Décret Son / En première ligne sur le front des difficultés posées par le nouveau décret son à toute une profession, le Prodiss (syndicat national du spectacle musical et de variété) nous donne son point de vue sur un texte dont l'application pose question. Entretien avec sa directrice générale, Malika Séguineau.
Quels sont les principaux problèmes identifiés par le Prodiss dans le texte de ce nouveau décret son ?
Malika Séguineau : Il y a pour la première fois une limitation des basses fréquences à 118 dbc, ce qui pose le problème de leur mesure, mais met aussi en péril l'expression scénique de certaines esthétiques. Respecter 118 dbc sans dénaturer la musique revient à passer bien en dessous de 102 dbc. Il y a également l'extension de l'étude d'impact sonore aux lieux de plein air, aux festivals. Mais comment mesurer à l'avance l'impact sonore des festivals compte-tenu des variables météo ?
Cela obligerait à une limitation telle que cela rendrait impossible la musique en plein air.
C'est sans doute l'argument le plus fort et le plus entendu par le ministère de la Culture parce qu'en l'état, ça signe la fin des festivals. C'est compliqué également pour les Zéniths – mais pas que – qui accueillent chaque soir une nouvelle production : il faudrait refaire une étude d'impact à chaque changement de configuration, ce qui, là encore, est irréaliste. Le troisième point c'est que même si l'on arrive à rendre tout cela réalisable techniquement se pose la question du coût pour des entreprises déjà fragilisées. Or aucune aide n'a été prévue à ce jour. Les grandes salles commencent déjà à chiffrer en indiquant qu'elles seraient lourdement impactées et je ne parle même pas des petits lieux. Mais si les conséquences ne seront pas les mêmes pour tous les types de lieux, ce qui est sûr c'est que tous seront frappés.
Comment expliquez-vous qu'il ait été fait si peu de cas des remarques des professionnels en amont de l'adoption de ce texte ?
Je ne peux pas dire qu'il n'y a pas eu de concertation : préalablement à la publication du texte – en plein mois d'août 2017, il faut le rappeler –, il y a eu un certain nombre de réunions importantes durant lesquels nous avons pu avec AGI-SON [association oeuvrant pour la défense de l'écoute et la pratique de la musique dans le respect des réglementations en vigueur, NdlR] faire un certain nombre de propositions. Mais au final, dans les discussions inter-ministérielles, entre les ministères de la Culture, de l'Écologie et de la Santé, la Culture a perdu son combat et nous avons pu constater que le texte ne reflétait absolument pas les derniers échanges dans lesquels les professionnels émettaient un certain nombre de réserves sur son réalisme, en rappelant à la fois l'objectif de santé publique mais aussi la réalité de nos entreprises et de l'activité musicale. Nous nous sommes alors manifestés très tôt auprès de la Culture pour signifier qu'en l'état le texte était difficilement applicable. Aujourd'hui, la situation est celle d'un texte qui doit être appliqué mais ne peut pas l'être faute d'un arrêté qui le rende applicable. Néanmoins, c'est une épée de Damoclès sur la tête de nos entreprises puisque ce texte existe et est entré en application. La Culture reconnaît d'ailleurs qu'il est difficile de travailler sur ce projet d'arrêté quand c'est le texte même qui pose question et qu'il faut plutôt repartir sur la rédaction de ce texte.
C'est ce que vous demandez ?
Oui, il n'est pas question pour nous de voir un arrêté publié sur la base d'un texte qui pose autant de questions et nous demandons la réouverture d'une concertation sur le texte même du décret. Et, en attendant, l'instauration d'une période transitoire qui permette aux professionnels de fonctionner sans être inquiétés. Le ministère de la Culture soutient cette demande et nous espérons que les autres ministères autour de la table se remettent très vite au travail. Nous avons beaucoup oeuvré avec AGI-SON et les professionnels techniques et sommes à même de faire des contre-propositions qui soient entendables et réalisables. Il faut comprendre que notre objectif n'est pas de voir ce texte disparaître et de conserver la réglementation actuelle mais bien d'aboutir à un décret qui soit applicable par la profession. Nous partageons l'objectif de santé publique qui est de protéger les oreilles de nos spectateurs et des salariés de nos salles, mais pas au prix de la diversité artistique, de celle des projets et de celle des lieux. Je ne pense pas non plus que ce soit le souhait du ministère de la Culture. C'est pour cela que nous avons lancé un cri d'alerte mais un cri d'alerte responsable.