvelle forme de reporting avec la publication d’un rapport de durabilité :

– Inclus dans leur rapport de gestion annuel,

– Dont les données font l’objet d’un format électronique et d’un balisage obligatoire,

– Respectant un canevas de douze normes publiées par la Commission européenne (les ESRS) convergeant avec les autres réglementations internationales,

– Devant faire l’objet d’une vérification obligatoire par un tiers.

Ce nouvel état inclut donc un accroissement de la responsabilité des dirigeants puisqu’il entraîne, outre un risque réputationnel :

– Des sanctions relatives à sa communication : injonction de sa communication ou désignation d’un mandataire pour le produire, toute personne intéressée pouvant le demander,

– Des sanctions administratives pour les sociétés cotées : pécuniaires de la part de l’Autorité des marchés financiers (AMDF),

– Des sanctions civiles,

– Des sanctions pénales.

Quel sera le contenu du rapport de durabilité ?

Le rapport de durabilité porte sur des données et en aucun cas sur des comportements.

La CSRD impose une communication ainsi qu’une structuration plus étendue que les réglementations déjà existantes, qui porteront sur :

– L’environnement : atténuation et adaptation aux changements climatiques, ressources aquatiques et marines, utilisation des ressources et économie circulaire, pollution, biodiversité et écosystèmes,

– Le social : égalités de traitement et égalités des chances, conditions de travail, respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales, de la démocratie,

– La gouvernance : rôle, contrôle interne et gestion des risques, éthique des affaires et culture d’entreprise, influence politique, gestion et qualité des relations.

À terme, est attendue la publication de trente-neuf normes sectorielles qui compléteront les thématiques précédemment évoquées.

Les entreprises concernées devront communiquer, sous réserve d’une double analyse de matérialité, sur l’ensemble de ces éléments avec une certaine progressivité, la mise en œuvre de cette mesure prévoyant des aménagements possibles sur une période de trois ans. Le périmètre sur lequel porte le reporting de durabilité rompt totalement avec nos habitudes, puisqu’il concerne des informations sur les activités propres de l’entreprise et sur sa chaîne de valeur, y compris ses produits et services, ses relations d’affaires et sa chaîne d’approvisionnement. Ainsi la portée du rapport dépasse largement celle du périmètre de consolidation (notion de contrôle juridique), puisqu’elle inclut non seulement ce dernier, mais également la chaîne de valeur amont et aval (exemple : données relatives aux fournisseurs, sous-traitants, de rang 1, 2…, utilisation qui est faite des produits et services par les utilisateurs finaux).

On comprend donc aisément que ce nouveau rapport va induire, outre une réflexion profonde sur l’étendue des données sur lesquelles les entités concernées vont devoir communiquer, la mise en place de process de remontées et de consolidations de ces données sur un périmètre qui dépasse les portes de l’entreprise.

Qui contrôlera le rapport de durabilité ?

En France, la vérification du rapport de durabilité et l’émission d’un rapport d’assurance limitée (distinct du rapport de certification des comptes) incomberont :

– Soit à un ou plusieurs commissaires aux comptes : uniquement ceux qui auront suivi un cursus de formation spécifique et ayant obtenu un « visa durabilité ». Leur nomination relève d’une décision d’assemblée générale et s’effectue pour six exercices (possibilité d’avoir un premier mandat plus court pour aligner cette mission sur la mission « traditionnelle » de certification des comptes, cette dernière n’étant pas nécessairement réalisée par le même commissaire aux comptes).

– Soit à un tiers indépendant accrédité auprès du Comité français d’accréditation – Cofrac (OTI) : organismes actuellement en charge de la vérification des déclarations de performance extra-financière (DPEF).

Là encore, la CSRD prévoit une progressivité des audits puisque, si dans un premier temps les rapports des vérificateurs feront l’objet d’une assurance limitée, à compter de 2028, il devrait s’agir d’une assurance raisonnable : l’étendue des diligences sous-jacentes va donc s’accroître.

L’actuelle instance de régulation des commissaires aux comptes (H3C, Haut Conseil du commissariat aux comptes) voit son périmètre d’intervention élargi, puisqu’elle a désormais en charge la régulation de ces nouvelles missions et a été renommée H2A (Haute Autorité de l’audit).

Qui sont les entreprises concernées ?

Le périmètre des entreprises directement concernées par la CSRD va s’accroître progressivement de 2024 (publication en 2025 sur des données 2024) à 2028 :

– 2024 : grandes entreprises d’intérêt public au sens de la directive comptable, cotées sur un marché réglementé, banques, assurances avec >25 M€ de bilan ou >50 M€ et >500 salariés,

– 2025 : toutes les grandes entreprises au sens de la directive comptable, basées dans l’UE ou cotées sur un marché réglementé UE, 2 des 3 seuils >25 M€ de bilan, >50 M€, >250 salariés,

– 2026 : toutes les PME cotées sur un marché réglementé UE, hors microentreprises,

– 2028 : filiales et succursales de groupes / entités non UE, si la mère ultime / entité relève du droit d’un pays tiers et le CA du groupe est supérieur à 150 M€ dans l’UE et si au moins une filiale UE est une grande entreprise, ou une succursale dont le CA est supérieur 50 M€.

De surcroît, la transposition de la CSRD en France a vu une extension du champ d’application à certaines formes non requises par cette directive (mutuelles, certains groupements d’assurances, coopératives agricoles). Ainsi, de manière indirecte, par capillarité, la CSRD va impacter bien plus d’entités que celles soumises à l’obligation légale de publier un rapport de durabilité, puisque les entités concernées vont devoir intégrer dans leur communication des données sur l’ensemble de la chaîne de valeur des produits et services fournis, donc sur des données émanant d’autres entités qui interviennent dans cette chaîne de valeur, malgré une absence de contrôle juridique de celle-ci. On imagine donc très bien que toute relation entre une entité concernée directement par la CSRD et une autre, non concernée, pourrait dépasser le simple stade commercial :

– En termes de réputation : puis-je conserver un partenaire qui n’aurait pas de politique en matière RSE ou qui ne pourrait pas matérialiser ses actions ?

– Une entreprise qui communique des objectifs et des données dans son rapport de durabilité permettant de suivre ses efforts peut-elle continuer à travailler avec un partenaire qui ne serait pas dans la même dynamique ?

– Dans le cadre d’appels d’offres, un cahier des charges pourra-t-il être émis sans critères RSE ?

– Toujours dans cette dynamique, un établissement financier va-t-il pouvoir continuer à financer de la même façon des projets durables et non durables ?

L’implémentation de la CSRD a donc pour effet de tisser une toile d’obligations en matière de réflexions et de mise en place de reporting de durabilité et, par capillarité, de toucher de manière exponentielle un très grand nombre d’acteurs. Le défi des entreprises va donc être de répondre aux obligations mais au-delà, de mener les actions pour rester compétitives voire en faire une opportunité.

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