Ben, bon bouffon

Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire à grand renfort de publicité dithyrambique, Ben n'est pas «un artiste majeur du XXe siècle», mais un artiste malin, prolifique, drôle de temps à autre, et surtout très répétitif. La preuve par mille (œuvres) au Musée d'art contemporain.Jean-Emmanuel Denave

La nature a horreur du vide, l'artiste Ben Vautier aussi. La rétrospective qui lui est consacrée au Musée d'art contemporain est donc, comme annoncée (plus de 1000 œuvres sur 3 000m²), profuse, touffue, jusqu'à saturation. Cela fait partie du personnage un tantinet angoissé et se soignant par accumulation d'objets, et cela fait partie aussi de sa conception de l'art qui n'aurait pas, ou presque, de limites, pouvant s'étendre au «monde entier», gestes absurdes et vie quotidienne inclus...

Le premier étage, conçu par l'historien d'art et agent de Yoko Ono Jon Hendricks, est le plus didactique, retraçant les débuts de Ben et quelques-unes de ses idées matricielles, tentant aussi de montrer ici et là en quoi Ben fut un précurseur (la fameuse question potache de qui l'a fait le premier !). Après avoir dessiné quelques bananes et formes abstraites, puis rencontré Yves Klein qui lui a indiqué (avec raison) combien tout cela était mauvais, Ben redécouvre Marcel Duchamp et conclut de ses «ready made» que «tout est art» ! C'est, à notre avis, une extrapolation rapide et abusive des conceptions de Duchamp qui interroge plutôt qu'il n'efface les limites entre l'art et le quotidien...

Mais bref, à partir de cette idée, Ben commence à ramasser des objets dans la rue et à en faire des «sculptures», à réaliser ses fameuses écritures (phrases peintes sur toiles), s'expose lui-même dans la vitrine d'une galerie londonienne pendant deux jours en 1962. Et, surtout, Ben se met à signer tout et n'importe quoi : des trous, des êtres humains en tant que sculptures vivantes, des cailloux, des terrains vagues, les toiles des autres, Dieu... Il multiplie les applications possibles d'une idée polémique et amusante ad nauseam. Et c'est d'ailleurs l'une des caractéristiques de son travail : exploiter et user de quelques idées ou questionnements jusqu'à la corde. Autre exemple : Ben décline la conception d'un Dieu présent dans l'ensemble de sa création en le localisant dans des boîtes de toutes sortes, des sachets, des balles de ping-pong...

Risettes

Ne soyons pas trop rabats-joie, ces débuts de Ben et ces acrobaties logico-artistiques sont souvent drôles. Tout comme la période parallèle où Ben s'acoquine avec la mouvance Fluxus à partir de 1963-64. Une grande salle relate, à travers des vidéos ou des photographies, les happenings réalisés par l'artiste à Nice ou ailleurs : s'allonger dans la rue, attendre un bus, faire couler de la peinture sur le sol, manger un œuf dur à 12h32... Dans les années 1960, Ben s'active bel et bien comme un trublion qui bouscule avec énergie les idées reçues, les conventions du monde de l'art ou du monde social tout court. Reconnaissons-lui ce souffle vivifiant sous la France de De Gaulle.

Recettes

Au deuxième étage du musée divisé en une myriade de petits recoins thématiques (la mort, le sexe, l'argent et le pouvoir, les portraits, la guerre...), on lit cette écriture : «Je tourne en rond». Et si l'on découvre à cet étage (comme au troisième et dernier) quelques objets ou installations amusants, ou encore des écritures qui donnent un peu à réfléchir, on se rend compte que Ben fait toujours les mêmes choses depuis la fin des années 1960 ! Réflexions rapides sur les limites de l'art, effets de signature, paradoxes ou apories tirés d'un digest de philosophie grecque (paradoxe, par exemple, du Crétois qui affirme : «je mens»), slogans provocateurs («l'art est inutile rentrez chez vous !»)... Il y ajoute une vague réflexion sur l'ego et la libido des artistes qui seraient à l'origine de toute création ! Ou encore quelques piques truculentes sur le milieu auquel il appartient : celui de l'art contemporain.

