Sylvain Prudhomme : secrets de famille

Sylvain Prudhomme

Librairie Passages

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Littérature / Avec "L'Enfant dans le taxi", Sylvain Prudhomme narre la quête de son double, Simon, cherchant à résoudre, alors qu'il traverse une séparation, l'énigme d'un secret familial : l'existence de l'enfant caché de son grand-père, venue redoubler sa propre solitude.

En une poignée de romans, Sylvain Prudhomme s'est affirmé comme un des écrivains qui comptent dans le paysage littéraire français (il a ainsi obtenu le Prix Femina en 2019 pour Par les routes), ceci avec un genre de force tranquille alliée à une grande et presque implacable douceur. Jusqu'ici tête de gondole de la collection L'Arbalète chez Gallimard, Prudhomme a suivi son éditeur historique, Thomas Simmonnet, chez Minuit quelques temps après que celui-ci a été nommé à la tête de la mythique maison en remplacement d'Irène Lindon. Etant donné l'identité forte des textes de Minuit, on eut pu penser à un tournant dans l'œuvre de Sylvain Prudhomme. À vrai dire, l'écrivain a peu de raison de se réinventer stylistiquement et  précisément le premier roman "Minuit" de l'auteur - l'un de ses tout meilleurs - répond, car il en reprend des éléments, à son premier tout court, surprenant ouvrage composé d'une seule phrase. On retrouve en effet dans L'Enfant dans le taxi des protagonistes de Là, avait dit Bahi, notamment ce Malusci (on ne l'appelle jamais autrement), grand-père du narrateur et patriarche de son clan, « statue du commandeur fissurée de toute part ». Dans Là, avait dit Bahi, le narrateur partait sur ses traces ; dans L'Enfant dans le taxi, il vient de mourir. À l'exclusion d'un prologue fantasmé, le livre débute au moment de son enterrement. Une phrase y est lâchée qui, comme parfois dans ces moments-là, quand plus rien n'a d'enjeu face au grand vide, contient un secret de famille – c'est à croire que les gens meurent pour qu'on rende publics leurs secrets : « Si je ne t'ai rien dit, c'était pour ton bien. Puisque depuis toujours dans l'ordre des familles, le crime c'est de parler, jamais de se taire » écrit Prudhomme.

Blow Up

Secret, secret, il se trouve que, comme souvent là encore, il y a peut-être un peu trop de monde au courant du secret, pour que ça en reste tout à fait un – mais là encore c'est le propre des secrets de famille : tout le monde les connaît. Mais c'en est un pour Simon, le petit-fils. C'est un oncle, gendre de Malusci, qui le lui susurre, lui glissant par là entre les doigts « l'extrémité d'une pelote » sur laquelle tirer, peut-être même « la mèche d'une bombe » d'autant plus dans les mains de l'écrivain qu'est Simon (en réalité Prudhomme lui-même). Il est question d'un enfant, M., caché, bien caché et que Malusci aurait eu avec une Allemande à la sortie de la guerre. Il se trouve que M. « entre » dans la vie de Simon a peu près au moment où A. en sort. A. était sa compagne et mère de ses deux enfants, la séparation n'est ni violente ni chaotique mais elle a ce défaut de séparer, ce qui est déjà bien assez. Et Simon de voir ses deux absences bien différentes se télescoper, celle de M. et celle de A.. Le récit de L'Enfant dans le taxi devient pour Simon une sorte de quête. Comme s'il lui fallait recomposer un tableau désormais incomplet, et parce que la solitude de cet homme, M., se plaque sur la sienne désormais, qui confine au vertige. Etrangement, Simon avait déjà entendu parler de cette Allemande du Lac de Constance dont son grand-père avait été amoureux. L'ouvrier de son père en Algérie, Bahi, lui en avait parlé, lui-même l'avait même évoqué dans un livre (Là, avait dit Bahi, donc) et c'est pourtant comme si il l'avait effacé à la fois de ce livre et de sa mémoire. N'ayant jamais soupçonné non plus, devant le récit de Bahi parlant de « L'Allemande » comme s'il l'avait connue, qu'il avait pu naître un enfant de cette brève union transfrontalière, ce qui donne lieu à une sublime épiphanie en référence à la scène clé du Blow Up d'Antonioni, quand le photographe joué par David Hemmings photographie un crime sans le savoir : « Je suis comme David Hemmings dans Blow up, j’ai songé exalté,  je croyais cadrer seulement l’amour de Malusci et de l’Allemande et sans le savoir je photographiais les prémices de la vie de M. Je suis comme David Hemmings dans Blow up, sauf que je n’ai pas surpris la fin d’une vie, j’ai surpris son début.» 

L'ordre des intranquilles

Mais ce n'est pas tant l'enquête à suivre sur cette vie inaperçue qui motive Simon, c'est sa proximité, à lui l'écrivain, avec le bâtard forcé de se composer une vie, de « composer dès les premiers pas avec le boitement inévitable de la vie » : « J'ai pensé que j'étais le frère de M. dans l'ordre des condamnés au remodelage, à la fiction. Son frère dans l'ordre des intranquilles, des insatiables, des boiteux. » De ceux aussi qui voudraient « vivre dans un monde où les choses puissent se dire en face, la vérité s'affronter. » Avec son écriture toujours aussi tourbillonnante, en dépit de la douceur de son écriture, avec ces longues phrases qui s'enroulent sur elle-même, au rythme de la pensée du narrateur, Sylvain Prudhomme compose ainsi un livre qui met en abîme la quête toujours un peu vaine de l'écrivain pourtant sans cesse remise à l'œuvre, celle de la recherche d'un ordre du monde plus satisfaisant, plus complexe, où il s'agirait de résoudre par le bon usage des mots, ce que les silences rendent insolubles.

Sylvain Prudhomme - L'Enfant dans le taxi (Minuit)

Rencontre à la Librairie Passages mercredi 27 septembre

 

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