Le Dernier Voyage de Tanya

En 75 minutes contemplatives et méditatives, le Russe Aleksei Fedorchenko dresse un poème inspiré, aux images fulgurantes de beauté, à la gloire des Méria, une peuplade en voie d’extinction ; une expérience qui manque toutefois de matière narrative. Christophe Chabert

Il y a quelques années, la découverte du "Retour" d’Andrei Zviaguintsev fut un choc esthétique définitif ; le cinéma russe y retrouvait la splendeur visuelle et l’ampleur mythologique de ses plus grands auteurs (Tarkovski, mais aussi Kalatozov). "Le Dernier Voyage de Tanya" s’inscrit dans cette lignée : dès le premier plan, on est littéralement frappé par l’exceptionnelle qualité de regard du cinéaste, cette manière de saisir le réel et de le transformer, par le jeu du cadre, de la lumière et des mouvements d’appareils, en matière poétique et visuelle. Le film ne s’en tient cependant pas à sa splendeur photographique, qui perdure tout au long de ses brèves 75 minutes. Si chaque image scotche littéralement le spectateur à son siège, Fedorchenko a aussi l’ambition de faire de cette beauté une évocation lyrique d’une culture appelée à s’éteindre, celle des Méria, tribu russe dont les traditions perdurent par-delà l’oubli collectif de leurs racines.

La beauté du rite

Pour y parvenir, il réunit dans un même 4X4 un patron et son employé. Le patron vient de perdre son épouse Tanya, et décide d’aller brûler son corps sur la plage où ils ont passé leur lune de miel, puis de répandre ses cendres dans la Volga ; c’est un rituel Méria. En chemin, d’autres seront évoqués, notamment celui qui consiste à «fumer», c’est-à-dire raconter les moments heureux du couple. Parmi ces instants où le patron «fume», il y en a un, sublime : le jour du mariage, la tradition veut qu’on attache dans la toison pubienne de la promise des rubans multicolores, avant de les suspendre, le mariage célébré, aux branches d’un arbre. Le film est alors en majesté, d’un lyrisme digne du Kusturica du "Temps des gitans". Aussi saisissant soit-il, ce beau "Voyage de Tanya" a toutefois une limite : il semble parfois étirer artificiellement sa narration à l’échelle d’un long-métrage, là où un gros court-métrage aurait pu faire le même effet. En d’autres termes, si Fedorchenko a déjà l’étoffe des grands cinéastes en tant que metteur en scène, il lui reste encore un pas à accomplir comme scénariste pour que ses récits soient à la hauteur de sa maestria visuelle.

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