Au fond et au sens positif du terme, Ben tient le rôle (utile) du bouffon du monde l'art et d'une société embourgeoisée. Il est aussi un bon critique d'art, écrivant avec clairvoyance dans sa newsletter : «Cette rétrospective nous apprend beaucoup sur Ben. À travers elle on se rend compte que Ben depuis 40 ans ne fait que se répéter. Depuis 30 ans il fait et refait les mêmes tableaux sur l'art, sur l'ego, sur le sexe, Ben c'est l'exemple même de l'artiste qui fait de l'art en attaquant l'art. C'est facile et démagogique».


Ben «strip-tease intégral»

Au Musée d'art contemporain, jusqu'au 11 juillet
Catalogue aux éditions d'art Somogy.

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 12 septembre 2024 De la fin de l’été à l’entrée dans l’hiver, le Petit Bulletin a sélectionné pour vous vingt rendez-vous comme autant de remèdes au spleen automnal : jazz, metal, folk, musique expérimentale, en passant par la galaxie du kraut, de l’électro et des...
Mardi 12 décembre 2023 Après Mars Express, deux nouveaux longs métrages indépendants tentent de se frayer un chemin au milieu des locomotives de fin d’année. Avec une même idée en tête : de l’audace, dans le graphisme comme dans le ton.
Mardi 14 novembre 2023 Pour sa 44e édition, le festival du film court poursuit sa mue, en quête d’événements et d’éclectisme, avec une compétition internationale engagée dont se dégagent des œuvres où le féminin l’emporte sur le masculin.
Mercredi 15 mars 2023 Un jeune couple en chemin vers les hautes sphères se trouve mêlé à un fait divers l’obligeant à confronter ses idéaux à la morale et à la justice. Sylvain Desclous signe un thriller doté d’une distribution parfaite dynamitant les hypocrisies,...
Mercredi 4 janvier 2023 L'année précédente digérée, et avec elle, les agapes des réveillons, les affaires reprennent sur les scènes de musiques actuelles. Beaucoup de choses à voir et entendre dont nous vous livrons une sélection premium. 
Lundi 5 septembre 2022 Davantage qu’un film “sur” les attentats parisiens de novembre 2015, Revoir Paris s’intéresse à leurs conséquences tangibles dans la vie d’une poignée de rescapés. Une œuvre à périmètre humain sensiblement interprétée, où Alice Winocour poursuit...
Mercredi 29 juin 2022 Woodstower, c'est le point final de la période estivale. À Miribel, la programmation est principalement tournée vers les tête d’affiches en vogue — Vald, Kaaris & Kalash Criminel, Niska et consorts, mais le festival dévoile aussi des noms qui...
Jeudi 9 juin 2022 Besoin de chaleur humaine et de partage ? Ne cherchez plus, Chez Daddy vous accueille à la Croix-Rousse et à Perrache. Des lieux pensés pour briser l’isolement des aînés et permettre la rencontre. Toutes les générations sont les bienvenues dans ces...
Lundi 5 juillet 2021 Après la fermeture il y a plus d’un an d’A la piscine, Thomas Rolland et Benjamin Sanchez rebondissent près des Terreaux avec Regain. Dans un espace presque chic, ils envoient un menu déjeuner bien roulé.
Mercredi 16 juin 2021 À l’écran, on l’a connu odieux ("Le Sens de la fête"), irrésistible de drôlerie ("Mon inconnue"), fuyant ("Antoinette dans les Cévennes") mais à chaque fois impeccable. Benjamin Lavernhe — de la Comédie Française — poursuit sur sa lancée en tenant...
Vendredi 20 novembre 2020 Marre de vous faire livrer par les grandes surfaces ou des cyclistes surexploités ? Et si vous optiez pour une alternative locale et plus éthique, avec les commerces de quartier de Lyon ? C’est ce que promet Les Fantasques…

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !