Prophète en son pays

Cinéma / Pour la première année depuis l’existence de ce classement annuel, un film fait l’unanimité entre la rédaction et les lecteurs du Petit Bulletin, et il est français : "Un prophète" de Jacques Audiard. Bilan surprenant d’une année passionnante. Christophe Chabert

On l’a pris une première fois en pleine tronche à Cannes ; une deuxième lors de la venue de son réalisateur Jacques Audiard à Lyon ; et encore une troisième lors de sa sortie en salles. Pas de doute possible : "Un prophète" aura été l’événement cinématographique de l’année, et le retrouver au sommet de notre classement, mais aussi du vôtre, est à peine surprenant. Et pourtant… Qui aurait dit qu’un jour, ce serait un film français qui, pour la première fois depuis l’existence de ce classement, nous mettrait tous d’accord ? Car on en a passé des années à se morfondre sur la production hexagonale, ses comédies merdiques, ses films de genre piteux, son cinéma d’auteur sclérosé, son opportunisme lamentable (c’est la mode du biopic ? En voilà, du biopic… Y a un polar qui a marché ? Allez, tout le monde va faire des polars…) et sa détestable manière de courir après le lièvre américain à coups d’imitations serviles. Mais voilà : 2009 restera comme un cru exceptionnel pour le cinéma français. Les bonnes nouvelles sont arrivées sur tous les fronts : de la comédie, avec l’incroyable suite d’"OSS 117", une série qui vient faire de la résistance dans un cinéma populaire étouffé par les desiderata des costards-cravates et des chaînes de télé, mais aussi avec le premier film de Riad Sattouf, "Les Beaux Gosses", un teen movie qui a la french touch et l’esprit tordu ; du film noir, avec le très fort "Rapt" de Lucas Belvaux ou l’efficace "Une affaire d’état" d’Eric Valette ; des auteurs «d’hier», grâce au retour spectaculaire de Claude Miller avec "Je suis heureux que ma mère soit vivante", ou à travers l’aventure en solitaire que mène Alain Cavalier ; des auteurs d’aujourd’hui, notamment grâce au spectaculaire et passionnant "À l’origine" de Xavier Gianolli… Bien sûr, il faut aussi regarder le côté obscur de cette force française : des nanars à la pelle, produits, écrits et réalisés n’importe comment, jetant des millions d’euros par les fenêtres avant de se crasher lamentablement en salles sous les huées conjointes de la critique et des spectateurs, volés et humiliés. Doit-on se réjouir ou s’inquiéter ? L’écart n’a jamais été aussi grand entre les bons et les mauvais films français…

De tous âges, de tous les continents…

Le grand écart, c’est aussi celui qui sépare les générations de cinéastes : le patriarche Eastwood s’est imposé façon force tranquille avec un mélodrame faussement mineur et vraiment sublime, "Gran Torino", tandis que Quentin Tarantino allait définitivement s’installer au panthéon des metteurs en scène majeurs avec son coup de force, "Inglourious Basterds". Danny Boyle, cinéaste important, a gagné le gros lot avec "Slumdog millionaire", tandis qu’un autre Anglais, Richard Curtis, remportait le titre de réalisateur culte auprès du public français : il est le seul au monde à avoir réservé un triomphe à "Good morning England"… Une génération en dessous, beaucoup de jeunes auteurs ont frappé fort cette année, et ils viennent du monde entier : de Corée du Sud (Na Hong-jin avec l’exemplaire "The Chaser"), de Belgique (Joachim Lafosse pour son dérangeant "Élève libre"), du Danemark (Nicolas Winding Refn grâce à l’uppercut "Bronson"), de Grèce ("Canine", film furieusement drôle de Yorgos Lanthimos), d’Australie (Adam Elliot et son très beau film d’animation "Mary et Max"), d’Angleterre (le magnifique "Fish Tank" d’Andrea Arnold, qui a échoué conjointement aux portes du top de la rédaction et de celui des lecteurs…). Sans oublier l’Iran avec deux films surprenants : "À propos d’Elly" et "Les Chats persans"… Cette carte de l’émergence cinématographique mondiale est rassurante, car non seulement cette dynamique arrive jusqu’aux écrans français, mais elle trouve son public et ses défenseurs.

Déjà 2010…

Dernier point : d’ordinaire, on commence nos bilans début décembre et ensuite, on discute, on se refait le film de l’année, et on tire pépère nos petites conclusions. Mais cette année, deux films sont venus au finish tout bouleverser. Deux films exceptionnels dont l’impact nous a poussé à les intégrer d’office dans notre classement : "Avatar", l’immense fresque populaire de Cameron, sorte de divertissement absolu, idéal et parfait ; et la surprise "Max et les maximonstres" de Spike Jonze. C’est comme ça : tous les dix ans, un grand film pour enfants débarque sur les écrans, et s’établit comme une référence immédiate en la matière. "Dark Crystal" dans les années 80, "Edward aux mains d’argent" dans les années 90 et aujourd’hui, ce splendide conte de l’enfance en colère contre le monde. Qu’on profite donc de cette dernière chronique de 2009 pour dire qu’en 2010, les retardataires auront deux œuvres géniales à se mettre sous les yeux. Ça s’appelle une transition, et on ne pouvait la rêver plus magique…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 3 septembre 2018 Avant d’enflammer le dancefloor du réveillon en éclusant (avec modération) la sangria cuvée Gaspar Noé, il vous reste quelques films à siroter. Auxquels vous pouvez ajouter des Animaux fantastiques, des Portraits XL d’Alain Cavalier, ou une visite...
Samedi 18 juillet 2015 Jacques Audiard a décroché une Palme d’or avec un très bon film qui n’en avait pourtant pas le profil, même si cette histoire de guerrier tamoul cherchant à construire une famille en France et se retrouvant face à ses vieux démons est plus complexe...
Dimanche 24 mai 2015 "Youth" de Paolo Sorrentino. "The Assassin" de Hou Hsiao-Hsien. "Mountains May Depart" de Jia Zhang-ke. "Dheepan" de Jacques Audiard. "Love" de Gaspar Noé.
Mardi 2 septembre 2014 Moins flamboyante que l’an dernier, la rentrée cinéma 2014 demandera aux spectateurs de sortir des sentiers battus pour aller découvrir des films audacieux et une nouvelle génération de cinéastes prometteurs. Christophe Chabert
Mardi 20 mai 2014 Premier bilan d’un festival de Cannes pour le moins insaisissable : les filles y ont pris le pouvoir, à commencer par celles de Céline Sciamma, événement de la Quinzaine des réalisateurs, qui pour l’instant éclipse la sélection...
Mardi 15 avril 2014 Lieu de choix pour les concerts au plus près de l'âme – se souvenir de Peter Von Poehl – Le Temple Lanterne accueille sous le bon patronage du label Echo Orange une réjouissante soirée antifolk où officieront deux de ses figures trop méconnues : Ish...
Mardi 11 mars 2014 Talent brut et incandescent, parti à la conquête du monde avec seulement un EP trois titres et quelques concerts inoubliables, Benjamin Clementine donne le tournis au paysage musical. Loin d'en avoir fini avec son ascension fulgurante, la révélation...
Mercredi 10 juillet 2013 Après "Belle épine", Rebecca Zlotowski affirme son désir de greffer le romanesque à la française sur des territoires encore inexplorés, comme ici un triangle amoureux dans le milieu des travailleurs du nucléaire. Encore imparfait, mais souvent...
Vendredi 7 juin 2013 Premier long-métrage d’Antonin Peretjatko, cette comédie qui tente de réunir l’esthétique des nanars et le souvenir nostalgique de la Nouvelle Vague sonne comme une impasse pour un cinéma d’auteur français gangrené par l’entre soi. Qui mérite, du...
Mercredi 26 décembre 2012 Le Top 2012 de la rédaction et de nos lecteurs consacre deux films français, ce qui n’est pas forcément à l’image d’une année cinéma où le bon cinéma est venu de partout : des indépendants américains, du cinéma d’animation ou des cinéastes hors la...
Mercredi 7 novembre 2012 De Rachid Djaïdani (Fr, 1h15) avec Slimane Dazi, Stéphane Soo-Mongo…
Vendredi 13 juillet 2012 Avec "À perdre la raison", Joachim Lafosse risque de trouver une reconnaissance publique que son film précédent, le pourtant excellent "Élève libre", ne laissait pas deviner. Il s’explique ici sur ce désir de devenir un cinéaste populaire sans pour...
Vendredi 13 juillet 2012 Pour ce film plus ouvert mais tout aussi dérangeant que ses précédents, Joachim Lafosse s’empare d’un fait-divers et le transforme en tragédie contemporaine interrogeant les relents de patriarcat et de colonialisme de nos sociétés. Fort et...
Vendredi 18 mai 2012 Définitivement dans le cercle des meilleurs cinéastes français en activité, Jacques Audiard arrive à ne presque pas décevoir après Un prophète tout en abordant, avec une intelligence constante de la mise en scène, les rivages du mélodrame. Un grand...
Vendredi 4 novembre 2011 Festival / Pour leur seizième édition, les Rencontre du cinéma francophone en Beaujolais (organisées par Les 400 coups de Villefranche-sur-Saône jusqu’au 13 (...)
Mercredi 31 août 2011 De Vincent Garenq (Fr, 1h45) avec Philippe Torreton, Noémie Lvovsky…
Vendredi 15 avril 2011 Tantôt qualifié de sauveur de l’électro, tantôt de messie grâce à qui l’Apocalypse aurait trouvé sa BO, Koudlam, plus modestement, n’en est pas moins l’auteur de coups de maîtres qu’on a hâte de danser… Les bras en l’air et l’oreille...
Lundi 14 février 2011 N’en déplaise à la diplomatie hexagonale, les institutions culturelles fêtent goulûment l’année du Mexique en France. Dans le Nouveau théâtre du 8e qu’elle (...)
Samedi 22 mai 2010 Festival de Cannes / La deuxième partie du festival de Cannes n'a pas plus convaincu que la première avec une compétition faiblarde et des sections parallèles pauvres en découvertes. Du coup, deux cinéastes ont emporté l'adhésion : Lee Chang-dong et...
Mercredi 26 août 2009 Cinéma / Une rentrée cinématographique riche en auteurs : consacrés, en voie de le devenir, de retour au premier plan ou depuis longtemps au sommet. Christophe Chabert
Lundi 24 août 2009 Jacques Audiard, réalisateur d’Un prophète, remet les pendules à l’heure du cinéma français en assumant une démarche libre, intègre et «politique». Christophe Chabert
Lundi 24 août 2009 Cinéma français / On n’avait pas vu ça depuis un bail : le cinéma français propose un programme exceptionnel pour cette rentrée 2009. Un prophète domine les débats — (...)
Jeudi 9 juillet 2009 Choc (et Grand Prix) du dernier festival de Cannes, le cinquième film de Jacques Audiard ose une fresque somptueuse et allégorique où un petit voyou analphabète se transforme en parrain du crime. Après ce Prophète, le cinéma français ne sera plus...
Lundi 25 mai 2009 Le jury du festival 2009 a décerné sa Palme d’or au Ruban blanc de Michael Haneke, un des films les plus forts d’une sélection de très haut niveau. Le reste du palmarès, à quelques bizarreries et absents près, est du même tonneau. Christophe Chabert
Lundi 18 mai 2009 Festival / Après cinq jours de compétition de fort bonne facture, une tendance se dégage : le festival de Cannes a laissé de côté les films pour festivals et a fait une place de choix au cinéma du plaisir intelligent. Avec Un prophète de Jacques...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X