João Selva, le garçon d'Ipanema

João Selva

Transbordeur

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Sono mondiale / Ambassadeur en France de la nouvelle scène brésilienne, João Selva est un rayon de soleil avec sa pop tropicale, héritière de l'âge d'or de la chanson brésilienne des années 1960 à 1970. Avant la release party de son dernier album au Transbordeur, nous l’avons rencontré pour faire un point sur sa carrière, sa musique, ses influences. Magnéto.

Vous avez grandi dans une communauté créée par votre père, où se retrouvaient une foule de personnages différents, est-ce que vous pouvez nous raconter cet environnement ?
João Selva : Mon père était un hippie, il s’est retrouvé en prison parce qu’il était l’un des gars qui a introduit le LSD au Brésil. Il s’est converti au christianisme dans sa cellule, et dès sa sortie il a fondé une petite communauté chrétienne dans la Zona Sul de Rio de Janeiro, à Ipanema. Il faut recontextualiser : le Brésil est un pays très croyant, mais aussi très ouvert sur la spiritualité. Cette communauté n’était fréquentée quasiment que par des artistes : des comédiens, des cinéastes… mais aussi d’autres personnes sorties de prison, et il y avait de très bons musiciens que j’ai pu côtoyer.
 
Ça a fait que je me suis très vite intéressé aux différents langages artistiques, parce que j’ai eu cette ouverture depuis que j’étais gamin en traînant dans ce milieu. Naturellement j’ai commencé très tôt à jouer de la musique, il y avait tout le temps des spectacles dans la communauté, des salão, ça jouait sans arrêt !
 
Tout ça vous amène à commencer à jouer d’instruments, dans différents styles brésiliens et afro-descendants, par quoi commencez-vous ?
 J’ai toujours composé et surtout écrit depuis que je suis enfant. J’ai d’abord appris la guitare, mais je suis touche-à-tout donc j’ai essayé les claviers, la basse… Je n’ai pas voulu en faire mon métier, c’est pour ça que je n’ai pas fait d’études poussées là-dedans, je suis un peu autodidacte. C'était quelque chose de très intime, de très personnel. Je me suis orienté dans un premier temps vers le spectacle : le théâtre, la danse, mais aussi les cultures traditionnelles quand j’étais adolescent. Ça a débuté avec la capoeira, que j’ai commencé à pratiquer ado, qui m’a menée vers la samba, le maracatu… toutes les autres formes de musiques et danses traditionnelles.
 
Je pratiquais beaucoup et ça m’a ouvert sur une compagnie avec qui j’ai pas mal tourné en Afrique, aux Caraïbes, au Brésil et en France pour faire des comédies musicales et des spectacles pour enfants. J’écrivais de la musique pour ces spectacles, je jouais dedans, j’ai passé pas mal d’années comme un saltimbanque, à passer trois mois en Afrique, trois mois en Europe, repartir au Brésil puis dans les Caraïbes… Et ça m’a fait découvrir tout un tas de musiques qui sont cousines de celles de chez moi, surtout quand on a eu cette porte d’entrée avec les musiques traditionnelles ; c’est là qu’on voit qu’il y a des formes de capoeira aux Antilles, mais sous d’autres noms comme le ladja, le danmyé… Les formes sont très proches, et c’est pareil dans les musiques à danser, on a des rythmes qui se rapprochent du funanà Cap-Verdien, qui lui va se rapprocher du zouk antillais, on voit clairement les racines communes.

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Entre temps, vous déménagez en France et là, tout change en 2016 avec une jam à la Maison-Mère et une rencontre avec le producteur Bruno Patchworks.
Après avoir fait beaucoup d’années de musiques traditionnelles brésiliennes, beaucoup de forró… [Rires.] j’ai rencontré Bruno Pacthworks un peu par hasard ici sur les Pentes, à la Maison-Mère, grâce à Arnaud, le gérant. Il [Bruno] m’a tout de suite branché en me disant « j’adore la musique brésilienne, mais je n’ai encore jamais eu l’occasion d’en produire ! » On a commencé à échanger des noms, et j’ai tout de suite vu qu’il connaissait vraiment la musique brésilienne parce qu’il citait des artistes peu connus ; on se retrouvait dans nos références. Et ça a été un vrai "retour vers le futur" pour moi, parce que j’avais passé presque vingt ans à ne faire que du traditionnel ! Certes, entre temps j’ai continué à écrire mes propres créations, mais je ne les avais jamais produites, ça restait encore intime à cette époque. Et Bruno m’a poussé dans ce sens-là, ce qui a permis de "réassembler" en quelque sorte mes différentes identités musicales sous l’alias de João Selva.

Pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt ?

Vous sortez le premier album Natureza en 2017, le deuxième, Navegar, arrive en 2021 et le troisième en février dernier, est-ce que la façon de faire a évolué entre ces différents albums ?
On a créé le premier album en le pensant seulement comme un disque, sans penser au live. Il a fallu attendre qu'il sorte, qu’un des morceaux soit compilé par Radio Nova et que ça tourne bien avant qu’ils reviennent vers nous pour nous demander de faire un petit showcase  à la radio, pour montrer ce qu’on est capables de faire. Et c’est là qu’on s’est dit avec Bruno « mais attends, le répertoire est trop cool à jouer en live, pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt ? » [Rires.]

On a monté l’équipe, qui est toujours là depuis le premier concert en automne 2017. On travaille avec Boris Pokora, un saxophoniste et flutiste bien connu à Lyon, Nicolas Taite de Erotic Market, Paul Charnay aux claviers, qui était à cette fameuse jam de la Maison-Mère et qui travaille avec The Bongo Hop, Motel Club… On a vraiment attendu le deuxième album pour réellement défendre le projet sur scène. La partie écriture a beau être faite en binôme avec Bruno, le travail de réarrangement pour la scène est vraiment fait comme un groupe, tout le monde participe et propose, et c’est ça qui fait la richesse du projet. C’est vrai qu’on pourrait penser que c’est un projet solo, mais en réalité c’est une aventure collective made in Lyon depuis le début. Et c’est ça aussi qui m’intéresse en tant que musicien venu d’ailleurs, cette diversité qui fait que des musiciens venus d’horizons et d’influences différents peuvent collaborer sur un même projet, comme Boris qui vient du jazz, Nicolas qui vient de l’électro et qui finissent ici !
 
Le disque et la scène sont deux façons de faire et de penser différentes, on réarrange complètement les morceaux. Après, on avait aussi envie de faire du live une fête, un moment de célébration ; ça vient de mes influences de la musique traditionnelle. C’était quelque chose qu’on n’avait pas du tout pensé lors de l’écriture du premier album et qu'on retrouve plus sur le deuxième, dans le tempo, le groove, mais aussi dans les thématiques abordées comme la fête, le fait de se libérer par la danse…

C’est à nous, les artistes, de lever la voix

Est-ce que vous abordez d’autres thèmes dans tes textes ?
Plein ! [Rires.] C’est vrai que lorsqu’on a créé le dernier album, Passarinho, on était en plein contexte du Covid, et il y avait encore plus cette envie de s’appuyer sur la musique pour retrouver un bien-être, parce que moi-même j’avais besoin de ça ! Dans des morceaux comme Cantar Cantar, le refrain dit « ça va aller mieux », mais en vrai c’est moi-même qui me dit que ça va aller ! [Rires.] Quand j’écris, c’est très lié à ce que je ressens, c’est très sincère. Dans la chanson Passarinho, je parle de l’effondrement climatique, de la biodiversité, parce que pour moi tout ça c’était la planète qui étouffait et qui nous faisait mourir d’insuffisance respiratoire. Cette chanson parle du fait que l’Homme doit comprendre qu’il fait partie de la nature, qu’il doit la respecter et qu’il doit vivre avec plutôt que de la tuer. C’est aussi avec ce leitmotiv qu’on a choisi ce titre pour l’album, la situation actuelle est dramatique et les politiques ne prennent pas ça en compte. C’est à nous, les artistes, de lever la voix et de pointer ce qui ne va pas.
 
Est-ce important de faire passer des messages dans les textes ?
Carrément ! À la fois pour nous-mêmes mais aussi en tant que collectif.
 
