L’Appel de la Forêt / Entre Los Angeles et Paris, Omar Sy mène une prolifique carrière transatlantique. Avant d'attaquer le tournage de la série Arsène Lupin, il est à l'affiche de trois films en ce début 2020 : après Le Prince oublié et avant Police, on peut le voir dans L'Appel de la forêt...
Tout le monde a envie d'avoir un “Buck“ dans sa vie. C'est votre cas ?
Omar Sy : J'en ai deux : un Cane Corso et un American Staff ! Mais j'espère que tout le monde a un “Buck“, que ce soit un frère, un pote, une copine, une chérie ou même ce qu'a Buck : un loup qui symbolise son instinct et qui le guide. J'espère qu'on est tous connectés à cette petite voix dans notre tête et qu'on l'écoute un petit peu plus. C'est ce que dit le film, et le livre aussi, je crois.
Après, je ne connais pas Jack London, c'est pas mon pote ! (sourire). Ce que je comprends de ce qu'il nous raconte, Buck, c'est nous. On peut le voir comme un enfant qui devient un homme. Un enfant à qui on a appris des choses qui ne marchent pas toujours dans la vie. Alors, il s'adapte. Il s'adapte sans cesse et finalement, son vrai guide, c'est son instinct. Les réponses sont en lui. J'ai l'impression que pour nous aussi, c'est pareil. Malgré son imaginaire, malgré la communication, même s'il met des habits, l'Homme reste un animal.
Vous-même, êtes-vous instinctif ?
Je ne suis que ça ! Tout ce qui m'arrive par... chance ou par hasard ; tout ce que j'ai fait, je l'ai fait par instinct. Je n'ai pas les codes pour être là où je suis aujourd'hui, je n'ai pas pris de cours, je suis arrivé là par des rencontres, grâce à des gens qui m'ont montré des choses. Ensuite, j'ai écouté ma voix intérieure. Et ma façon d'appréhender le jeu s'est faite un peu comme ça. Il y a aussi un peu de technique que j'ai réussi à apprendre en autodidacte. Mais au-delà, c'est à mon instinct que je me connecte le plus.
À quoi ressemble le plateau de cinéma d'une grosse production où le chien n'existe pas forcément et la montagne enneigée est peut-être numérisée ?
Nous étions dans les canyons aux alentours de Los Angeles, en février, la montagne était plutôt une colline pas blanche mais marron et il faisait sec. Le matin, des camions envoyaient de la neige — on avait quand même une sensation de frais — à d'autres moments, c'était de la fausse neige — un truc synthétique pas très agréable qui fait tousser. Nous tournions sur un décor hollywoodien : une ruelle, avec des saloons devant un fond bleu géant.
Quant à Buck, il faut rendre hommage à celui qui le jouait, Terry Notary — une référence qui a travaillé notamment sur La Planète des Singes. Dans la scène où je dois dire au revoir à Buck, c'était lui mon partenaire, comme pour toutes les scènes d'action ou organiques. Le reste du temps, c'étaient des balles de tennis. Sur ce genre de film, il y a une chose essentielle sans laquelle il est impossible de tourner : l'enthousiasme enfantin. Quand un adulte de 50 balais sur des échasses en ferraille fait le chien et que je le caresse en lui parlant, il en faut pour qu'on y croit tous et surtout le cadreur. Si on sort de ce délire, il sera mort de rire et sa caméra va trembler. Sans cela, le film ne marche pas. Pour ça, j'adore faire des films là-bas.
Vous avez eu la chance de travailler avec deux légendes : Harrison Ford mais surtout Janusz Kaminski. Comment s'est déroulée votre collaboration avec le second, l'historique chef-opérateur de Spielberg ?
Hey, vous n'êtes pas obligé de rappeler comme ça que je n'ai eu que deux jours avec Harrison Ford ! (rires) Janusz était là tous les jours. C'est un mec incroyable, complètement taré — comme tous les mecs hyper créatifs. Il a ce grain de folie normal sur un plateau, qui n'est rien d'autre qu'une réunion de gens pas tout à fait... bien dans leur tête ! (sourires) On le vérifie sur un tel projet. Janusz, il est complètement taré et en même temps, il sait exactement ce qu'il fait et c'est super d'avoir un mec avec cette expérience-là pour nous guider. Car la technique est parfois si forte que l'on peut être perdu dans ce que l'on doit jouer. Et comme lui il sait, sa voix complète celle du réalisateur — d'autant que c'était le premier film live de Chris : l'interaction n'était pas son fort, il avait plus l'habitude de travailler avec des dessins.
Janusz, lui, dirige un peu et donne des explications. Tous les chefs-opérateurs ne sont pas aussi loquaces. Mais lui est super et très très drôle ! J'ai même tenu la liste de toutes ses citations : il y en avait quatre ou cinq par jour. On a bien connecté !
