Fantôme d'amour

Le film de décembre de la Ciné-Collection est un chef-d’œuvre intemporel : la comédie romantique et fantastique de Joseph Mankiewicz, 'L’Aventure de Madame Muir'. CC

Généralement pas tendre et peu porté sur le sentimentalisme, Jean-Patrick Manchette, du temps où il officiait comme critique cinéma à 'Charlie Hebdo' en parallèle à son activité d’écrivain, avait avoué sa passion pour L’Aventure de Madame Muir (1947) en ces termes : «Ce que je sais de plus important sur ce film, c’est qu’à la fin, je vais pleurer». Il est vrai qu’il a quelque chose d’irrésistible dès ses premiers plans, où la musique de Bernard Hermann (un thème à trois notes dont le compositeur tire une stupéfiante série de variations) nous introduit dans le domicile de l’héroïne, Madame Muir. Veuve depuis un an, elle décide de quitter sa belle famille et de s’installer avec sa fille (la toute jeune Nathalie Wood) et sa bonne dans un cottage en bord de mer pour y démarrer une nouvelle vie. Le dialogue est magnifique, d’une cruauté feutrée mais terrible, comme lorsque la belle-mère lance à sa bru : «Vous êtes la dernière chose qui me rappelle mon fils». Qu’importe pour Lucy Muir : en ce début de XXe siècle, elle bravera tous les obstacles pour affirmer son indépendance. Car le scénario, mi-romantique, mi-fantastique, ne cessera de la confronter à elle-même, à ses doutes et à ses désirs.Gene sans gêne
Qui dit veuve dit deuil, et qui dit deuil dit fantôme. C’est un authentique spectre qui hante la nouvelle maison de Madame Muir ; un vieux marin qui tente d’abord de la faire fuir mais qui, face à l’obstination de la jeune femme, deviendra son confident à défaut de pouvoir être son amant. Un fantôme amoureux ? Oui, et même jaloux, lorsqu’un peintre marié tourne autour de Lucy, en pleine confusion sentimentale. Face aux saillies vachardes de Rex Harrison (futur professeur Higgins de My Fair Lady) dans le rôle du fantôme, George Sanders joue la carte de son élégance naturelle, préparant ses grands rôles dans Moonfleet et Le Voyage en Italie. Mais le génie de Mankiewicz, c’est d’avoir confié à Gene Tierney le rôle de Lucy Muir. Dans une époque où le cinéma américain ne jurait que par les femmes fatales et les beautés dangereuses (de Barbara Stanwick à Ava Gardner), Tierney est une fabuleuse anomalie. Fleur délicate d’une dignité absolue, droite mais pas corsetée, belle mais pas inaccessible, elle confère au film sa sublime mélancolie. L’Aventure de Madame Muir aura un impact sur ses rôles futurs, comme en témoigne celui d’épouse impuissante mais dévouée que Jules Dassin lui confie dans Les Forbans de la nuit.L’Aventure de Madame Muir
Dans les salles du GRAC, jusqu’au 11 janvier.

à lire aussi

derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Actus...

Mardi 31 octobre 2023 Le festival Lumière vient de refermer ses lourds rideaux, les vacances de la Toussaint lui ont succédé… Mais ce n’est pas pour autant que les équipes de (...)
Mardi 31 octobre 2023 Si le tourisme en pays caladois tend à augmenter à l’approche du troisième jeudi de novembre, il ne faudrait pas réduire le secteur à sa culture du pampre : depuis bientôt trois décennies, Villefranche célèbre aussi en beauté le cinéma francophone....
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama. Suivez le guide !
Lundi 5 septembre 2022 Bien qu’il atteigne cette année l’âge de raison avec sa 7e édition, le Festival du film jeune de Lyon demeure fidèle à sa mission en programmant l’émergence des (...)
Mercredi 17 août 2022 Et si Forrest Gump portait un turban et dégustait des golgappas plutôt que des chocolats ? L’idée est audacieuse mais aurait mérité que le réalisateur indien de Laal Singh Chaddha se l’approprie davantage. Si l’intrigue réserve forcement peu de...
Mercredi 11 mai 2022 Alors que son film posthume Plus que jamais réalisé par Emily Atef sera présenté dans la section Un certain regard du 75e festival de Cannes, l’Aquarium (...)
Vendredi 13 mai 2022 Fruit du travail de bénédictin d’un homme seul durant sept années,  Junk Head décrit en stop-motion un futur post-apocalyptique où l’humanité aurait atteint l’immortalité mais perdu le sens (et l’essence) de la vie. Un conte de science-fiction avec...
Mardi 26 avril 2022 Les organisateurs d’On vous ment ont de le sens de l’humour (ou de l’à propos) puisqu’ils ont calé la septième édition de leur festival pile entre la présidentielle et les législatives. Une manière de nous rappeler qu’il ne faut pas tout...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X