Peymann le rouge

Peu connu du grand public français, le metteur en scène Claus Peymann est pourtant une figure incontournable du théâtre germanophone. Aux Nuits de Fourvière, il présente Mère courage et ses enfants, créé en 2005 au Berliner Ensemble, le théâtre de Brecht qu'il dirige actuellement à Berlin. Nadja Pobel

Aller à la rencontre de Claus Peymann ne consiste pas seulement à évoquer le théâtre qui pourtant est toute sa vie. Rapidement, le metteur en scène fait résonner son parcours d'artiste avec les événements du monde contemporain, les blocs est-ouest qui ont divisé l'Europe et la lutte contre le capitalisme. Né en 1937 à Brème, en ex-RFA, il prétend pourtant avoir vraiment vu le jour en 1968. «Dès ce moment, j'ai essayé d'influencer la société avec mon travail et mon théâtre. J'ai eu, comme d'autres, l'espoir de changer la société, nous voulions croire que le fascisme et les guerres étaient derrière nous». En 1968, Peymann a déjà fait sensation depuis deux ans dans le milieu du théâtre en montant Outrage au public, la première «pièce parlée» de Peter Handke à Francfort. Peter Handke reste d'ailleurs son compagnon de route et Peymann s'attelle à nombre de ses autres pièces et lui rend souvent visite à Chaville, près de Versailles, où il vit toujours. En 1974, Peymann obtient sa première charge de direction de théâtre et file à Stuttgart pour cinq ans. Mais c'est plus tard, à Bochum, qu'il devient une figure du théâtre allemand. Comme à Stuttgart, il continue d'explorer l'œuvre de son ami Thomas Bernhard. Il offre à ses textes grinçants un écho dans toute l'Europe. Et surtout, il met un pied dans la culture autrichienne via l'un de ses représentants les plus célèbres et critiques. Autriche
En 1986, l'Allemand prend la tête de l'un des plus grands théâtres européen, le Burgtheater de Vienne. Thomas Bernhard commente cette arrivée dans trois "dramuscules" où il fait de Peymann un personnage de théâtre et égratigne la bourgeoisie conservatrice autrichienne. Ces courts textes ont été joué avec tact et drôlerie au théâtre des Ateliers de Lyon ces dernières semaines. Yves Charreton a montré un Peymann se focalisant sur l'achat de pantalons tandis que Bernhard tente de parler d'art ou un Bernhard singeant la mégalomanie des metteurs en scène qui se rêvent démiurges. Sous sa plume, Claus Peymann, trop heureux d'accéder au Burgtheatre viennois, prévoit de mettre en scène tout Shakespeare, l'auteur ultime, mais en moins de six heures et avec pas plus de cent comédiens ! Bel exercice artistique d'amitié. Une fois le Mur tombé et l'Europe réunie, Peymann passe chez les anciens «ossies», et presque comme une évidence, prend la direction en 99 de l'emblème culturel de Berlin Est, le Berliner Ensemble fondé par Bertolt Brecht. Politisation
«En Allemagne, je monte Brecht car nous avons besoin de lui, dit Peymann, ses pièces apportent une réflexion sur la société». Le metteur en scène n'a jamais dissocié son travail de ses actes militants. À Stuttgart, il s'attire les foudres des dirigeants de la ville et du ministre-président du Land pour avoir lancé une collecte d'argent afin de payer la prothèse dentaire du détenu terroriste de la Fraction Armée Rouge, Gudrun Esslin. Il y a deux ans, à Berlin, Peymann a souhaité accorder un stage de réinsertion à Christian Klar, également ancien membre des RAF, qui lui demandait de l'aider. Le maire de Berlin, Klaus Wowereit, a vu rouge. Face au déferlement médiatique et aux paparazzo campés devant le Berliner Ensemble, Christian Klar a refusé la main tendue de Peymann. Mais pour le metteur en scène, ces gestes sont naturels. «J'ai fait mon chemin au théâtre», aime-t-il dire, et il cite alors les clandestins de la RAF, Joscka Fisher, ministre des Affaires étrangères de Gerhard Schröder, le rédacteur en chef du Spiegel, comme d'anciens acolytes de 1968. Chacun a suivi sa voie mais les destins auraient pu s'intervertir. Désormais, il promène Mère Courage dans le monde entier. Récemment, la pièce a été jouée à Téhéran où le seul fait d'entendre chanter une femme, comme cette héroïne vagabonde, revient à braver l'interdit. «En Iran, il y a encore des Mère Courage sur toutes les routes», constate Peymann qui s'affirme d'emblée dans les entretiens comme communiste et socialiste et rappelle que, pour lui, depuis toujours, le théâtre doit éduquer.Mère Courage et ses enfants
Aux Nuits de Fourvière, les 26 et 27 juin.Max Gericke ou Pareille au même
Théâtre du Point du Jour, du 23 au 25 juin.Cabaret Brecht
Théâtre du point du Jour, 28 et 29 juin.

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