Transmissions de patrimoine : les vertus insoupçonnées du compte courant d'associé

Me Vincent Morati, notaire / Depuis les réformes fiscales de 2012, certains donateurs se sentent bloqués par le plafond d’exonération ramené à 100 000 euros, qui désormais ne se renouvelle qu’au terme de quinze ans. 

Trop souvent, dans les contextes où l’abattement n’est pas au rendez-vous, alors que la volonté ou le besoin de transmettre sont là, la réflexion s’arrête à ce constat, et de fait se limite à choisir entre deux maux :

- Soit abandonner le projet, ou le différer, avec toutes les inconnues qui peuvent survenir entretemps : décès prématuré des parents, évolution incontrôlée de la valeur du bien, nouveau bouleversement de la donne fiscale… et surtout, décalage par rapport au moment où le besoin de l’enfant se faisait sentir ;

- Soit le réaliser sans attendre, mais alors en acquittant l’impôt à pleins tarifs.

Pourtant, optimiser la situation est parfois tout à fait possible, même dans un environnement contraint.

Les mécanismes

La mise en œuvre d’un minimum d’ingénierie permettra en effet d’opérer ainsi :

Au préalable, les parents apportent des finances au capital d’une société civile patrimoniale ; imaginons-la dans un premier temps fiscalement translucide, c’est-à-dire sans option pour l’impôt sur les sociétés (IS) et donc sans fiscalité propre : ses revenus sont imposés comme s’ils étaient directement ceux des associés, distribués ou non. Une partie infime de l’apport constitue le capital social (aucun minimum légal), et l’essentiel de la valeur concernée sera mis à disposition de la structure sous forme d’apport en compte courant d’associé (CCA) : c’est-à-dire non pas transmise en propriété à la société, en l’intégrant définitivement à son patrimoine, mais seulement mise à sa disposition dans le cadre d’un prêt que lui consent son associé. Lesdites finances sont ensuite placées par la société civile.

Puis, une donation des parts sociales est consentie aux descendants : taxation nulle ou marginale, même en présence d’abattements déjà consommés. En effet, l’assiette de cette donation portera sur la valeur comptable nette de ces parts ; or celle-ci correspond à ce que détient la société (l’apport en capital) minoré de ce qu’elle doit rembourser (l’apport en compte courant). Les parents associés (restés usufruitiers des parts ainsi données) perçoivent les revenus distribués par la société. Après paiement de l’IR, ils se font rembourser progressivement le montant de leur CCA.

À moyen terme, le CCA aura été intégralement remboursé, et les enfants seront propriétaires de la société sans avoir acquitté de droits de mutation.

Les avantages

Ici, cette stratégie est donc applicable à des apports d’actifs financiers et elle présente d’ailleurs deux avantages.

D’abord, les frais d’apport seront marginaux. Ensuite, au sein de la société, il sera possible d’investir les disponibilités dans la souscription d’un contrat de capitalisation (lui-même investi, à travers ses divers compartiments, sur des sous-jacents diversifiés : SCPI, OPCVM, actions, titres non cotés, etc..) ; les ressources nécessaires au remboursement progressif du CCA seront fournies par des rachats partiels sur ce contrat, rachats beaucoup moins taxés que les revenus d’actifs détenus en direct.

Dans le cas d’une location meublée

Autre exemple d’alchimie gagnante entre le couple impôt sur le revenu / fiscalité-décès : celui de la location meublée, dont le régime fiscal des particuliers est (à ce jour) favorable, permettant de déduire des charges d’amortissement en cours d’exploitation, pourtant non repris dans le calcul des plus-values au moment d’une revente (= si l’on n’est pas considéré comme professionnel, ne dépassant pas les plafonds de volume d’activité).

Là encore, apporter à une société familiale le budget d’achat d’un ou plusieurs locaux voués à la location meublée permettra de combiner les avantages.

Ici point de société civile, mais une SARL, en raison du caractère fiscalement commercial de l’activité. Elle ne devra compter parmi ses membres que des associés unis par le mariage, le pacs, ou le lien de famille en ligne directe.

Les sommes étant apportées ultra majoritairement en CCA, et le capital social restant d’un montant modique, les vertus seront au nombre de deux :

- d’une part, comme dit plus haut, la donation des titres portera sur un montant symbolique, surtout s’il faut en déduire encore la valeur de l’usufruit des donateurs, d’autant plus s’ils sont jeunes,

- d’autre part, les fondateurs conservent grâce à leur important CCA, la possibilité de pratiquer régulièrement du cash out à hauteur de la trésorerie disponible dans la SARL (= à hauteur des loyers encaissés, moins les charges financières supportées). Ils ne seront pas piégés par l’inconvénient comptable du système, qui est d’aboutir, pendant tout le cycle d’amortissement, à un résultat net souvent nul ou faible, indépendamment des bons résultats locatifs que la SARL peut encaisser : tout simplement parce qu’aux charges réelles s’ajoute cette déduction que constitue l’amortissement, lequel vient donc effacer d’autant le chiffre d’affaires. Et en présence d’un résultat constaté comme nul, la SARL ne peut pas distribuer de dividendes, même si elle regorge d’argent. D’où l’intérêt de pouvoir le recueillir par une autre voie, c’est-à-dire non pas comme un associé qui perçoit un dividende, mais comme créancier qui récupère son dû.

