Mercredi 19 avril 2023 Invité aux Rencontres du Sud pour présenter sa nouvelle comédie avec Charlotte Gainsbourg, "La Vie pour de vrai", Dany Boon évoque les lointaines inspirations qui l’ont aidé à modeler son personnage de candide. Comme son rapport inattendu à Agnès...
Kazan : il était une fois loin de l'Anatolie…
Par Christophe Chabert
Publié Mardi 11 novembre 2014

Photo : Elia Kazan avec Kirk Douglas et Faye Dunaway sur le tournage de L'Arrangement
Sa vie est un roman, ses films un exemple de classicisme romanesque et ses méthodes de travail avec les acteurs des révolutions durables pour le cinéma américain : l’Institut Lumière propose de redécouvrir pendant deux mois l’œuvre magistrale d’Elia Kazan. Christophe Chabert
S’il fallait garder une image du cinéma d’Elia Kazan, ce serait peut-être celle de Nathalie Wood rentrant chez elle, transportée de bonheur après avoir passé une soirée avec Warren Beatty, dans La Fièvre dans le sang (1961). Jeune fille naïve issue d’une famille modeste qui pense avoir découvert le grand amour auprès d’un fils de parvenu se complaisant dans l’oisiveté et la séduction désinvolte, elle monte dans sa chambre et se met à toucher peluches et jouets avec une délectation érotique palpable, comme si ces objets de l’enfance étaient devenus des fétiches pour la femme en train d’éclore.
Érotiser les objets : tel était un des mots d’ordre de Kazan à ses acteurs, sur ses plateaux de cinéma, dans ses mises en scène de théâtre ou lors des cours qu’il dispensait à l’Actor’s Studio. Aux côtés de Lee Strasberg, ils ont contribué à faire de la méthode Stanislavski, où l’acteur va piocher dans sa mémoire affective des émotions qui irriguent son interprétation, l’outil favori des grands comédiens américains : Brando bien sûr, auquel Kazan a fourni ses plus grands rôles dans Un tramway nommé désir (1951), Viva Zapata (1952) et Sur les quais (1954), mais après lui Paul Newman ou Al Pacino.
Dans le documentaire que Michel Ciment a consacré à Kazan, où il va à sa rencontre pour la sortie de son avant-dernier film Les Visiteurs (1972), le cinéaste revient sur une autre scène : dans Sur les quais, alors que Brando marche à côté d’Eva Marie-Saint, celle-ci laisse tomber par accident son gant ; Brando le ramasse et, plutôt que de le lui rendre, se met à jouer avec, à l’enfiler… Cet imprévu du tournage donne toute sa tension à la séquence, illustrant à la fois l’intuition de Brando et la qualité de metteur en scène de Kazan, capable de laisser advenir à l’écran la vérité troublante des rapports entre les êtres.
Un idéal trahi
Kazan, fils d’un immigré grec anatolien, vendeur de tapis mis en difficulté par la crise de 1929, commence sa carrière en tant qu’acteur au sein d’une troupe nommée le Group theatre, emmenée par Lee Strasberg et Harold Clurman ; c’est une communauté de comédiens, d’auteurs et de metteurs en scène rêvant de monter leurs productions en totale autonomie. Un idéal sous-tendu par un autre : la proximité avec le parti communiste, auquel Kazan adhère avant de s’en retirer suite à un procès expéditif — au-dessus d’une boulangerie ! où on lui reproche ses libertés prises avec la ligne du parti.
Tandis que l’utopie théâtrale se délite et que Kazan se découvre bien meilleur metteur en scène qu’acteur, récoltant succès et louanges sur les scènes américaines, Hollywood vient lui faire du pied. Contre toute attente, il s’entend plutôt bien avec les moguls des studios, en particulier Darryl Zanuck qui règne à l’époque sur la Fox, comme ce sera le cas plus tard avec le flamboyant Sam Spiegel. Pourtant, ses premiers films — Le Lys de Brooklyn (1945), Le Maître de la prairie (1947), western qu’il renie totalement, et même Le Mur invisible (1947), pour lequel il obtient pourtant un Oscar — le laissent insatisfait : trop manichéens, pas assez proches de la vérité humaine qu’il cherchera ensuite à reproduire dans son œuvre.
