Noces barbares

Si l'enthousiasme à son endroit faiblit quelque peu, le vivier cinématographique sud-coréen nous réaffirme régulièrement son potentiel. Le dernier opus de Kim Jee-won, enfin visible sur nos écrans, en est une superbe preuve. Et l'électrochoc du printemps. François Cau

Sur le seul plan esthétique, A Bittersweet Life vous réconcilie avec plusieurs mois de purges cinématographiques innommables. La première scène vous accroche illico : une respiration bucolique (gimmick récurrent du métrage), suivie d'un enchaînement de plans baignant dans une douce perfection. Les cadres, enveloppés d'une lumière somptueuse, enrobent les mouvements graciles de la caméra et des personnages, procurent un sentiment d'apaisement où la furie sous-jacente peut exploser après une lente montée crescendo. Rapidement, le parallèle irrésistible avec l'œuvre matricielle de Park Chan-wook, Old Boy, se fait jour : au-delà des clins d'œil évidents (le traitement de la pellicule pour faire vibrer les couleurs, l'abus d'une violence choc, l'usage similaire de la musique classique, le bad guy affublé du même patronyme que Choi Min-sik dans Lady Vengeance, le finale dans le penthouse), c'est la faculté hors norme de Kim Jee-won à ingurgiter toutes ses références pour en faire une œuvre à part qui frappe la rétine et le cortex. Le gangster faussement impassible campé par Lee Byung-hun (vu dans JSA et Coupez ! de Park Chan-wook) se fait l'étendard le plus évident de ce maelström artistique : croisement entre l'Alain Delon de Melville et le Chow Yun-Fat de John Woo, il est l'homme de main ultime, intègre et droit, littéralement bouffé par son statut iconique.Sonata da cameraLa machine se dérègle lorsque le réalisateur intègre le personnage féminin dans la danse. Moins femme fatale que Lolita inconsciente des dangers pesant sur elle, elle signe involontairement la "mort sociale" de notre inflexible héros. Et dès lors, les masques tombent avec une malsaine jubilation : dans le microcosme on ne peut plus fermé de ces mafieux indignes (libre au spectateur d'y voir la métaphore d'autres sphères influentes), tout ne devient qu'une course à la domination, où chacun tente de justifier son maigre pouvoir. Et ce sont dans ces conflits successifs, où émergent des épanchements d'une violence graphique quasi nauséeuse, qu'apparaissent finalement les enjeux émotionnels du récit. La note d'intention dévoilée par le titre irradie de son évidence ; le héros, intégré dans sa structure mais désincarné, découvre l'absurdité de ses fondements comme l'iniquité de ses codes. Nulle geste anarchiste dans son revirement, tant l'ironie est présente. Moins radicale que chez Park Chan-wook, chantre décadent du cirque de la misère humaine, la distance humoristique est ici la sève féconde d'un récit fonçant tête baissée dans son fatalisme, et culminant dans une ultime séquence d'une beauté le disputant à la simplicité. A Bittersweet life devient in fine le conte, doux amer, d'un homme passé à côté de sa vie. Et un choc cinématographique majeur.A Bittersweet Life de Kim Jee-won (Corée du Sud, 2h) avec Lee Byung-hun, Lee Gi-yeong...

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