Mur de soutènement et propriété publique

Me Aurélien Py / En principe, la responsabilité d’un ouvrage incombe à son propriétaire. Or, la propriété n’est pas toujours déterminée de façon évidente. C’est notamment le cas d’un mur de soutènement, constituant la limite entre une parcelle privée et la voie publique. La question porte alors sur la responsabilité de l’entretien d’un mur en aplomb d’une voie publique.

Dans de nombreux cas, des propriétaires privés dont la parcelle est bordée par un mur de soutènement situé en surplomb d’une voie publique se retrouvent mobilisés en cas d’effondrement de ce mur sur la voie publique.

En effet, des maires, constatant que la partie du mur et du terrain encore en place présentait un danger grave et imminent pour la sécurité du public en raison d’un risque d’effondrement, prescrivent aux propriétaires, de procéder à la démolition du mur et aux travaux nécessaires pour la mise en sécurité, étant précisé qu’à défaut il pourrait y être procédé d’office.

Or, en l’absence de titre attribuant la propriété du mur de soutènement, situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent, aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié, ce mur doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, et ainsi comme appartenant au domaine public, dont la responsabilité incombe à la personne publique.

Propriété publique ou propriété privée ?

Dans le cas d’un mur de soutènement en limite de propriété avec la voie publique, la première question qui se pose, et dont découle tout le reste, est celle de nature de la propriété : ce bien est-il propriété privée du propriétaire de la parcelle privée ou est-il propriété publique en raison de son lien avec la voie publique ?

En principe, le mur est présumé appartenir à titre exclusif au propriétaire de la parcelle dont il soutient les terres ou les bâtiments. (Cass. 3e ch. civ., 15 juin 1994, n° 92-13.487). Dans ce cas, si le mur menace la sécurité des usagers de la voie publique, le maire de la commune peut prendre un arrêté de mise en péril afin de forcer le propriétaire privé à exécuter les travaux de nature à sécuriser le mur endommagé.

Or, la propriété d’un mur de soutènement peut porter à confusion dans le cas où cet ouvrage a tant pour fonction d’éviter la chute de matériaux sur la voie publique que de maintenir les parcelles qui la bordent. Lorsque le mur est situé en bordure d’une parcelle privée mais est indissociable de la voie publique, la propriété peut être attribuée à la personne publique.

Le ministre de l’Intérieur a pu rappeler, en s’appuyant sur la jurisprudence, que les murs de soutènement sont qualifiés d’ouvrage public à la condition qu’ils ne fassent pas l’objet d’un titre de propriété privé (Rép min à QE n° 22891 de Monsieur Francis Delattre, publiée dans le JO Sénat du 17/11/2016, page 5011).

Si la propriété du mur n’est pas explicitement attribuée au propriétaire de la parcelle privée, alors il est une propriété publique en raison de son lien avec la voie publique.

L’incorporation au domaine public par la théorie de l’accessoire

Evacuer la propriété privée permet ensuite de rattacher le bien au domaine public par la théorie de l’accessoire. La théorie de l’accessoire ne fonctionne qu’à l’intérieur d’un patrimoine public : un bien privé ne pourrait pas être incorporé au domaine public par la théorie de l’accessoire.

Pour rappel, un bien peut rentrer dans le domaine public par détermination de la loi ou par les critères jurisprudentiels (si le bien est affecté à l’usage direct du public ou à un service public, avec un aménagement indispensable). En outre, il existe des extensions du domaine public, notamment par la théorie de l’accessoire.

Cette théorie issue du droit privé va conduire à intégrer dans le domaine public des biens qui ne s’y trouveraient pas, comme un mur de soutènement de la voirie : le mur n’est pas affecté à la circulation mais peut être considéré comme du domaine public par accessoire s’il entretient un lien fort avec la route. Ce sont les critères du lien physique et fonctionnel (article L.2111-2 du CG3P). Désormais, l’exigence est resserrée et ces critères sont cumulatifs et non plus alternatifs.

Ainsi, en l’absence de titre en attribuant la propriété au propriétaire des parcelles en surplomb, un mur situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent, doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, bien qu’il ait aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent (CE, 14 avril 2015, n° 369339). La circonstance que le mur ait aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent, et soit implanté dans sa totalité sur le terrain privé ou qu’il ait été réalisé par la personne privée propriétaire du terrain, n’est pas de nature à empêcher son appartenance au domaine public (CAA de Lyon, 21 février 2023, n° 21LY0249).

Le juge administratif avait déjà jugé de longue date que « le mur de soutènement faisait partie intégrante de cette voie » (CE, 3 mars 1926, Ville de Pontivy c/ Mineurs Dalido, n° 85742).

Deux conditions cumulatives permettent alors de qualifier le mur d’ouvrage public, constituant un accessoire indispensable de la voie publique, et appartenant donc au domaine public :

– Le mur de soutènement se situe à l’aplomb de la voie publique et a pour fonction d’éviter la chute de matériaux depuis les fonds qui la surplombent,

– L’absence de titre attribuant la propriété du mur aux propriétaires des parcelles en surplomb. Ainsi, le mur situé en bordure d’une parcelle privée mais indissociable de la voie publique peut relever de la compétence de la personne publique.

La responsabilité de l’entretien incombant à la personne publique

L’entretien et la réparation du mur de soutènement constituant un ouvrage public, faisant partie du domaine public, incombent à la personne publique propriétaire.

En effet, le propriétaire d’un ouvrage public est tenu d’en assurer l’entretien (CE, 4 avril 1962, n° 49258, CAA de Bordeaux, 30 juin 2022, n° 19BX04474). Cet entretien est nécessaire chaque fois que son défaut est de nature à compromettre les usages normaux du bien affecté au public. Dans le cas contraire, l’administration est susceptible d’engager sa responsabilité (CE, 3 novembre 1972, n° 83338 ; CE, 3 mai 1963, commune de Saint-Brévin-les-Pins, Lebon 259).

Ainsi, il résulte de la jurisprudence que le tiers à l’ouvrage bénéficie d’un régime de responsabilité sans faute, sans avoir à démontrer l’existence d’un dommage anormal et spécial (voir en ce sens, à propos de l’érosion au sein de la structure d’un barrage CAA de Bordeaux, 14 avril 2022, n° 19BX03146).

Dans le cas d’un mur de soutènement indissociable de la voie publique, dont l’obligation d’entretien pèse sur la personne publique propriétaire, il lui est alors conseillé d’anticiper et de planifier l’entretien du mur pour prévenir le risque d’effondrement et de dommages aux passants.

En effet, l’autorité investie des pouvoirs de police de la voirie concernée peut engager sa responsabilité, si elle méconnaît son obligation d’entretien et de réparation de l’ouvrage, ainsi que l’obligation de prévenir et de faire cesser les éboulements de terre ou de rochers.

Le Conseil d’État a pu retenir que constituait un ouvrage public un mur de soutènement ayant fait l’objet d’une surélévation, à la demande, aux frais et sous le contrôle d’une personne et que dès lors, le maître de l’ouvrage demeure responsable des dommages causés aux tiers (CE, 26 février 2016, n° 389258) : « Le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement et ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages, qui doivent revêtir un caractère anormal et spécial pour ouvrir droit à réparation, résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure ».

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