Sa rencontre avec Tennessee Williams puis avec Arthur Miller seront déterminantes : le triomphe d’Un tramway nommé désir — sur scène puis au cinéma — et de Mort d’un commis voyageur — qu’il crée au théâtre — lui assurent une popularité exceptionnelle et lui permettent d’affiner son sens de la direction d’acteurs. Jusqu’à ce que le Maccarthysme passe par là : Kazan, dos au mur, apeuré à l’idée de ne plus travailler, accepte de témoigner devant la commission des activités anti-américaines pour dénoncer ses anciens camarades communistes. Commence pour lui une période d’ostracisme mais aussi, selon un paradoxe qu’il décrypte dans sa superbe autobiographie, Une vie, un moment de maturité artistique où il enchaîne les chefs-d’œuvre, de Sur les quais à America America (1963), où il retourne sur les terres natales de ses parents, en Anatolie.
L’ambivalence comme vérité humaine
Dans cette même autobiographie, on voit à quel point Kazan s’est plongé dans ses contradictions personnelles — son humanisme entaché par son témoignage monstrueux, son individualisme peu conciliable avec ses aspirations progressistes, ses rapports aux femmes que ce grand séducteur fait défiler dans son lit avec un mélange d’amour et d’égoïsme cruel — pour innerver en profondeur ses films. Le splendide Le Fleuve sauvage (1960) est un parfait exemple de cette volonté de ne jamais faire pencher l’empathie du spectateur d’un côté — la vieille femme qui refuse de quitter sa terre — ou de l’autre — l’envoyé de l’État chargé de la convaincre de partir, personnage identificatoire pour le public — mais simplement capter les ambiguïtés de la vie — le progrès est nécessaire mais pas forcément bénéfique.
On en revient à la scène de La Fièvre dans le sang : la jeune fille nageant dans la félicité affronte le regard inquiet de sa mère, pressentant l’issue malheureuse de cette union contre nature. La conclusion de ce mélodrame déchirant renverse pourtant les perspectives, entre le nanti et la gentille fille tombée dans la dépression. C’est la vie, dans toute sa tragique et sublime ironie, et c’est l’essence du cinéma de Kazan.
Rétrospective Elia Kazan
A l’Institut Lumière, du 12 novembre au 7 janvier
à lire aussi
derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Cinéma...
Mercredi 30 novembre 2022 Deux lieux atypiques accueillent des projections en ce début décembre. D’abord, la Maison de l’Écologie dans le 7e arrondissement ce jeudi 1er à 20h à (...)
Mercredi 30 novembre 2022 Le Festival du Film Court du Zola ayant servi de warm-up, on ne lâche pas l’affaire et l’on continue avec entrain avec la deuxième édition de Mutoscope, (...)
Jeudi 1 décembre 2022 Le titre un brin lapidaire de la livraison mensuelle du cycle Ciné Collection concocté par les salles du GRAC (“Femmes à la caméra“) ne doit pas susciter (...)
Mercredi 30 novembre 2022 L’un aurait fêté son centenaire, l’autre ses 130 printemps en 2022. Mais tous deux sont d’une étonnante contemporanéité et — curieusement — complémentaires. Ernst Lubitsch et Francesco Rosi finissent l’année à l’Institut Lumière.
Jeudi 6 octobre 2022 Huit ans après "La French", le réalisateur et le comédien se retrouvent pour un film à nouveau tiré d’un fait historique mais beaucoup plus contemporain : les attentats de 2015. Rencontre autour de la conception d’un film sur une tragédie française.
Lundi 5 septembre 2022 Bien qu’il atteigne cette année l’âge de raison avec sa 7e édition, le Festival du film jeune de Lyon demeure fidèle à sa mission en programmant l’émergence des (...)
Lundi 5 septembre 2022 Appelés à retrouver leurs chères études, les écoliers se sentiront-ils moins seuls en sachant que les cinéphiles lyonnais doivent suivre un programme au moins aussi chargé en ce mois de septembre avec moult rencontres et événements dans les salles ?...