Est-ce que la situation politique au Brésil vous inspire pour écrire vos chansons ?
On a fait un EP qui est sorti l’été dernier, Se Acabou, composé uniquement de petites chansons anti-Bolsonaro, vraiment c’était un pamphlet sonore. [Rires.] Justement, c’était une manière de s’engager à ce moment-là, pendant la période électorale. Il n’y avait pas beaucoup d’artistes brésiliens qui s’étaient engagés, d’ailleurs j’avais été interviewé par Libération à ce moment-là parce qu’ils ne comprenaient pas. Je leur ai expliqué que certains avaient peut-être peur de perdre du public — c’est vrai que Bolsonaro représente près de la moitié de la population — et d’autres avaient peur pour leur intégrité physique, de se faire attaquer ou même pire. C’est pour ça qu’ils ne prenaient pas forcément la place de l’opposition en public, ce que je peux tout à fait comprendre. C’est peut-être un autre héritage de la musique traditionnelle, mais je trouve qu’en tant qu’artistes, on est porteurs d’une voix collective qui nous dépasse, et c’est normal d’être une sorte de porte-voix qui catalyse ce qui se trouve autour de nous et ce que l’on veut voir résonner.

Quelle est la signification de Passarihno ?
Ça veut dire "petit oiseau", et c’est un thème qui revient souvent dans l’imaginaire commun du Brésil : plusieurs grands auteurs en ont parlé, il est présent dans les chansons traditionnelles. C’est une image de la fragilité de la nature, mais aussi de son exubérance, de sa force… On peut aussi la lier à celle de l’artiste, parce qu’on se demande souvent « pourquoi l’oiseau chante en cage ? » Ce sont justement les paroles du refrain de Passarinho, parce que c’est à ce moment-là qu’on a le plus besoin de chanter pour se réconforter. Dans un sens ça fait écho avec ce qu’on disait tout à l’heure, le fait de se faire porte-voix des maux du peuple dans notre musique. Pendant la réalisation de cet album, un livre d’un penseur amérindien m’a beaucoup inspiré en disant que, pour réussir à avancer, il faut qu’on imagine des futurs alternatifs pour ne pas être contraints. La chanson et son clip font aussi écho à l’image de l’oiseau qui chante en cage, pour moi c’est une manière d’imaginer un autre futur dans lequel on préfèrerait vivre.

Est-ce que d’autres écrivains, musiciens ont inspiré la réalisation de l’album ?
Beaucoup d’artistes nous inspirent pendant le processus de création, on est souvent à citer des choses, parfois même à les écouter parce que ça nous a marqué, et il y a pas mal de références à des artistes comme Marcos Valle, João Donato, Edu Lobo… Ceux qui constituent pour moi et Bruno l’âge d’or de la musique brésilienne, dans les années 1960 et 1970. À l’époque le Brésil était un peu à un sommet en termes de production et d’écriture, et ce projet a été pensé et créé comme un hommage à cette période, sans pour autant faire comme eux. On respecte, on baisse la tête et on rend hommage [Rires.]
 
En faisant mes recherches, j’ai cru comprendre que João Selva était un personnage. Comment décririez-vous sa personnalité ?
Je vois la personnalité comme quelque chose de pluriel. Le philosophe Michel Serres dit dans son livre Le Tiers-Instruit­ que c’est un manteau d’Arlequin, un patchwork en quelque sorte, et je suis d’accord avec ça. Je l’ai toujours été, parce que j’ai la double nationalité de par ma mère, et dans mon cas je suis à la fois Brésilien et Français. C’est pareil, quand on est au Brésil on est soit blanc ou noir selon l’endroit où on se trouve : à Rio j’étais blanc, mais quand je suis allé habiter dans le Sud du Brésil j’étais plus mulato, marron quoi.

Je me suis toujours dit que je ne pouvais pas mettre toutes les facettes de ma personnalité dans un seul projet artistique, ce serait presque indigeste ! [Rires.] Pour moi, João Selva c’est un focus sur une partie de moi, de ce que je suis et de ce que j’ai vécu en Atlantique Noir comme l'expliquait Paul Gilroy : ma jeunesse à Rio de Janeiro, mes voyages en Afrique, dans les Caraïbes… ça reste moi mais il n’y a pas tout. C’est bien en tant qu’artiste de pouvoir assumer différents pseudonymes, c’est une démarche qui est faite par plein de personnes, notamment certaines qui les cumulent parce qu’elles ont plusieurs identités, elles cohabitent harmonieusement. Après c’est juste un focus sur certaines choses : je continue à faire de la capoeira, mais c’est une autre identité, une autre facette de moi, ou même ma chérie qui va me donner un petit surnom, c’est comme des réalités parallèles qui se croisent.

João Selva, Passarinho (Underdog Records)
Au Transbordeur le mercredi 29 mars

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