Et Harrison Ford, alors ? Que représentait-il pour vous ? À quoi ont ressemblé vos deux jours ?
Ils ont été suffisant pour me mettre dans un état de dingue ! C'est Indiana Jones et Han Solo — surtout pour moi qui suis un fan de Star Wars. Pouvoir juste lui serrer la main, savoir qu'il sache comment je m'appelle... Regardez l'affiche : il y a deux noms, le sien et le mien, c'est une grand fierté. Il avait un peu vu mon travail, on a très peu échangé mais c'est suffisant pour moi. Le matin du tournage, je me suis dit : « mec, t'es à Hollywood, personne ne peut dire le contraire. » Même deux jours, c'est 48 heures (rires).
Le film porte un message écologiste et anti-libéral qui a dû plaire à Harrison Ford. Y êtes-vous sensible ?
Suivre son instinct, retourner à la source, et à l'état sauvage, on ne peut l'accomplir si on reste prisonnier du libéralisme. La découverte de l'or dans cette histoire, c'est découvrir comment on grandit à l'intérieur, comment se trouver bien, pas forcément en avoir dans les poches. On essaie de dire des choses et d'éveiller les esprits ; maintenant, les gens auront-ils envie d'entendre cela ?
Ça serait faux de dire que je suis un grand écologiste, mais je m'y intéresse sans être un spécialiste ; j'ai ma sensibilité en fonction de ce que je côtoie chaque jour. Il y a des choses qui font vraiment flipper : quand on voit qu'on va faire un congélateur géant pour éviter de faire fondre la banquise, j'ai peur et je me dis que c'est la fin du monde. Je suis aussi plongeur, et l'état des fonds marins, ça me parle. J'ai compris l'importance des coraux dans l'écosystème. Et quand je me balade avec mes chiens dans les canyons, je suis frappé de voir comme les incendies ont dévasté les collines, c'est flippant.
Quels rôles vous propose-t-on à Hollywood ? En refusez-vous certains par principe — du type “le Français de service“ ?
Je ne suis pas fermé par principe, je n'ai pas de règle pour dire oui ou non. Je refuse des choses quand j'ai déjà fait. Et je suis plutôt fier de porter le maillot s'il s'agit de jouer un Français... Ma règle serait plutôt d'être ouvert et de tout lire parce que c'est intéressant de voir dans quel imaginaire les scénaristes, producteurs, réalisateurs me placent.
Vous a-t-on dit pourquoi on avait pensé à vous pour ce film ?
J'ai rencontré le producteur Erwin Stoff et Chris, et ce qui m'a donné envie, c'est que Perrault est un Canadien francophone — comme je parle français, c'était une des qualités pour avoir le job (sourire). Alors qu'on on me demande beaucoup d'avoir un visage fermé aux États-Unis, Erwin m'a beaucoup parlé d'Intouchables en me disant : « il y a quelque chose dans ton sourire qu'on voudrait pour Buck, parce que c'est la période où il quitte sa maison et qu'il a besoin de confiance en quelqu'un de bon. » Pour lui, je pouvais incarner cette bonhomie, son premier ami en dehors de la maison. Il fallait être doux, l'accompagner. C'est ce qu'ils m'ont dit — ils m'ont peut-être menti (rires).
En découvrant le film avec la post-production, arrivez-vous à oublier ce que vous avez tourné ? Êtes-vous sensible à sa magie ?
Evidemment ! Déjà, j'ai eu la chance d'en tourner d'autres et d'aller un peu ailleurs. Au moment où l'on redécouvre ce qu'on a filmé — même quand il n'y a pas d'effets spéciaux —, je suis comme un môme : je fais des films pour pouvoir les voir ! Et là, c'est difficile de ne pas être pris. J'était super heureux de faire connaissance avec Buck parce que je ne le connaissais pas en vrai (sourire). C'est un super chien, il est trop mignon et il a des attitudes humaines.
Selon vous, le fossé entre le cinéma français à gros budget et le cinéma américain est-il encore immense ?
Les Américains ont de l'avance, évidemment, ils ont plus d'argent. On a 20 millions pour Le Prince oublié, combien pour celui-là ? Je ne sais même plus ! Le fossé, il est là, sur le budget. Mais, en terme de qualité, on tient la barre. Je n'ai pas honte du Prince oublié et ça se vaut : c'était un film ambitieux qui est aujourd'hui à la hauteur. J'étais aussi dans Le Chant du loup l'an dernier. Je suis convaincu qu'on est capables de faire de très bons films qui voyagent bien quand on y croit, quand on met les moyens — sans forcément mettre autant qu'aux États-Unis. Après, on ne réussit pas à tous les coups, on se plante, on s'est plantés, on va peut-être se planter, mais parfois, ça marche : la preuve !