Mardi 23 août 2022 Après avoir endossé sur scène le rôle d’Hortense dans La Dégustation d’Ivan Calbérac, Isabelle Carré le reprend avec enthousiasme pour l’adaptation réalisée par l’auteur. L’occasion de converser avec une comédienne toujours impeccable, devenue...
Lundi 5 septembre 2022 Malavida ressort l'un des films phares de la Nouvelle Vague tchèque, dont l'inventivité et la pertinence demeurent totalement d'actualité.
Mercredi 17 août 2022 Et si Forrest Gump portait un turban et dégustait des golgappas plutôt que des chocolats ? L’idée est audacieuse mais aurait mérité que le réalisateur indien de Laal Singh Chaddha se l’approprie davantage. Si l’intrigue réserve forcement peu de...
Mercredi 11 mai 2022 Lauréat début mai du Meilleur premier film de fiction et Meilleur acteur dans un second rôle aux 9e Prix Platino (attribués aux productions du monde ibérique), Karnawal incarne la relève du cinéma latino-américain. Avant de recevoir ses récompenses,...
Mercredi 11 mai 2022 Alors que son film posthume Plus que jamais réalisé par Emily Atef sera présenté dans la section Un certain regard du 75e festival de Cannes, l’Aquarium (...)
Jeudi 12 mai 2022 Tous deux ont porté le Nouvel Hollywood sur les fonts baptismaux, joué (sans avoir de scène en commun) dans le plus célèbre film de mafia/la plus fameuse (...)
Jeudi 12 mai 2022 Et vous, comment vivrez-vous ?, le nouveau long-métrage de Hayao Miyazaki n’étant annoncé que l’année prochaine (une décennie après le dernier), le Pathé Bellecour (...)
Vendredi 13 mai 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 10 mai 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 26 avril 2022 Comédienne chez Denys Arcand (L’Âge des ténèbres) et surtout Xavier Dolan (Les Amours imaginaires, Laurence Anyways), la Québécoise Monia Chokri avait réalisé en 2019 un premier long-métrage remarqué, La Femme de mon frère. Elle est de retour...
Mardi 26 avril 2022 Un très joli conte de printemps s’apprête à sortir sur les écrans : le bien nommé C’est magnifique !, troisième long-métrage du comédien et cinéaste Clovis (...)
Mardi 26 avril 2022 Retour à un calendrier habituel pour le festival Cinémas du Sud concocté par la galerie Regard Sud et accueilli par l’Institut Lumière du mercredi 27 au (...)
Mardi 26 avril 2022 Faut-il une raison pour aller au musée contempler les toiles des Impressionnistes ? Évidemment non. Il en va de même pour les chefs-d’œuvre du cinéma (...)
Mardi 26 avril 2022 Les organisateurs d’On vous ment ont de le sens de l’humour (ou de l’à propos) puisqu’ils ont calé la septième édition de leur festival pile entre la présidentielle et les législatives. Une manière de nous rappeler qu’il ne faut pas tout...
Mardi 26 avril 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 26 avril 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 26 avril 2022 Orfèvre dans l’art de saisir des ambiances et des climats humains, Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été, Amanda…) en restitue ici simultanément deux profondément singuliers : l’univers de la radio la nuit et l’air du temps des années 1980. Une...
Mercredi 20 avril 2022 Le duo de cinéaste est de retour avec un nouveau documentaire consacré au seul établissement en France ayant intégré une section hip-hop ouverte à tous les profils d’élèves, le lycée Turgot de Paris. Ils ont suivi les élèves de cet enseignement...
Mercredi 20 avril 2022 Scénariste et producteur à succès ("Des hommes et des dieux", "Timbuktu"), Étienne Comar avait signé un biopic en demi-teinte ("Django"). Plus modeste, son deuxième film est une franche réussite où il dirige Alex Lutz en chanteur lyrique animant un...
Mardi 12 avril 2022 Indispensable
★★★★☆ I Comete
L’été dans un village de Corse. Une succession d’événements ordinaires, de saynètes (...)
Mardi 12 avril 2022 À voir
★★★☆☆ Vortex
Un couple de personnes âgées dans son appartement parisien, dont le morne train-train est (...)