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Pierre Niney : « apparement, je ne joue que des menteurs… »
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 19 décembre 2017 - 5336 lectures
Photo : © Julien Panié
La Promesse de l'aube
De Eric Barbier (Fr, 2h11) avec Pierre Niney, Charlotte Gainsbourg...
Interview / Pierre Niney enfile un nouveau costume prestigieux : celui d’un auteur ayant au moins autant vécu d’existences dans la vraie vie que dans ses romans, Romain Gary. Rencontre avec un interprète admiratif de son personnage.
Comment êtes-vous passé du statut de lecteur de Gary — et de connaisseur selon votre metteur en scène — à celui d’interprète de son personnage ?
Pierre Niney : Éric Barbier dit que je connais très bien Romain Gary, mais ce n’est pas vrai (sourires) ! Je connaissais La Promesse de l’aube que j’adorais, mais peu Gary. Il m’a parlé de son film, qui est une adaptation d’une adaptation de certains épisodes de la vie de Gary, et notamment de ce lien complètement fou, démesuré, toxique et inspirant avec sa mère. On a pris la liberté de s’écarter d’une réalité factuelle de la vie de Gary. Ce n’est donc pas un biopic, car ce n’était pas l’intention du livre — un autobiographe a rarement l’intention de dire la stricte vérité — ; surtout pas Gary, dans aucun de ses livres.
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Le fils de Romain Gary, Diego, avait fait la remarque : « ma grand-mère s’appelait Mina et pas Nina ». Cette distance-là est importante. Je joue donc un “personnage”, à qui il arrive des choses extraordinaires qui sont réellement arrivées à Gary dans beaucoup de moments de son livre. Les choses les plus incroyables sont souvent vraies, et certains détails sont faux — toute la vie de Gary est ainsi. C’est pour cela que ce livre est aussi important, il est la matrice de tout : on découvre que s’il est torturé, passionné, s’il se met en scène et s’improvise acteur, réalisateur, menteur, c’est à cause de sa mère. Tous ses dédoublements de personnalité viennent d’elle, comme l’envie d’écrire.
Parmi les différences entre le “vrai” Gary et le vôtre, vous n’avez pas essayé de contrefaire sa pointe d’accent…
Sur la période la plus médiatisée de Gary, je ne l’entends pas sur toutes les interviews, je trouve cela assez ténu. J’avais entendu parler de cet accent, mais en consultant beaucoup d’archives, je ne l’entendais pas. Peut-être qu’il s’amusait à le prendre — ça ne m’étonnerait pas de lui ! Diego nous a dit — et j’ai voulu l’intégrer — que jusqu’à son suicide et longtemps après la mort de sa mère, Gary a continué à lui parler à haute voix. L’idée m’est venue à partir des scènes où elle lui rendait visite physiquement dans les cellules de prison.
Ce que je voulais conserver également, c’était l’humour — un mécanisme social qui m’intéresse beaucoup. Une « déclaration de dignité », pour Gary ; c’est-à-dire une affirmation de la suprématie de l’Homme sur tout ce qui lui arrive. Comme un super-pouvoir, une capacité de tout surmonter. Je voulais donc que la voix-off marque un contraste avec les situations, comme dans le roman.
Vous interprétez un “demi-personnage” puisque vous partagez le rôle avec Pawel Puchalski qui joue Romain Gary enfant. Comment avez-vous réalisé la continuité ?
En effet, j’ai effectué 50% du job et c’était la première fois que je faisais ça : j’étais à Paris pendant qu’ils avaient commencé le tournage à Budapest. J’ai demandé à voir des images de Pawel et Éric m’a dit d’aller au montage des rushes des deux premières semaines. Pavel était génial, et il fallait que je me remette dans ses chaussures ! C’était magnifique, il était touchant, il avait un regard fort, une sensibilité. C’est rare, les enfants qui jouent bien. C’était son tout premier film, il a été choisi sur plus de 500 enfants. J’avais hâte d’arriver, j’essayais de capter le plus de choses possibles dans les rushes avec Pawel et Charlotte : comment il parlait, il bougeait, pour essayer de me fondre là-dedans. Nos deux parties sont très différentes : il est dans une unité de temps et de lieu à Vilnius, et moi je prends le relais au moment de l’émancipation à Nice, davantage dans le mouvement, dans l’aventure…
Après Philippe Cousteau et bien sûr Saint Laurent, c’est à nouveau pour vous le choix d’un personnage ayant existé…
C’est un hasard, parce que je n’ai pas pour mission de refaire tout le Panthéon (rires). Le hasard de bons scénarios… Ils sont rares. J’estime que ceux-là étaient bons, donc j’y suis allé. Si ç’avait été un biopic plus factuel sur Gary, je ne pense pas que je l’aurais fait. Celui-ci est intéressant parce qu’il est romancé. La différence entre un personnage fictionnel et un personnage réel, elle existe et elle n’existe pas : l’idée est d’arriver à comprendre sa logique pour pouvoir le jouer et le rendre humain ; pour que les gens puissent l’aimer, le détester, qu’on y croie.
Ce n’est pas la première fois que vous jouez le rôle d’un écrivain. Et comme dans Un homme idéal, il s’agit en plus d’un mythomane…
Apparement, je ne joue que des menteurs (rires). Je m’en suis rendu compte récemment : Un homme idéal, Five, Frantz… Pourtant, l’acteur est aux antipodes du menteur : vous savez qu’il va vous mentir et vous payez pour qu’il vous mente le mieux possible. Donc ce n’est même plus de l’ordre du mensonge, c’est le fait de raconter une histoire. Je pense que je ne suis pas menteur dans la vie. Très peu. Ou alors tellement bon menteur que je ne le sais pas — et là, c’est très très fort (rires). Le mensonge est très cinématographique. Comme chez Hitchcock, qui nous fait voir autre chose qu’on nous a dit, et dit autre chose qu’on nous a montré. Et c’est cathartique : je me débarrasse certainement de trucs en faisant ça, je ne sais pas… Le menteur a toujours un double fond intéressant. Dans la vie Gary, Émile Ajar est fascinant : c’est l’un des plus grands mensonges de l’histoire de la littérature ; c’est génial.
Votre regard sur Gary a changé ?
Non. Et je n’ai pas l’impression d’avoir fait le tour de Gary. Je me suis concentré sur cette adaptation de sa vie, sur ce lien précisément, sur une centaine de situations d’un roman où il en a écrit huit cents. J’ai glané un maximum d’informations sur sa vie, mais encore aujourd’hui j’en découvre encore énormément. Chaque chose qu’il a laissée, chaque citation, c’est un film en soi. Par exemple, lorsqu’il apprend que Clint Eastwood a une liaison avec Jean Seberg sur le plateau de La Kermesse de l’Ouest, il prend un avion, se rend sur place et toque à la loge de Clint Eastwood qui était “le” cow-boy de l’époque pour le provoquer en duel au revolver. Et Clint Eastwood s’est débiné. Il fallait y aller, pour faire flipper Eastwood !
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