Ciné-collection / Les salles du GRAC proposent jusqu'à fin décembre de redécouvrir deux films de Sacha Guitry, Le Roman d'un tricheur et La Poison, et avec eux l'œuvre d'un authentique cinéaste par-delà l'auteur brillant et le comédien génial.
Il est arrivé à Sacha Guitry ce qui tomba sur le nez de Michel Audiard quelques temps plus tard : de cet artiste complet ne restèrent que ses aphorismes, citations tronquées ou tordues par les pensionnaires des Grosses Têtes époque Philippe Bouvard. Même le comédien, authentique génie de la musicalité et de l'imaginaire, fut réduit à un phrasé qu'on dit inimitable alors qu'il est ce qu'il y a de plus facile à copier dans son jeu. Quant au cinéaste, Guitry fut le plus injuste critique de lui-même, affirmant jusque dans l'introduction de La Poison (1952) : « on ne me fera pas appeler ça [le cinéma] autrement que du théâtre ». Il en remontre pourtant à bien des réalisateurs imbus de leur métier : il pousse par exemple les murs des studios pour s'y permettre des mouvements d'appareil inédits et des angles de vues à faire pâlir Orson Welles.
L'art de la triche
Surtout, Guitry a développé dans son œuvre une passion immodérée pour l'immoralité. Qu'il ne regarde pas comme un dégoût envers la morale, mais bien comme une vertu sinon une inspiration esthétique. Ainsi de sa famille du Roman d'un tricheur (1938), intoxiquée par des champignons et qui disparaît d'un claquement de plans à l'image. Dans ce qui est sans doute avec Casino de Scorsese le plus grand film parlé de l'histoire du parlant, presque uniquement raconté en voix-off, la triche est un art et une éthique. Puni parce qu'il avait volé, le jeune Sacha a la vie sauve, alors que ses parents meurent d'avoir été « honnêtes ». Quant au mari martyrisé de La Poison, incarné par un Michel Simon exceptionnel, il veut supprimer sa harpie de femme mais en aura le courage seulement après qu'un avocat lui ait dicté la parfaite préméditation du crime : celle qui lui assure son acquittement. Dans ses meilleurs films, Guitry fait de l'immoralité un terrain de jeu à tous les sens du terme : au plaisir d'inventer des situations se joint le plaisir de laisser les acteurs s'en griser à l'écran, et nous avec, notre morale au placard.
Cycle Farces et attrapes
Dans les salles du GRAC (grac.asso.fr)
Jusqu'au 31 décembre