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Vente d'un bien détenu en démembrement de propriété : que faire du prix ?
Publié Lundi 25 mars 2024
Me Vincent Muller / En cas de vente d’un bien détenu en démembrement de propriété, trois possibilités sont offertes aux vendeurs, qui peuvent se répartir le prix de vente, le laisser à la disposition de l’usufruitier ou encore le réinvestir dans l’acquisition d’un nouveau bien en démembrement.
La propriété d’un bien est dite démembrée lorsqu’elle est répartie entre un usufruitier, qui a le droit d’utiliser ce bien ou d’en percevoir les revenus, et un nu-propriétaire, qui a l’assurance d’en devenir pleinement propriétaire à l’extinction de l’usufruit, généralement causée par le décès de l’usufruitier.
Le démembrement de propriété est un outil juridique couramment utilisé, notamment en matière de transmission de patrimoine où il permet d’alléger voire de gommer la fiscalité applicable.
Lors de la constitution du démembrement de propriété, c’est-à-dire lorsque le nu-propriétaire reçoit la nue-propriété du bien par donation ou succession, il n’est taxé que sur la valeur de la seule nue-propriété recueillie. Cette dernière correspond à un pourcentage de la valeur du bien plus ou moins important en fonction de l’âge de l’usufruitier (CGI, art. 669). Elle est donc nécessairement moindre que la valeur du bien lui-même. À l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire devient pleinement propriétaire du bien sans subir de nouvelle taxation (CGI, art. 1133). En définitive, il reçoit ainsi la pleine propriété du bien pour le « prix fiscal » de sa nue-propriété.
Il n’est donc pas rare de voir, de leur vivant, deux parents consentir à leurs enfants une donation de la nue-propriété d’un bien, en s’en réservant l’usufruit, ou, au décès d’un époux, le conjoint survivant, opter pour l’usufruit viager de la succession, les enfants héritant de la nue-propriété.
Une fois constituées, ces situations de démembrement peuvent s’inscrire dans la durée et ne se dénouer qu’au décès de l’usufruitier. Mais il arrive également que du vivant de l’usufruitier, celui-ci et le nu-propriétaire s’accordent pour vendre le bien objet du démembrement. Généralement, c’est l’usufruitier qui est à l’initiative de cette décision, par exemple parce que le bien n’est plus en adéquation avec son projet de vie ou parce que son entretien est devenu trop lourd à assumer.
Se pose alors la question du sort du prix de vente. Trois possibilités sont offertes aux vendeurs, qui peuvent se répartir ce prix, le laisser à la disposition de l’usufruitier ou encore le réinvestir dans l’acquisition d’un nouveau bien en démembrement.
La répartition du prix
Usufruitier et nu-propriétaire peuvent d’abord convenir de se répartir le prix de vente selon la valeur respective de chacun de leurs droits.
Deux méthodes sont envisageables pour déterminer la valeur respective de l’usufruit et de la nue-propriété :
– Il peut être fait application du barème prévu à l’article 669 du Code général des impôts, qui conduit à évaluer l’usufruit et la nue-propriété forfaitairement en fonction de l’âge de l’usufruitier ;
– Ou il peut être procédé à une évaluation économique de chacun de ces droits, par application d’une formule mathématique tenant compte, de manière précise, du taux de rendement du bien vendu et de l’espérance de vie de l’usufruitier et conduisant à une évaluation plus juste de l’usufruit et de la nue-propriété.
Le recours au barème fiscal conduit, sauf exception, à sous-évaluer l’usufruit et, corrélativement, à surévaluer la nue-propriété.
Ainsi, lorsque le souhait des vendeurs est que le nu-propriétaire recueille la part la plus importante possible du prix de vente, l’application du barème fiscal est souvent préconisée. À l’inverse, une répartition sur la base d’une valorisation économique est généralement plus adaptée lorsque les vendeurs s’accordent pour que l’usufruitier recueille la plus forte somme possible.