Et si l’on préfère l’impôt sur les sociétés ?

Imaginons maintenant que ces flux, perçus par la société mais taxés chez les associés du fait de la translucidité, représentent pour eux une charge fiscale trop lourde (tranche d’imposition atteinte par leur foyer fiscal + prélèvements sociaux). Rien n’empêcherait d’imaginer le même schéma, mais en présence d’une structure volontairement soumise à l’IS.

Ainsi, les revenus, immobiliers ou financiers, seraient taxés directement au sein de la société, à des taux compétitifs (TMI à 25 %), sans prélèvements sociaux, et sur une assiette réduite par l’amortissement en présence d’immobilisations. Tant que les associés ne percevront aucun dividende, ils ne paieront aucun impôt personnel. Et si leur CCA est d’un fort montant, cela signifie que son remboursement, étalé dans le temps au gré des capacités financières de la structure, ne sera pas considéré comme un revenu, même s’il est régulier : on aura donc acquis un flux financier défiscalisé, tout en ayant transmis à moindre coût à ses enfants. Car dans tous les cas, l’accroissement naturel connu ensuite par la valeur de la société, ne serait-ce que par son désendettement progressif au rythme des remboursements partiels de CCA (sans parler de potentielles plus-values pour les sous-jacents), sera acquis aux enfants, donataires au meilleur moment.

Certes, on rétorquera à juste titre que la créance de CCA est bien un actif restant aux parents, donc taxable s’ils venaient à décéder avant remboursement intégral. Oui, mais : 1- Le montant de ce CCA, sauf convention contraire (qu’ici on se gardera bien de stipuler), restera figé à son montant historique : on aura donc anticipé le transfert d’actifs à valeur croissante (les titres), et conservé dans le patrimoine des actifs à valeur stagnante, au poids mécaniquement relativisé par l’inflation ; 2 - À l’appui de ce gain de temps, rien n’empêchera ensuite, une fois renouvelés les fameux abattements, de songer à la transmission anticipée de cette créance ; et ce, en démembrement, de manière là aussi à réduire l’assiette, mais surtout à conserver le droit de percevoir les sommes.

Et l’on prendra soin alors, au moyen de conventions ad hoc, de stipuler précisément le droit exclusif conservé aux usufruitiers de solliciter le remboursement du CCA, de percevoir les sommes, et de les consommer librement. Si l’on s’attache à bien constater et enregistrer leurs montants successifs auprès d’un notaire, les enfants pourront en plus déduire l’équivalence de ces sommes, dont ils étaient nus-propriétaires mais dont leurs parents devenaient quasi-usufruitiers, sur la succession résiduelle de ces derniers. Schéma qui ne tombera pas sous le coup de l’amendement introduit à la sauvette dans la loi de finances 2024, quant à la non-déductibilité de la dette de restitution née d’une donation démembrée de numéraires : puisque nous serons ici en présence d’une donation démembrée de créance.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Vendredi 26 avril 2024 L'un des meilleurs spectacles de stand-up du moment s'appelle "La Formidable ascension sociale temporaire de G. Verstraeten". Un titre à rallonge signé Guillermo Guiz, enfant d'un milieu populaire qui livre une réflexion acide sur sa condition...
Mardi 31 octobre 2023 Le festival Lumière vient de refermer ses lourds rideaux, les vacances de la Toussaint lui ont succédé… Mais ce n’est pas pour autant que les équipes de (...)
Mardi 31 octobre 2023 Si le tourisme en pays caladois tend à augmenter à l’approche du troisième jeudi de novembre, il ne faudrait pas réduire le secteur à sa culture du pampre : depuis bientôt trois décennies, Villefranche célèbre aussi en beauté le cinéma francophone....
Mardi 17 octobre 2023 Nicolas Piccato a quitté à la rentrée ses fonctions de directeur de Lyon BD, à sa demande. Arrivé en 2021 en remplacement du fondateur Mathieu Diez, parti au (...)
Mercredi 13 septembre 2023 Pour sa 5e édition, le festival de street-art Peinture fraîche quitte la halle Debourg pour investir sa voisine aux anciennes usines Fagor-Brandt. Du 11 octobre au 5 novembre, 75 artistes s'exposent sur 15 000m2.
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama. Suivez le guide !
Jeudi 17 août 2023 [mise à jour mercredi 23 août 2023] Déjà interdit à Paris, Montpellier et Toulouse ces derniers jours, le spectacle de Dieudonné a été interdit à Lyon, amis s'est tenu dans un champs privé à Décines, et est interdit à Grenoble une semaine plus tard....
Lundi 12 juin 2023 Le musée à l’architecture déconstructiviste accueille, jusqu’au 18 février, "Afrique, mille vies d’objets". Ces 230 objets africains, principalement datés du XXe siècle, collectés par le couple d’amateurs et marchands d’arts Ewa et Yves Develon,...
Mardi 28 mars 2023 Un nom douillet, une verve grivoise, crue, parfois joliment obscène : Doully — celle qui surnomme son public « ses p’tits culs » — passe deux fois en région ce mois-ci, nous voici ravis.

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X