Les films d'ados vieillissent-ils bien ?

À l’occasion de la sortie d’"American Pie 4", célébrant les retrouvailles des héros du premier volet, désormais presque quadragénaires, à notre tour de faire le bilan de santé du film d’ado américain — ou teen movie — sur trois générations, de leurs visions du genre à leurs bande originales. Christophe Chabert

Partons d’un principe simple : l’être humain est fondamentalement nostalgique, et cette nostalgie se tourne en premier lieu vers sa jeunesse. Cette jeunesse, pour la plupart des spectateurs de cinéma nés entre 1960 et 1995, coïncide avec le moment où ils ont découvert sur un écran une jeunesse qui lui ressemblait ou, à défaut, à laquelle ils auraient aimé ressembler. À chaque époque sa vague de films d’ados, d’abord apanage des cousins américains avant de trouver des succédanés français plus ou moins mémorables (de La Boum à LOL, avec en guise de précurseur auteuriste Passe ton bac d’abord de Maurice Pialat — pas son meilleur film, d’ailleurs).

70 : nostalgie du passé

La nostalgie est au cœur d’un des premiers grands teen movies américains, American Graffiti de George Lucas. Il a même été pensé ainsi par son auteur, alors en pleine remise en question de ses prétentions expérimentales, abandonnant l’idéal d’un nouvel Hollywood pour se lancer dans une aventure personnelle qui allait révolutionner l’industrie. Tourné en 1973 mais antidaté en 1962, il évoque donc une époque qui, loin de résonner avec la période contestataire, consciente et politisée que les Américains traversaient, renvoie à un «âge d’or» : celui de l’innocence, des belles bagnoles et de la musique rock. Le passé simple d’American Graffiti est un déni de l’adolescence présente, et le film s’adresse en fait plus aux parents qu’à leur progéniture. Il faut attendre Grease et son lycée ripoliné ou son envers cauchemardesque, Carrie au bal du Diable de Brian De Palma (tous deux avec Travolta), pour que le film d’ado se rapproche, même filtré par d’autres genres, d’une représentation en temps réel de l’adolescent américain. Deux cinéastes s’en emparent dans la foulée : l’obscur Bob Clarke, un Canadien qui a le premier l’idée de trucider en masse des ados dans Black Christmas (inventant le modèle Scream) avant de les faire s’agiter sexuellement dans le premier Porky’s (l’ancêtre du teen movie trash) ; et l’imprévisible Francis Coppola qui offre une vision stylisée mais crédible de l’ado dans Outsiders et Rusty James, révélant au passage une décennie de jeunes acteurs.

80 : nostalgie du futur

Pendant les années Reagan, l’ado se mange à toutes les sauces : il casse du Ruskof dans une Aube rouge idiote, se transforme en vampire (bien avant Twilight) dans le pourrave Génération perdue et va jouer au cowboy dans l’inepte Young guns. Au milieu de cet opportunisme juvénile, un homme se lève et va enfin prendre l’adolescence au sérieux. John Hugues, producteur, scénariste et réalisateur, décide de regarder la jeunesse à deux niveaux : au premier, il en compile les stéréotypes et les lieux communs ; au second, il les retourne comme un gant, renversement des apparences qui donne à ses films, et notamment aux deux chefs-d’œuvre que sont Breakfast Club et La Folle Journée de Ferris Bueller, leur caractère universel et émouvant. Deux autres films tirent la leçon du cinéma de Hugues : le très subversif Pump up the volume et l’acide Fatal games. Christian Slater en est par deux fois le héros, mauvais génie mais vrai révélateur des angoisses, aspirations et revendications de cette jeunesse qui ne veut pas être une génération sacrifiée mais au contraire, une vraie force d’avenir.

2000 : nostalgie du présent

À l’orée des années 2000, le genre, un peu oublié par les patrons de studios, va reprendre de la vigueur avec la sortie d’American Pie. Les frères Weisz ne font, en réalité, qu’actualiser le modèle Porky’s en radicalisant les provocations sexuelles. On y constate aussi un retour retors au puritanisme. C’est tout l’enjeu du teen movie des années 2000 : de 100 girls à Projet X, sans oublier le carrément craignos 40 jours, 40 nuits, l’explosion libidinale n’est jamais qu’une manière de conjurer l’imminence de l’entrée dans l’âge adulte. On y trouve donc une nostalgie bizarre pour ce qui se passe aujourd’hui, où l’on repousse les limites non pas pour foutre la société en l’air, mais pour en profiter égoïstement avant d’opter pour une vie bourgeoise et merdique. Alors que le teen movie sombrait dans cette hypocrite vulgarité, un jeune cinéaste, Will Gluck, tentait de faire revivre l’esprit de John Hugues (décédé il y a deux ans) dans le formidable Easy A, premier teen movie nostalgique d’une autre époque des teen movies. Emma Stone s’y débattait avec les gossips, SMS et statuts Facebook pour montrer qu’une jeune fille, ce n’est pas qu’un cul et des seins, mais aussi un cerveau et des sentiments. Comme si le film d’ado ne visait pas l’idéalisation d’une période de la vie, mais une forme d’humanisme lucide et éternel.

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