Les États du roman

ENTRETIEN / GUY WALTER, DIRECTEUR DE LA VILLA GILLET, REVIENT SUR LES ENJEUX DE CES PREMIÈRES ASSISES INTERNATIONALES DU ROMAN EN INSISTANT SUR LA SINGULARITÉ DE L’ÉCRITURE, LA NÉCESSITÉ D’UNE DIMENSION UNIVERSELLE ET L’IMPORTANCE D’UN PARTAGE DES CULTURES FONDÉ SUR LA PAROLE. RENCONTRE.

En quoi les rencontres avec des écrivains apportent-elles quelque chose par rapport à la lecture d'une œuvre ?Guy Walter : On peut se poser la question de savoir s'il est intéressant d'entendre un romancier. On pourrait se dire que tout est dans les livres, que finalement le rapport le plus profond se situe dans l'intimité de la lecture. Je pense que l'oralité convoque une autre réflexion sur la littérature, qu'un romancier qui parle de sa pratique d'écriture réinvente son travail et que ces rencontres sont des lieux de révélation au sens photographique du terme. Cela ouvre des espaces de réflexion qui ne sont pas nécessairement posés dans les livres et qui apparaissent à l'occasion de ces échanges. Le but de ces Assises n'est pas de célébrer le livre comme un objet fétiche ou menacé, mais de créer des zones d'échange entre l'énergie de l'écriture et l'énergie de la lecture. Le roman est un genre extrêmement vaste et varié. Comment le définir ?Le roman est un genre qui rassemble beaucoup de livres différents dont le seul point commun est la singularité. Chaque roman est un acte singulier d'écriture et d'interprétation de la vie et des hommes. Un écrivain est fort quand son point de vue se transforme, par une alchimie mystérieuse et belle, en un univers partageable. Le roman est un point de croisement entre la singularité et l'universel et c'est pourquoi il reste un territoire de partage exceptionnel. C'est aussi pour cela que vous avez choisi le thème «roman et réalité»...L'idée est de s'interroger sur la manière dont la littérature regarde, écoute et transforme le réel mais également de dire que cette transformation n'est pas seulement une interprétation mais une création de la réalité. Les Assises commencent d'ailleurs par une interrogation sur «le roman et l'engagement», c'est-à-dire comment un auteur prend acte, adopte un point de vue lucide et courageux sur le monde alors qu'elles se terminent avec une table ronde sur l' «invention du réel» pour se demander comment cet acte va enrichir le monde, l'élargir et le rendre ce qu'il est. La littérature, lorsqu'elle est exceptionnellement puissante, peut parfois désigner la réalité que nous vivons : la preuve quand on parle de situation kafkaïenne ou de moment proustien.Est-il possible, malgré la singularité de chaque romancier, de dégager une géographie internationale du roman ?Nous allons certainement découvrir des lignes de force ou des divergences. On peut tenter de définir une géographie du roman à la condition d'avoir une cartographie extrêmement nuancée avec des reliefs, des failles, des plaques tectoniques, car il est très difficile de tracer des frontières. J'aime bien l'idée, pour reprendre le titre d'un livre de Pascale Casanova, d'une République internationale des lettres. Il y a interpénétration des cultures et des langages et les Assises vont justement permettre de capter ces passages de frontière, notamment au niveau des genres. Il y a un débat qui s'appelle «Limites du roman» et qui m'intéresse beaucoup : Quel est cet objet si mystérieux au point qu'on ne sache pas exactement comment tracer ses frontières ? Le fait de ne pas pouvoir les tracer prouve que le roman reste un lieu constamment métamorphique. C'est cette puissance qui est intéressante parce qu'elle reflète la diversité du réel et parce qu'elle dit une chose qui est très politique, à savoir qu'une identité ne se laisse pas cerner. Faire état du roman, c'est un peu faire état du monde, c'est réaffirmer la puissance du singulier, convoquer la nécessité de l'universel, poser l'importance du partage des cultures et savoir que ce partage n'existe que lorsqu'on se parle. Je crois aux vertus d'une parole partagée, donc d'un espace qui est consacré au langage. C'est la raison d'être de la Villa Gillet en tant qu'institution et c'est la raison d'être des Assises. Pourquoi avoir choisi de convoquer des critiques littéraires internationaux ?Je parlais tout à l'heure de l'énergie de la lecture, il y a bien sûr aussi l'énergie de la critique. Il était très important que les regards portés sur la littérature soient culturellement différenciés. Les traditions de lecture ne sont pas les mêmes en Égypte, aux États-Unis, en Espagne... C'est très intéressant de savoir comment un Égyptien lit un roman américain, comment un Suédois lit un roman italien. En France, on est souvent tenté par une forme d' «hexagonalisme» puisque le pays a une longue histoire littéraire et une grande tradition critique et je pense que c'est bien de se laisser troubler par d'autres manières de parler, de voir, d'entendre. Quels seraient, en tant que spectateur, les débats qui vous attireraient le plus ?Je pense que les deux grands débats sur «Littérature et trauma» seraient ceux qui m'appelleraient tout de suite, sans doute à cause de mon âge, car je suis né dix ans après la guerre et que mon histoire est marquée par cela. Je pense que le roman est réparateur en ce sens qu'il laisse ouvertes les questions qui ont été posées. On est contraints d'y réfléchir encore plus. En allant à ces débats, on ne va pas trouver de réponses, mais on sait qu'on va nous porter dans l'acuité des questions et qu'on va repartir avec des énigmes qui vont faire avancer notre pensée. Certains écrivains présents proposeront des lectures pour entamer le festival des Intranquilles. Pourquoi cette imbrication ?Cela nous a permis de réaliser l'arc «penser, éprouver, créer». L'idée, c'est que la pensée agit autant quand on voit un spectacle que quand on lit un livre. Pendant les Intranquilles, on va voir de la danse, du théâtre ou entendre des romanciers et cela participe d'un même geste qui s'appelle le geste de pensée.

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