Melancholia

Versant apaisé du diptyque qu’il forme avec le torturé "Antichrist", "Melancholia" poursuit le travail psychanalytique mené par Lars Von Trier sur la dépression et le chaos, et prouve que ses concepts ne tiennent plus vraiment leurs promesses. Christophe Chabert

Il est risqué de débuter un film par sa bande-annonce, l’exposé visuel d’un programme que les 120 minutes suivantes développeront à l’écran. D’autant plus risqué si ce film dans le film est d’une splendeur époustouflante, si chaque image y imprime durablement la rétine. Lars Von Trier avait déjà ouvert son précédent Antichrist, jumeau noir de ce Melancholia apaisé, par une séquence du même ordre, mais elle n’était qu’un prologue, lançant plus qu’elle ne l’anticipait le récit à venir. Dans Melancholia, tout est dit avec ces dix minutes sublimes : l’imminence de la fin du monde, qui se matérialise aussi bien par des visions cosmiques que par des focus sur une mariée flottant au-dessus d’un marais de nénuphars, connectée par des éclairs à d’autres planètes, s’arrachant à des racines qui la retiennent au sol… Après un si beau morceau de bravoure, l’excitation est de mise, mais Von Trier va vite doucher le spectateur : de tous ces tableaux fulgurants, il faut trier ce qui relève de la métaphore et ce que le cinéaste traitera dans sa littéralité.

La mariée était en flammes

Justine (Kirsten Dunst, pas mal) vient de se marier avec Michael. Sa sœur Justine (Charlotte Gainsbourg, formidable) organise dans sa grande demeure une réception où famille, amis et patron sont réunis. Assez vite, Justine adopte un comportement fuyant, désaxée par la décision qu’elle vient de prendre. Une heure durant, Von Trier s’adonne selon son style habituel et éculé (caméra vidéo portée, scope et jump cuts) à un jeu de massacre où tout le monde marine dans son stéréotype. On patiente encore, et on ferme les yeux sur les facilités du scénario (un stagiaire dont la seule fonction est de provoquer un adultère précoce). Arrivé au bout de sa comédie de mœurs, Von Trier entame le deuxième chapitre du film en resserrant le script autour des deux sœurs, alors qu’une planète nommée Melancholia s’apprête à entrer en collision avec la terre. Même s’il réserve quelques très beaux moments de mise en scène, même si la tension monte et que les caractères s’affirment (Justine trouve dans le désastre une forme de délivrance, Claire sombre dans l’angoisse), le film paraît toujours loin de ses promesses de départ. En fin de compte, le discours est aussi maigre et adolescent que dans Antichrist : là où, hier, le chaos régnait, il fait maintenant surgir le calme éternel, réunissant les corps et les âmes. La montagne accouche donc d’une souris, dans un geste aussi fort que frustrant, entre vacuité totale et renversement malin.

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