C'est parce qu'elle ne connaissait rien de son pays natal que Brigitte Giraud, née à Sidi-Bel-Abbès, a choisi de s'intéresser à la guerre d'Algérie. Parce que c'est dans ce contexte qu'elle est venue au monde et que de ce contexte longtemps elle n'a rien su tout en le portant en elle, comme un héritage familial, un secret qu'elle aura mis du temps à débusquer : l'histoire des vingt ans de ses parents.
Quand son père est appelé à rejoindre l'Algérie en 1960, sa femme est enceinte. Dans le roman, ils sont Antoine et Lila. Ne sachant rien de cette guerre dont personne ne lui a dit qu'elle en est une, il refuse néanmoins de porter les armes et officie comme infirmier à Sidi-Bel-Abbès. Elle refuse de vivre sa grossesse loin de son homme et le rejoint pour mettre au monde leur fille auprès de lui. Antoine se trouve alors coincé « entre les blessés et sa femme, entre la mort qui rôde et la vie à venir (...) dans un grand vide qu'il ne sait habiter. »
Car au contact des appelés qu'il soigne chaque jour, quand il n'en ramasse pas les morceaux ou consigne les dépouilles, Antoine comprend l'horreur et « la guerre invisible » dont ils sont « l'unique preuve ». Et il y a Oscar, amputé d'une jambe, qu'Antoine se sent le devoir de « sauver » de son mystérieux mutisme, symbole de ce grand silence qui entoure les « événements ».
Comme souvent chez Brigitte Giraud, ce sont avant tout les corps qui parlent et font de ce roman écrit pour la première fois à la troisième personne – parce qu'utiliser le "je" c'eut été confisquer l'histoire de ses parents – une puissante expérience sensorielle. Car l'on sent bien que si la vérité est partout enfouie, et que les appelés d'Algérie resteront le plus souvent muets, les corps eux ne mentent pas : ils portent les cicatrices de l'Histoire.
Un Loup pour l'homme (Flammarion)