Il convient toutefois de tenir compte, au moment de choisir entre ces deux méthodes, des conséquences que ce choix peut avoir en matière d’imposition sur la plus-value immobilière. Bien souvent, l’usufruitier n’est pas imposable, car il peut se prévaloir d’une durée de détention importante du bien vendu, voire de l’exonération pour cession de la résidence principale. Seul le nu-propriétaire étant taxé, il peut alors être pertinent de recourir à une évaluation économique afin de minorer la fraction de prix touchée par ce dernier et, par voie de conséquence, le montant de son imposition.
Avant d’envisager les alternatives à la répartition du prix, soulignons l’inconvénient majeur de celle-ci, qui est de faire disparaître le démembrement de propriété et avec lui l’avantage fiscal qui en découle.
L’attribution du prix à l’usufruitier sous forme de quasi-usufruit
Usufruitier et nu-propriétaire peuvent ensuite convenir de constituer un quasi-usufruit sur le prix de vente, ce qui permet à l’usufruitier d’appréhender la totalité de ce prix et d’en disposer comme il l’entend. En contrepartie, l’usufruitier ou sa succession sera redevable, à l’extinction de l’usufruit, d’une dette de restitution envers le nu-propriétaire, en principe égale au montant nominal du prix de vente appréhendé par l’usufruitier.
Le quasi-usufruit s’avère être une solution opportune lorsque l’usufruitier est en quête de liquidités. Il présente en outre l’intérêt, par rapport à la répartition du prix, de pérenniser, grâce à la déductibilité fiscale de la dette de restitution, l’avantage fiscal attaché au démembrement de propriété.
Cette déductibilité fiscale suppose toutefois que le quasi-usufruit fasse l’objet d’une convention soit par acte authentique, soit par acte sous seing privé enregistré au service de la publicité foncière et de l’enregistrement si, comme bien souvent, le nu-propriétaire est également héritier de l’usufruitier (CGI, art. 773, 2°). Elle suppose en outre, lorsque le démembrement existant sur le bien vendu ne résultait pas d’une succession, qu’il soit justifié que la constitution du quasi-usufruit ne poursuit pas un but principalement fiscal (CGI, art. 774 bis), justification que la convention susvisée pourra opportunément consigner.
Cette convention peut également prévoir une indexation de la créance de restitution afin d’atténuer les effets de l’érosion monétaire ou encore formaliser une caution ou une hypothèque afin de garantir le paiement de sa créance de restitution au nu-propriétaire.
Enfin, il est conseillé de déposer cette convention au fichier central des dispositions de dernières volontés dans le but de supprimer tout risque d’oubli de la dette de restitution au décès de l’usufruitier.
Le réemploi du prix dans l’acquisition d’un nouveau bien en démembrement
Usufruitier et nu-propriétaire peuvent enfin convenir de remployer le prix de vente dans l’acquisition d’un nouveau bien en démembrement, reportant ainsi sur ce nouveau bien la situation juridique qui existait sur le bien vendu.
Là encore, cette solution présente l’intérêt de pérenniser l’avantage fiscal attaché au démembrement de propriété, avec toutefois davantage de force que le quasi-usufruit, puisqu’ici, le nu-propriétaire profitera à terme, en franchise d’impôt, de l’augmentation de valeur éventuelle du bien acquis.
Pour que l’opération ne puisse pas être remise en cause par l’administration fiscale au décès de l’usufruitier, il est nécessaire de prendre certaines précautions, que ce soit lors de la vente du bien détenu en démembrement ou lors de l’acquisition du nouveau bien. À défaut, l’administration pourrait réintégrer fiscalement ce dernier dans la succession de l’usufruitier sur le fondement de l’article 751 du Code général des impôts.
En conclusion, nous préciserons que les trois solutions offertes aux vendeurs ne sont pas exclusives les unes des autres. Les vendeurs peuvent par exemple convenir de procéder à une répartition du prix de vente sur une partie de celui-ci et réinvestir l’autre partie dans l’acquisition d’un nouveau bien en démembrement. Quoi qu’il en soit, le maître-mot en la matière est l’anticipation, le sort du prix de vente devant être arrêté en amont de la vente et au plus tard au jour de celle-ci.
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