TTC, trio de rappeurs qui a réveillé le hip-hop français avec Bâtards sensibles, inépuisable réservoir à bombes musicales chargées de mauvais penchants.
Propos recueillis par Christophe Chabert
Y avait-il une idée directrice particulière derrière ce disque ? Par exemple, outrer les clichés du rap et les plonger dans une forme musicale hybride entre hip-hop et électro...Teki Latex : Je ne sais pas ce que c'est qu'un cliché et je n'aime pas ce mot. Ça ne sert à rien d'essayer d'échapper aux clichés du rap si c'est pour s'enfermer dans d'autres formes de clichés. Ça ne sert à rien de dire "J'vais pas parler des grosses voitures et des putes" et te retrouver à faire un album sur les vaisseaux spatiaux dont personne n'a rien à foutre. Je préfère les grosses voitures et les putes aux vaisseaux spatiaux parce que les vaisseaux spatiaux n'existent pas. La direction, c'était plutôt arriver à faire de la musique de club avec un savoir-faire technologiquement imparable, faire entrer les outils de la musique la plus expérimentale dans un format pop ou club.J'ai l'impression que vous vous moquez de l'aspect machiste, egotrip, frime, mais sans le parodier, sans le pasticher...Teki Latex : Ça n'est pas du tout une parodie.Kuizinier : Il faut qu'il y ait ce doute permanent : est-ce qu'ils sont sérieux ou est-ce qu'ils ne sont pas sérieux ?Teki Latex : Ça fait partie du show et de l'entertainment. Tant que c'est cool et excitant, on s'en fout...Tido Berman : On veut juste faire une musique sincère, cohérente avec ce que l'on est...Kuizinier : ...et avec la musique que l'on écoute.Teki Latex : Chacun son interpréation...Kuizinier : Nous ça nous plait les belles sapes, les belles meufs, les belles bagnoles, donc on en parle.Teki Latex : Peu importe si on est sérieux ou pas, si on fait autant de trucs sales aux filles qu'on le dit dans nos paroles... L'important, c'est que ce soit bien dit, et il ne faut pas que ce soit fait avec de la retenue, sinon c'est nul, c'est pas marrant. Il faut être extrême dans sa musique...Kuizinier : On aurait pu faire la même chose avec un morceau d'amour...Mais vous l'avez fait !Kuizinier : Ouais, y a un peu d'ça.Teki Latex : Bâtards sensibles ne parle pas exactement de ça, c'est plus un morceau sur les rapports d'attirance et de répulsion, ce n'est pas vraiment un morceau d'amour.Un morceau d'amoureux déçu, alors ?Teki Latex : Ou de playboy qui assume pas.Tido Berman : Le Chant des hommes est plus une chanson d'amour déçu.C'est ce qui fait qu'on peut prendre tout cela au sérieux : vous faites un portrait paradoxal mais assez vrai de ce que vous êtes...Teki Latex : Merci. C'est vrai. On est content que tu le dises.Au fond, vous êtes de grands romantiques ?Kuizinier : On peut voir ça comme ça...Tido Berman : Ça dépend des jours, mais dans le fond, oui...Teki Latex : Qu'est-ce que c'est le romantisme, dans son sens littéral ? Il y a une notion d'aventure. Un grand romantique, c'est aussi quelqu'un qui exagère tout. Il faut toujours qu'il y ait quelque chose qui se passe dans notre vie sexuelle ou amoureuse...On pourrait aller plus loin en disant que l'album est divisé en deux : le côté public, club, extrême, bigger than life, et un autre plus privé, plus intime, plus pudique...Teki Latex : Ces morceaux-là sont au contraire très impudiques, puisqu'on y parle de nos émotions. Ceux qui sont pudiques, ce sont ceux où l'on parle d'aller boire dans les soirées... Dans J'ai pas sommeil, on s'est livré pas mal, peut-être de manière cachée, en utilisant l'insomnie. Mais cela revient à parler de ce qui se passe quand on est seul avec soi-même...C'est la part sombre de TTC, déjà présente sur le premier album...Kuizinier : C'est moins présent ici parce qu'on sort plus, on essaye de moins se faire chier...Teki Latex : On n'est plus des ados torturés comme au temps du premier album. On est plus sûrs de nous. Ça se remarque parce qu'en France, c'est pas normal d'être sûr de soi, c'est pas bien. On préfère les gens humbles et tristounets. Nous, on sait qu'on arrive et qu'on va tout déchirer.Il y a trois ans, vous disiez que la frontière était fine entre l'underground et le mainstream... Dans le club, un tube complètement expérimental, le prouve formidablement.Teki Latex : C'était l'envie sur tout l'album. La musique excitante est comme ça aujourd'hui. Quand j'écoute le groupe Clips, les protégés des Neptunes, c'est vraiment dur, ça rigole pas, il n'y a pas d'arrangements R'n'B mais des beats très minimalistes... Il y a 6 ans, un disque pareil serait sorti sur un petit label new-yorkais ; aujourd'hui, ça sort sur les majors et je trouve ça vraiment cool. Le challenge du moment tient dans le fait que la pop et la musique underground se mélangent.Comment expliquez-vous l'impact si rapide de cet album ?Teki Latex : Je trouve que ça n'est pas parti assez vite...Tido Berman : Le premier album avait beaucoup travaillé...Teki Latex : C'est juste le minimum, on veut vraiment arriver plus haut que ça. On est très satisfait de l'accueil réservé à cet album, mais notre ambition ne s'arrête pas du tout là. On veut vraiment bouffer le cul du monde.
