Fuzati : J'irai mixer sur vos tombes

Fuzati, MC compositeur du Klub des Loosers, versaillais post-dépressif, déverse sa bile misanthrope tout au long des plages de son premier album Vive la Vie. François Cau

Enfant ingrat de la classe moyenne du cinquième arrondissement parisien, Fuzati explore un peu plus sa singularité adolescente en se passionnant pour une musique à laquelle Versailles n'était pas forcément préparé. "Je suis devenu accro au hip hop en écoutant énormément la radio. Je n'ai pas eu de grand frère, j'étais le seul du "quartier" à en écouter. Je me suis fait ma culture en restant branché sur Radio Nova il y a quinze ans, j'accrochais en particulier sur les samples ; je me faisais des cassettes, puis j'ai acheté des platines et les vinyles, à Châtelet. C'était le temps des Sages Poètes de la Rue, de La Cliqua, Timebomb...". Parallèlement, Fuzati peine à sortir d'un état de déprime languissant, d'un mal-être ne pouvant même pas s'épanouir dans la complaisance, qui affûtera sa plume d'un cynisme suicidaire. "J'étais le seul de ma fac horrible remplie de bourgeois Sciences Po à porter des baggies, rien qu'à cause de ça j'étais rejeté. J'étais en plus très dépressif, j'ai eu une sale vie pendant quatre ans avec des camarades de cette classe moyenne versaillaise ; on attendait que des parents partent en week-end, et on squattait chez le pote avec pour seule occupation de fumer des joints. On ne rencontrait jamais de filles, on ne sortait jamais... C'est de là qu'est née l'idée précise de Klub des Loosers". Prenant sa passion à bras le corps, Fuzati change de fréquentations, s'exerce à la compo et au micro, se découvre un don inné pour l'improvisation, l'écriture acerbe et un flow monocorde mais bizarrement captivant. Et choisit son pseudo en hommage au romancier Dino Buzzati : "J'adore les auteurs italiens comme Buzzati ou Barricco, qui parlent très cru mais avec une poésie incroyable ; ou encore Hemingway, de la bonne littérature de mecs qui ont fait la guerre avant de se torcher au whisky".Fuck My PeopleTout commence en 2000 avec la sortie de l'extraordinaire mixtape L'Antre de la Folie. Coaché par James Delleck et Teki Latex, le disque regroupe les rejetons non désirés de la scène hip hop française, développant une approche ludique, textuellement explicite, et un background sonore hallucinant. La Caution, L'Armée des 12, Detect, joliment accompagnés de guests prestigieux comme Dj Vadim ou Killa Kella, nous prouvent enfin qu'il y a bel et bien une vie après Skyrock. Le Klub des Loosers nous y dévoile son hymne. "On était tout un ensemble de formations mis à l'écart de la scène nationale, on s'est fédérés sous le prétexte de jouer avec le cadavre du hip hop. Si on le prétendait mort, c'était aussi en réaction à ce rejet. Mais depuis, chacun a pris sa voie, on n'est pas restés dans une attitude de farouche opposition". En binôme avec son vieil ami Orgasmic le Toxicologue aux scratchs, Fuzati triture sa matrice créative et accouche dans une douleur paroxystique du maxi Baise les Gens en janvier 2003. Une petite flûte, un sample de Jonathan Lambert scandant "baiser, baiser, baiser", une misanthropie outrancière distillée par des formules assassines, et la machine est lancée. Les titres Poussières d'Enfants et Ça va s'arranger complètent le tableau (noir), une variation sur le thème de la nature morte. L'image d'un autiste détestable, se faisant remarquer au gré de ses prestations publiques agressives (encourageant les spectateurs de ses "Dansez bande de putes") fait écho à l'imposture Stupéflip, en nettement plus audible et structuré. Le deuxième maxi, La Femme de Fer, relatant les amours de Fuzati et de sa copine cul-de-jatte, enfonce le clou. Notre homme adopte sur scène le masque blanc, surface plane renvoyant à chacun sa propre hostilité. Autiste optimisteEn 2003, les side-projects s'enchaînent, au rythme d'albums invariablement cultes dans les milieux initiés. Le Buffet des Anciens Elèves de L'Atelier (collectif de rappeurs turbulents) fait parler de lui via son tube imparable, Le Hip hop c'est mon pote, sur lequel Fuzati ne peut s'empêcher de passer pour le psychopathe de la bande via quelques lyrics bien senties, avant de se rattraper quelques plages plus loin avec un monologue à la poésie clouante. Dans Gravité Zéro, exploration futuriste menée par James Delleck et Defré le Jouage, Fuzati y est une nouvelle fois amené à terrasser de la douceur insoupçonnée de son flow. Il poursuit l'écriture de son album, délaissant Orgasmic sur le bas-côté, signant sur RecordMakers, le très classieux label de Air. En novembre dernier, son premier album, Vive la Vie, prolonge cette veine comico-suicidaire qui nous fait aimer la haine de Fuzati envers et contre tous. Outre les morceaux de bravoure précités, on y trouve notamment Dead Hip Hop, sorte de double maléfique du Hip Hop c'est mon pote de L'Atelier, grâce auquel Fuzati devrait se faire plus d'amis que MC Jean Gab'1 en deux albums. "C'est un morceau pour dire que j'aimais profondément le hip hop, et que je le trouve affligeant à présent. Il y a beaucoup de rappeurs et très peu d'artistes, il n'y a plus que des mecs qui se cachent derrière la technique". En dépit d'un ton globalement post-dépressif, Vive la Vie amorce un tournant dans le bouillonnement créatif de son auteur. "Je ne resterai pas éternellement dans ce créneau. Je change, je vieillis, mais je garde mon cynisme. C'est juste que j'attendais de grandes choses de cette vie, et donc j'ai été déçu. Par les femmes en particulier. Mais le deuxième album du Klub devrait être plus joyeux...". Le Klub des LoosersA la Marquise le 3 février"Vive la vie" (Discograph)

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